Le banquier de l’Afrique s’habille en jaune

[Africa Diligence] En une quinzaine d’années, la Chine s’est imposée comme le partenaire économique incontournable de l’Afrique, devenant l’une des principales sources de financement de projets. Une dépendance qui inquiète les Occidentaux et leurs alliés africains. En témoigne, cette lecture pas très jaune de Jacques Hubert-Rodier.

« Les Chinois disent toujours : si vous voulez devenir riche, il faut construire des routes. » La formule du ministre sud-soudanais des Affaires étrangères, Barnaba Marial Benjamin, à l’issue du sommet Chine-Afrique de l’année dernière, résume l’un des maux de l’Afrique, « le continent de l’avenir » : l’inadaptation de ses infrastructures. Un retard qui est « l’un des principaux obstacles à la croissance économique » du continent, notait récemment, dans une revue du FMI, Amadou Sy, responsable du programme Afrique à la Brookings Institution. Le besoin de financement non couvert de l’Afrique subsaharienne dépasse les 41 milliards de dollars par an, selon des estimations du Fonds monétaire international. Une partie des financements est toujours assurée par les institutions financières multilatérales et la Banque mondiale, ainsi que des sources privées.

Mais, depuis plus de quinze ans, la Chine s’est imposée comme le partenaire économique incontournable de l’Afrique, devenant l’une des principales sources de financement de projets. La médaille a son revers : une nouvelle dépendance, souvent mal perçue, plus d’un demi-siècle après les indépendances africaines. « Aujourd’hui le Congo [Brazzaville, NDLR] est quasiment aux mains de la Chine », affirme par exemple Benoît Koukébéné, ancien ministre des Hydrocarbures dans le gouvernement de Pascal Lissouba, qui vit en exil depuis le retour au pouvoir de Sassou-Nguesso. A ses yeux, la progression de l’endettement de son pays est due « à une gestion chaotique » du gouvernement, qui « a recommencé à gager le pétrole » avec comme principal créancier la Chine. En vertu d’un système « dangereux », selon l’ancien ministre, qui a renégocié en son temps les contrats pétroliers de son pays, une partie de la production pétrolière est ainsi destinée à rembourser la dette à l’égard de la Chine. Mais le Congo est loin d’être le seul pays dans ce cas en Afrique. D’après une professeure d’économie à l’université Badji Mokhtar, Nadia Chettab, citée récemment par « El Watan », la logique est toujours la même : la Chine prête de l’argent pour financer des infrastructures, fait réaliser les travaux par ses propres entreprises, et se rembourse en prélevant des ressources naturelles du pays concerné. Certes, Pékin s’est rapproché des agences internationales depuis le début des années 2010, mais une partie de l’endettement reste opaque. Rémy Rioux, le nouveau directeur de l’AFD (Agence française de développement), affirme ainsi que ces prêts ne sont pas forcément cachés, mais ils sont parfois accordés « à des conditions plus coûteuses que la dette apportée par les institutions multilatérales ou l’AFD ». « Ils peuvent également être attachés à des contrats à long terme sur les matières premières, dont les clauses ne sont pas complètement connues », ajoute-t-il.

La Chine n’est pas l’unique pays à se lancer en Afrique. D’autres émergents y sont présents, notamment en République du Congo, comme l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil. « Sassou-Nguesso empile les dettes », résume Benoît Koukébéné. Les pays du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête, sont également devenus des prêteurs.

Le risque d’un ré-endettement est d’autant plus fort que les pays africains, et particulièrement ceux qui exportent du pétrole, sont confrontés au ralentissement économique de la Chine, à la faiblesse de la croissance européenne et à la baisse des prix des matières premières. Ce qui risque d’affecter encore plus leur capacité de remboursement. Certes, on est loin encore de connaître une nouvelle crise de la dette africaine. Mais certains signaux sont inquiétants. Pendant quinze ans, l’Afrique a dégagé un excédent commercial avec la Chine. Or la balance commerciale, selon le FMI, est récemment devenue déficitaire.

Pour Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), le ré-endettement est un sujet d’inquiétude. Car, rappelle-t-il, l’Afrique est repartie grâce aux allégements de dette décidés dans les années 2000 pour soulager le fardeau des pays pauvres les plus fragiles. Son ré-endettement est d’autant plus rapide qu’il est lié à des achats d’armes et à la volonté de dirigeants de s’assurer la paix sociale par des dépenses budgétaires, ajoute le chercheur. Dans ses perspectives économiques d’avril dernier sur l’Afrique subsaharienne, le FMI estime que, de 2014 à 2015, le ratio médian dette publique-PIB a augmenté de 5,25 points pour s’établir à environ 43 % du PIB, avec des hausses particulièrement marquées pour des pays comme la République du Congo, le Cameroun et le Gabon. Un autre phénomène a également contribué à l’augmentation de la dette comme en Angola et en Tanzanie : la dépréciation de la monnaie. Paradoxalement les pays importateurs de pétrole comme la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Sénégal ont nettement mieux résisté, grâce à la vigueur de la consommation privée. Selon les dernières prévisions du FMI, la croissance en Afrique devrait chuter à 3 % cette année, soit le niveau le plus faible depuis plus de quinze ans, après 3,4 % en 2015 et loin des 6,8 % par an observés entre 2004 et 2008. Des perspectives en tout cas trop faibles face à la croissance démographique de l’Afrique, dont la population devrait dépasser les 2 milliards en 2020, contre 1,2 milliard actuellement. La Chine, dans ce contexte, a incontestablement un rôle à jouer. A condition de déterminer les bons projets, de les financer de façon transparente et de contribuer à l’emploi.

La Rédaction (avec les Echos)