Le monde en 2030 dessiné par les analystes de la CIA

(Africa Diligence) Comment anticiper l’avenir d’un monde incertain ? C’est la mission ardue à laquelle s’est attelé  Christopher Kojm, président du National Intelligence Council, la cellule de veille et d’intelligence économique de la CIA, et coordinateur du rapport intitulé Le Monde en 2030 vu par la CIA.

Se projeter dans le futur a toujours fasciné les hommes, a fortiori ceux qui travaillent pour la sécurité nationale, les services de renseignements. Mais très souvent ce type de document prospectif relève sinon de la fumisterie, du moins de l’approximation.

Or, pour une fois, l’ouvrage préfacé par Flore Vasseur, qui dirige un bureau d’études et de prospective aux Etats-Unis, et édité par les Editions des Equateurs, échappe au réflexe naturel de la suspicion, pour deux raisons.

La première renvoie à la méthode d’analyse des auteurs du rapport : entretiens, débats interactifs avec des spécialistes, réunions de travail, études de terrain, tous les ingrédients classiques de la recherche ont été utilisés. Un effort sérieux a même été fourni en ce qui concerne le poids croissant des sociétés civiles, des ressources naturelles et de la technologie pour dessiner les contours des relations internationales de demain.

Réhabiliter le temps long

La seconde raison tient de la pluralité des conclusions du rapport. Il n’y a pas de certitude ni de vérité toute faite, un peu comme si le destin du monde ne pouvait s’écrire que dans les officines du pouvoir américain. Au contraire, Christopher Kojm et son équipe ont tenu à maintenir des vides, des creux – comme il l’écrit, sans doute pour rendre crédible la démarche – et conserver cette part d’imprévisibilité que secrète notre monde.

Ainsi, d’ici à 2030, quatre scénarios se trouveraient sur la table des décideurs. Premier scénario, le déclin de la domination occidentale se poursuit, la mondialisation s’essouffle et les conflits entre les Etats augmentent. Vision pessimiste mais plausible.

Deuxième scénario : le système se bipolarise de nouveau, cette fois autour du tandem formé par les Etats-Unis et la Chine, catalyseur d’une harmonie mondiale et d’une coopération économique rénovée. Une vision optimiste et plausible aussi.

Le troisième scénario est celui du grand écart, entre des Etats de plus en plus riches et d’autres de plus en plus pauvres ; des inégalités toujours plus criantes à l’intérieur des sociétés puissantes et sources de tensions sociales. Les Etats-Unis n’y seraient plus le gendarme d’un monde éclaté.

Enfin, dernier scénario, celui d’un monde moins institutionnalisé autour des Etats dépassés par la globalisation des problèmes, les sociétés se substituant aux pouvoirs publics.

En 302 pages, ce rapport de la CIA s’achève sur une conclusion qui devrait faire réfléchir. Et si la principale menace venait de l’intérieur du système international et non de l’extérieur ? Après tout, la crise économique n’a-t-elle pas provoqué plus de dégâts que le fléau du terrorisme ?

Cet ouvrage, à lire au moins pour comprendre ce monde sans boussole et décrypter les voies de domination du futur, réhabilite le temps long dans le domaine de l’analyse et devrait inviter les dirigeants politiques à sortir de leur obsession du temps court. Mais, plus qu’une nouvelle matrice espace-temps, ce rapport officiel en dit plus sur notre époque actuelle que sur celle à venir. Un monde apolaire qui a peur, dont le destin préoccupe surtout les services secrets et où l’Occident ne détient plus aucun monopole.

Ce rapport ne prédit donc pas l’avenir mais se fonde sur ce qui pourrait influencer le cours des événements. Il accrédite l’idée d’un monde en plein tournant civilisationnel. Pour le pire comme pour le meilleur.

Gaïdz MINASSIAN