L’aversion au risque ou l’étrange darwinisme des marchés africains

[Africa Diligence] Le repli des entreprises européennes, observé sur les marchés africains, depuis les années 80, ressemble étrangement à la disparition d’une espèce. Phagocytées par la concurrence asiatique et américaine, les sociétés du vieux continent, déjà atrophiées par l’aversion au risque, observent ce recul avec une inquiétude et une révolte sourdes.

Depuis Michel Camdessus, directeur général du Fonds Monétaire International de janvier 1987 à février 2000, c’est un lieu commun d’affirmer que « l’Afrique est la nouvelle frontière de la croissance mondiale. » Même les projections les moins optimistes y prévoient la croissance la plus rapide au monde jusqu’en 2040, dopée notamment par une démographie galopante aux pouvoirs d’achat et d’épargne croissants. De la bonne gouvernance à la construction des infrastructures en passant par la facilité à faire des affaires, la moindre avancée se traduit par un point d’attractivité, tant le continent part de loin… Pour les entreprises et investisseurs internationaux qui répondent à l’appel de l’Afrique, le risque a changé de nature et de camp.

Ce qui est risqué, c’est le confort fragile dans lequel vit l’Europe

Selon les chiffres du ministère allemand de la Coopération, seul un millier d’entreprises allemandes sont actuellement actives en Afrique. Un tiers des investissements vont en Afrique du Sud. A l’inverse, le continent noir représente moins de 3% des exportations allemandes. Au cours de la décennie écoulée, Berlin s’est relativement contenté de cette situation, Angela Merkel ne se rendant sur le continent que pour parler de sécurité, de lutte contre le terrorisme islamiste, et de stratégie anti-migratoire. Déstabilisés par l’âpreté de la concurrence asiatique et inquiets de leur avenir, les opérateurs économiques allemands ont fini par faire entendre à leur chancelière que le risque absolu, c’est le confort fragile dans lequel vit le vieux continent.

Le plan Marshall a vécu en Europe. En Afrique, il faut trouver autre chose

Le grand réflexe pavlovien des bureaucrates est l’obsession à vouloir systématiquement faire du neuf avec du vieux. Entre paresse et crise de l’imagination, ceux de Berlin ont convoqué un « Plan Marshall » pour packager leur nouveau dispositif de coopération avec l’Afrique devant l’appel persistant des entreprises allemandes. Malgré les années qui passent, les bureaucrates allemands n’ont pas relevé le changement des élites et des mentalités qui s’opère sur le continent à l’ombre des vieilles figures autoritaires. C’est la nouvelle génération d’Africains qui dit aux Allemands : le « Plan Marshall » a vécu en Europe. Et si on innovait en Afrique ? En clair, l’emballage des allègements fiscaux et autres garanties de crédit n’emballe pas les Africains.

Elles sont pourtant créditées d’une perception de qualité exceptionnelle

Le darwinisme des marché africains n’a eu de cesse de faire reculer les entreprises européennes au cours des deux dernières décennies. Malgré leurs performances, la plupart ont plié bagages devant un territoire devenu proprement hostile. Pourtant créditées d’une perception de qualité exceptionnelle, les sociétés européennes ont ainsi perdu du terrain dans les secteurs de l’énergie, des bâtiments et travaux publics, et plus généralement des infrastructures de développement, empêchées par les réalités du terrain, laminées par la concurrence asiatique. Pour leur retour, les Allemands rêvent de sécuriser leurs sociétés en contribuant notamment à l’émergence des pays africains via le renforcement des partenariats économiques. Quid des autres entreprises ?

Bienvenue dans l’ère de l’innovation comportementale en terrain hostile

C’est bien connu : toutes les sociétés n’ont pas accès à la diplomatie économique qu’elles sont en droit d’attendre de leur Etat. En Belgique, quelques entreprises bénéficient de l’appui des diplomates belges dans les dossiers de règlement d’impayés, à l’étranger, mais leur nombre est limité. Et à y regarder de près, c’est l’entregent de leurs dirigeants qui fait la différence. Côté allemand, Berlin a longtemps répandu l’idée qu’il est indispensable que les pays dans lesquels investissent ses acteurs économiques soient stables, non corrompus, et disciplinés en matière de délais de paiement. Un peu comme en république du ciel… Leur discours a évolué depuis.

Guy Gweth