Lalie Rabeharison : la Malgache qui bataille pour l’émergence du tourisme cinématographique

[Africa Diligence] Photographe officielle de la présidente de la République Centrafricaine, Samba Panza, en 2014, Lalie Rabeharison, 38 ans, est l’auteure de nombreux articles, de reportages et de portraits d’artistes et dirigeants Africains. Présidente fondatrice de Panafrican Linkup & Advisory Network, la fiancée d’Antananarivo s’est promis de faire émerger le tourisme cinématographique en Afrique, en commençant par la Tanzanie.

Lalie Rabeharison est née à Ankadifotsy, un quartier d’Antananarivo, à Madagascar, et a émigré en France à l’âge de 6 ans. « Ayant eu un enfant jeune, révèle-t-elle, on peut dire que mon parcours académique a rapidement été tronqué. Mais ce n’est pas la seule raison : j’ai toujours craint le savoir français, et par extension le savoir à l’occidentale qui, à l’égard d’une jeune fille issue de l’immigration telle que moi, portait les rouages et les stratégies qui ont fait le triste succès de l’esclavage, de la colonisation et, dans une époque où j’ai grandi, la difficile condition de la double identité où, dans la pratique, on ne se sent jamais vraiment Français. »

Cette crainte existentielle a conditionné la jeune Malgache à devenir autodidacte et à acquérir du savoir de façon alternative. « Cette altérité et cette double culture, confie-t-elle, ont probablement forgé l’artiste que je suis aujourd’hui. » C’est par validation des acquis et expérience que la fiancée d’Antananarivo a obtenu un DEUG en communication et une Licence en Cinéma. C’est dans la même veine qu’elle s’apprête à passer son Master en marketing territorial.

Tout au long de son parcours, l’écriture et la photographie ont toujours été une planche de salut pour elle. Photographe et auteur indépendant depuis 2003, elle a écrit des dizaines d’articles à caractère social, et illustré à travers ses images et ses mots, des portraits d’artistes et de dirigeants, et des reportages sur des travaux d’associations ou des faits d’actualité. En 2014, elle devient la photographe officielle de la présidente de Centrafrique, S.E.M. Samba Panza.

Lalie Rabeharison est aujourd’hui présidente de Proximités, une association qui porte le projet Panafrican Linkup & Advisory Network (P.L.A.N.). « Même si la structure est amenée à évoluer, signale-t-elle, ce projet porte la mesure de mes ambitions. Il a vocation à soutenir le développement économique par la conception et le déploiement d’activités touristiques et culturelles innovantes. » C’est dans ce cadre qu’est né le projet pilote avec la Tanzanie pour l’émergence du tourisme cinématographique, une exclusivité qu’elle a bien voulu nous confier.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Lalie Rabeharison : On a parlé du rêve américain, on parle aujourd’hui du rêve africain. Sauf qu’en considérant les problématiques qui règnent sur le continent, le rêve est exclu et les solutions urgentes. Je me sens un peu coupable de ne pas agir davantage, plus vite, plus fort. Néanmoins, je crois à cette émergence, et avec ce que je peux apporter avec mes petits moyens pour qu’elle soit tangible.

Je crois bien entendu en l’émergence économique du continent à condition qu’elle repose sur d’autres sources que les matières premières, et donc à partir du moment où elle s’oriente vers les enjeux déterminants de la diversification. Mais des États l’ont compris : la Guinée Équatoriale, par exemple, a justement alloué le milliard pour investir sur cette diversification. L’exemple d’investissement consenti avec sagesse et organisation est donné. Reste à le suivre. Le problème, justement, est que l’Afrique est vaste, et l’état des économies, d’un pays à l’autre, est inégal. Alors l’émergence se fait plus vite, pour les uns et moins vite pour d’autres. L’émergence, oui, à condition donc d’éradiquer la notion « fourre-tout » de l’Afrique et de considérer individuellement les atouts et les freins de chaque pays pour y parvenir.

Je crois bien entendu en l’émergence économique, à condition de bien prendre en compte les freins que sont le terrorisme, la circulation alarmante des armes à feu, la corruption, les affrontements fratricides inter-ethniques, tribaux, religieux, communautaires et j’en passe.

Je crois bien entendu en l’émergence économique fondée sur la réussite du partenariat diaspora/pays d’origine. Il faut néanmoins que les pays d’origine assurent aux éventuels « inpats » des conditions optimales d’accueil. Le Cameroun a développé en cette matière une politique exemplaire d’accueil de sa diaspora aux USA ; le projet Keur Salam au Sénégal est efficace, car il offre à sa diaspora un parc immobilier à acquérir pour le retour au pays. Le « Cahier d’un retour au pays natal » doit inventer son écriture dans bien d’autres pays où aucune organisation n’est prévue.

Je crois au rêve de Renaissance formulé par nos aînés comme un message qui a fait son effet, et donc comme une lutte qui n’a pas été vaine, car bon nombre de personnes au sein de la diaspora Africaine souhaitent rentrer et apporter les connaissances, le talent et les compétences qu’elles ont acquises. Mais se limiter à cette notion serait une idée un peu caricaturale du développement, car je crois surtout que c’est l’Afrique qui a à apprendre à ses enfants qui ont été disséminés. Lorsque je vais à Madagascar, je parle peu. Pas parce que je ne parle plus ma langue, mais parce que j’apprends tellement des miens que la place est surtout à l’écoute : système de production, culture et civilisation, innovation, poésie, sans compter la restitution de pièce de puzzle manquante à la perte identitaire que cause le déracinement. Dans ces moments de silence nécessaire, la photographie prend toute sa dimension de mémoire fixe et inscrit tout ce qu’une culture orale n’a pas coutume de consigner.

Donc l’émergence de l’Afrique, j’y crois définitivement, mais surtout parce que c’est cette dernière qui détient sa propre définition du développement. La réalité des obstacles doit trouver des résolutions dans la prise de responsabilité d’un pouvoir exécutif soucieux d’y répondre réellement.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Primo, celui des industries créatives en général, celui de l’industrie cinématographique en particulier. Le cinéma constitue un levier de développement d’envergure car il est organisé comme une industrie qui comprend des gammes de produits bien identifiées, un système structuré – de la production à la distribution – et engage des dépenses et des ressources pour lesquelles s’est établi un écosystème économique qui lui est propre.

Les métiers de l’audiovisuel s’inscrivent dans un cadre organisé dont les pratiques en termes d’affaires sont spécifiques. Ce cadre, inscrit dans un contexte mondialisé et une logique de réseau formée en microcosme, doit trouver un espace de référence à forte identité pour l’exécution de prestations audiovisuelles, tant en pré qu’en post-production des œuvres, tant pour le processus créatif que pour les activités de nature financière ou institutionnelle qui s’y jouent : l’Afrique, dans sa globalité et sa diversité, est ce terrain idéal, encore largement sous-exploité.

Le Maroc et l’Afrique du Sud ont la grosse part du gâteau sur ce secteur, et j’assume le propos qui va suivre : j’estime que le territoire de référence pour l’industrie cinématographique en Afrique n’a pas encore trouvé son identité sur ces pays, leaders pour le moment. Entre l’ancien esclavagiste et le berceau de l’apartheid, il va de soi que le cœur de l’industrie cinématographique à identité africaine se joue ailleurs. On saluera bien entendu Nollywood, Riverwood, Swahiliwood et autres Gallywood, mais l’offre de services à l’égard de l’ensemble de l’industrie doit prendre son envol sur des standards internationaux, au-delà d’un cinéma juste communautaire, continental. Il faut frapper plus fort, en s’assurant d’une portée plus lointaine. L’agressivité a parfois du bon lorsque son taux de transformation relève de l’innovation et de la prise de pouvoir gagnée avec une certaine élégance.

L’avènement d’un territoire en lieu emblématique de production cinématographique est un enjeu qui, s’il atteint la renommée qu’il vise, lui garantit une récurrence de revenus stables et une incrémentation pérenne au sein d’une industrie où l’attractivité est portée par la force du réseau et des références : la création de richesse que cette notion englobe, en plus des gains en termes d’image, sont essentiels pour l’Afrique.

Le secteur du tourisme est le premier bénéficiaire de cette image, à travers lequel le territoire est promu pour la spécificité d’une activité et la qualité de son environnement et de ses espaces.

Le potentiel du continent regroupe les critères d’éligibilité pour répondre à de tels enjeux. Il est néanmoins nécessaire qu’il concède à des investissements publics conséquents et déploie une politique économique compétitive et innovante pour conquérir les marchés historiques et émergents de l’industrie cinématographique. Les enjeux de la sécurité et la concordance d’une offre saisonnière sur certaines régions aux conditions climatiques complexes doit porter à la plus haute mesure de réflexion pour que cette entreprise fasse son effet de levier.

Deuxio, peut-être parce que je viens d’un pays qui compte une forte majorité d’agriculteurs, je crois fortement au développement rapide de l’Afrique par l’avènement innovant du secteur agricole et particulièrement à la force de frappe économique de l’apiculture. Le continent regorge de pays tels que la Tanzanie, Madagascar, le Cameroun et le Togo, pour ne citer que quelques-uns, dont on ne connaît pas le miel, à l’heure où l’extinction des abeilles est une préoccupation pour les plus hautes institutions internationales, qu’elles soient médicales, vétérinaires, agricoles, économiques… L’Afrique, qui a subi les affres du colonisateur, pourrait sauver le monde en grand pollinisateur. Jeu de mots à part, oui j’y crois ! Surtout lorsque l’on considère les emplois et la nécessaire industrialisation – durable de nos jours – cela va de soi que cette filière peut générer de beaux produits, en plus des problèmes de santé publique que le miel et les produits dérivés de l’apiculture résolvent.

Par ailleurs, le retour à une considération de produits de consommation sans traitement chimique a toutes les chances de profiter économiquement à l’Afrique s’ils sont achetés et exportés dans un cadre équitable qui a besoin de davantage de garanties et d’équité que l’estampillage Max Havelaar. À Madagascar, par exemple, point d’industrialisation ni de chimie : tous nos fruits et légumes sont « bio », n’en déplaise à la certification que l’on n’a pas les moyens de payer pour le « prouver ». Ce serait une source importante de revenus si elle était exploitée justement.

Tercio, la transmission des connaissances et des savoirs est aussi fondamental : un continent qui compte autant de jeunes en a grand besoin. Beaucoup sont capables mais peu ont les moyens d’étudier. Il faudrait, dans de nombreux pays, renforcer les capacités de formation et d’éducation. Les apports se font une fois ces jeunes formés et opérationnels. Il faudrait monter des tontines pour financer les doctorants, ces derniers devraient rembourser en prodiguant leurs connaissances, une fois le diplôme en poche. Comme je le disais plus haut, c’est avec ce type de pratiques typiquement africaines que l’on voit que l’Afrique détient elle-même les clés de son développement. Ces connaissances doivent également servir au secteur privé lorsqu’il est déficient : la rentabilité des entreprises ne peut être effective qu’avec une aptitude à établir les diagnostics et les solutions nécessaires à alimenter leur croissance. Les connaissances et les compétences de haut-niveau sont ici le chaînon manquant pour assurer leur pérennité et leur évolution et, à plus large considération, à contribuer au développement économique du pays.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

24h, c’est peu. On a pas fait Rome en un jour, et c’est calqué sur un même fuseau politique qu’on ne saurait en un temps aussi court résoudre les nombreux problèmes d’un pays pourtant aussi riche que Madagascar. Ma réponse va découler de la logique issue des réponses prodiguées plus haut.

Moi, présidente, je favoriserai la virtualisation de l’argent et la sécurisation des versements, mais c’est en lien avec la suite. Je procèderai à un renforcement judiciaire – pour ne pas dire à une révolution féroce – de lutte contre la corruption et de rétablissement de conditions de sécurité optimales pour circuler dans le pays. Cette action serait à vocation double : il s’agirait non seulement de rassurer et protéger les étrangers et relayer efficacement la protection des investissements, mais aussi de protéger la population qui souffre aujourd’hui de la dégradation affolante de la sécurité qui règne depuis 5 ans et des cas de rackets qui affaiblissent des gens sans défense.

J’exigerai des investisseurs, dans l’extension de cette réforme, qu’ils respectent les populations locales. Je ne tolèrerai pas la pollution des eaux ou le déplacement des populations de leur terre d’origine pour tout ce qui concerne les secteurs de la construction… ou d’exploitation, par exemple, de l’ilménite. Certains comprendront parfaitement de quoi je parle. C’est inadmissible et cela doit être condamné par le pouvoir exécutif qui a la responsabilité de protéger son peuple avant que ce dernier envisage de se protéger par les armes et cause, en conséquence, un contexte de guerre civile là où il suffirait juste d’instaurer des règles, fermes mais justes. Je pourrais comprendre que mon peuple en vienne à de telles résolutions par désespoir, mais je n’encourage pas la violence là où le pouvoir se doit d’agir pour éviter les conflits et favoriser le dialogue.

Madagascar doit sortir de son enclavement insulaire et de sa dépendance aux bailleurs historiques. Si cette collaboration fonctionnait réellement, le pays ne serait pas dans le naufrage dans lequel il s’enlise depuis. On a plus le sentiment de nager en une forme revisitée de colonisation que dans l’appropriation d’une authentique indépendance ; même si l’image est plus subtile parce qu’on est habillé à l’occidentale, le leurre demeure impossible face à la grossièreté de la situation. On n’invente pas une collaboration réussie à force de pacification et de cache-misère.

Je crois que de nouveaux partenariats économiques doivent s’instaurer afin de se libérer de ces leitmotivs historiques grotesques, mais dont l’absurdité est impactante.

Je favoriserai donc la coopération avec des partenaires économiques tels que le Japon, la Corée du Sud. Ces États ont su se redresser d’évènements historiques qui auraient pu les anéantir et les asservir par des formes de dépendance économique où ils auraient eu tout à perdre, qu’il s’agisse des lendemains douloureux d’Hiroshima ou de la ruine causée à la Corée par le Guerre de Corée. Je serais d’avis que Madagascar établisse un lien d’échange et de coopération économique fort avec ces pays, par ailleurs intéressés par le continent. Par ailleurs, je développerai les partenariats économiques interafricains, avec des pays proches comme les pays d’Afrique de l’Est – Kenya, Tanzanie, Namibie, Mozambique, pour la création d’un hub/cluster tourisme en commun – et des économies fortes telles que la Guinée Équatoriale ou l’Angola, pour les inviter à axer la diversification de leurs investissements dans notre pays.

Enfin, la politique de santé est une catastrophe et les équipements sont rares à Madagascar, bien que nous ayons de brillants médecins à qui on ne donne pas les moyens d’exercer dignement leur indispensable métier. Moi présidente, j’engagerai une politique d’urgence pour la construction d’hôpitaux et de centres de soins.

Propos recueillis par la Rédaction

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