Combien coûte le pétrole à bas prix ?

[Africa Diligence] La chute du prix du baril de 100 à 34 dollars, pour se stabiliser à 50 dollars en 2016, a bien permis à certains pays de se réjouir en 2015. Si le consommateur est gagnant, il faut toutefois impérativement noter qu’un prix du pétrole trop bas induit des risques non seulement financiers, mais géopolitiques et écologiques.

Si le prix est bas, c’est que l’offre est surabondante : environ 2,2 millions de barils/jour. Or, en conséquence de l’accord international du 14 juillet 2015, l’Iran devient un acteur incontournable dans le monde des exportateurs de pétrole. Pour rattraper son développement économique (longtemps obéré par l’embargo occidental), l’Iran ne pourra se priver de ses exportations, ce qui va évidemment être un facteur-clef au regard du maintien durable d’un prix international contraint et contenu. Cette situation ne fera qu’allonger l’ardoise des contentieux qui existent avec l’Arabie saoudite (guerre par force interposée au Yémen, divergences sur le dossier syrien, etc.) et les tensions entre chiites et sunnites. La crise au Moyen-Orient provoquerait une hausse des cours qui freinerait l’économie américaine. Cette dernière déclencherait une crise avec la Chine qui est le plus grand client pétrolier de l’Arabie saoudite, mais dépend toujours des États-Unis pour sécuriser ses routes d’approvisionnement passant par l’océan Indien. La marine chinoise n’étant pas encore suffisamment perfectionnée, ses routes sont aujourd’hui de facto protégées par les États-Unis. On évoque fréquemment la dépendance financière et économique qui s’est établie entre les deux pays – la Chine détient une grande partie de la dette américaine, alors que son économie dépend des importations américaines.

Le pétrole saoudien constitue un facteur de vulnérabilité de la Chine vis-à-vis des États-Unis, qui doit être pris en compte. La réaction de l’Arabie saoudite reste imprévisible, car elle constitue le facteur clé qui orchestre les prix en fonction de son rival l’Iran rejoignant à nouveau le marché d’exportation pétrolier. La Russie ne peut que s’aligner avec l’Iran pour mettre de la pression sur l’Arabie saoudite. Vladimir Poutine semble déterminé à rétablir sa Nation comme une grande puissance grâce à l’aventurisme militaire sur le continent européen et au Moyen-Orient.

Maintenant, il se retrouvera de plus en plus confronté à une équation financière complexe. Une réduction de 10% des dépenses publiques vient d’être annoncée, un signe évident du stress et du double impact des sanctions internationales et des prix des produits de base sur une économie qui dépend d’un prix du brut à 100 dollars le baril. Les régimes affectés de façon similaire par la chute du prix du pétrole pourraient vouloir se tourner vers leurs fonds souverains pour compenser, mais ces fonds ne sont pas illimités.

Le Venezuela est un autre exemple des pièges de ce qu’on appelle parfois la malédiction des ressources, la sur-dépendance au pétrole au détriment de la modernisation et de la diversification. Il y aura des conséquences régionales « bolivariennes » sur le modèle des luttes du Venezuela, pas le moindre de ce qui sera ressenti par Cuba, longtemps soutenue par des subventions du Venezuela et maintenant en pleine aventure avec les États-Unis. Le Brésil, autrefois décrit comme un champion de l’hémisphère sud, est maintenant sous le choc en raison de son économie contestée – aggravée par un scandale de corruption centré sur son géant pétrolier Petrobras. L’instabilité n’est pas la bienvenue chez la démocratie du Brésil.

Au Nigeria, le nouveau gouvernement du premier producteur de pétrole en Afrique ne peut pas compter sur le prix du baril pour contrôler les réseaux djihadistes. En Algérie, un autre pays dépendant des revenus pétroliers, l’effondrement des prix pétroliers – réduction de prix du brut à moins de 10 dollars le baril – a contribué à une victoire électorale des islamistes, puis un coup d’État, puis la guerre civile. Les démocraties libérales de l’Ouest ont bénéficié de l’effondrement du bloc soviétique, même s’il est difficile d’argumenter que la baisse des prix pétroliers a engendré la paix ou encore la stabilité du monde arabe et musulman.

En premier lieu, la baisse du prix du pétrole n’encourage pas du tout les efforts que l’humanité doit engager pour réduire sa consommation d’énergies fossiles. L’Utilisation américaine et chinoise des produits pétroliers continue alors de croître. En deuxième lieu, un pétrole peu cher remet sérieusement en question la rentabilité des énergies alternatives, cela complique davantage les modalités de la transition énergétique et la compétitivité. Exemple d’un champ d’éoliens en mer. En troisième lieu, un pétrole peu cher ne permet plus de rentabiliser certains forages existants, notamment les schistes et l’off-shore, d’où les tensions sur les résultats et les cours boursiers des compagnies pétrolières. L’idée n’est pas de regretter le baril à plus de 100 dollars, mais il faut rester lucide quant à l’impact d’une matière première bradée, dont sa consommation reste toujours insensible.

Loubna Imenchal