Le groupe Bolloré peut-il rafraîchir son image tropicale ?

Avril 2009, Le Monde diplomatique[1] titre sur « les guerres africaines de Vincent Bolloré » entre « affaires, médias et humanitaires ». Quelques jours plus tôt, le 28 mars 2009 (coïncidence ?) c’est France Inter qui consacre une émission à « L’empire noir de Vincent Bolloré ».

Comme pour exécuter une commande, en moins d’une semaine, on a remis au goût du jour la vieille théorie de « Bolloré, entreprise néocoloniale » au moment où la guerre pour le contrôle des ports fait rage sur le continent africain. La contre-offensive des stratèges de Puteaux est donc attendue. Mais l’opération « transparence » organisée en avril fait l’effet d’un antalgique. Car les 3 jours de voyage effectués par Dominique Lafont, DG de Bolloré Africa Logistics, à bord de son jet, en compagnie de journalistes ne semblent pas avoir positivement impacté la perception qu’a l’opinion publique de la multinationale.

Bolloré en Afrique c’est 30% du chiffre d’affaires du groupe en 2008, 19000 emplois, un réseau de 200 agences disséminés dans 43 pays, des domaines d’activités aussi stratégiques que les transports maritimes ou ferroviaires, la logistique minière, industrielle, pétrolière et humanitaire… Depuis 2004, le groupe a raflé la gestion de nombreux terminaux à conteneurs sur le continent à l’instar d’Abidjan en Côte d’Ivoire, Douala au Cameroun, Cotonou au Bénin, Lomé au Togo, Pointe-Noire au Congo, Tama au Ghana ou Tincan au Nigeria… Et perdu quelques uns comme celui de Dakar au Sénégal en octobre 2007. Pour le groupe comme pour ses quatre principaux concurrents (l’allemand DB Schenker Logistics, l’émirati Dubaï Ports World,  le danois APMT et l’espagnol Progosa), l’objectif stratégique est le contrôle des points d’entrée et de sortie du continent car « l’Afrique est comme une île reliée au monde par les mers. Donc qui tient les grues tient le continent. »[2]

Les analystes sont presque tous d’accord sur un point: Vincent Bolloré a réussi l’un de ses plus beaux coups de communication indirecte en recevant en mai 2007 Nicolas Sarkozy, fraîchement élu président de la république, sur son yacht privé, tous frais payés. Attentifs, les décideurs d’Afrique francophone pour qui « l’ami d’un ami est un ami » ont parfaitement saisi le message. Le navire du milliardaire avait à peine mouillé au large de Delimara Bay que « la rupture » prônée par son illustre hôte s’effritait devant la real politik. Qui peut reprocher à un Etat de promouvoir et de protéger ses champions à l’international? Sauf que dans le cas Bolloré, les concurrents (aidés par les retours d’ascenseur du groupe breton à ses amis du nord et du sud) ont choisi de communiquer sur les soupçons de collusions, voire des  « liens incestueux » entre l’Elysée et Bolloré, le groupe Bolloré et les décideurs africains, les présidents africains et l’Elysée. La « Françafrique » en somme.

Or vu son artillerie [télévision (Direct 8), publicité (Havas), presse gratuite (Matin plus et Direct soir), RP (d’anciens ministres africains et français)…], il serait pour le moins prétentieux de faire une leçon de communication à Bolloré, si ce n’est que le cordonnier est rarement le mieux chaussé. L’édition de code d’éthique[3] et de publi-reportages n’est bien sûr pas négligeable. Mais il est temps de sortir des sentiers battus. En se servant de tribunes à valeurs symboliques certaines, la concurrence a réussi à porter la guerre économique sur le terrain de « la morale dans les affaires ». Pour échapper à ce crucifix où l’ont cloué ses challengers, Bolloré doit absolument faire diversion. Il faut arriver à créer une histoire à faire raconter par des gens ordinaires, un rêve à partager avec l’opinion publique. A ceux qui me disent à Puteaux qu’il faudra une révolution pour cela, je réponds toujours qu’au 21è siècle, aucune entreprise ne pourra durablement gagner si elle n’investit dans l’émotion.

Guy Gweth


[1] Le Monde diplomatique n°661, p 1, 16 & 17

[2] Propos prêtés à un « ancien de Bolloré » in  « L’Afrique n’est plus l’eldorado des entreprises françaises » dans Le Monde diplomatique de février 2006.

[3] Le groupe Bolloré aurait rédigé un code d’éthique comprenant une liste  noire de quatre pays (Érythrée, Guinée Bissau, Lesotho et Swaziland) où il ne souhaite pas investir pour « cause de corruption rempante ». Nous n’avons pu vérifier l’exactitude de cette information.