[Africa Diligence] « Quelle serait la forme – et le contenu – d’un projet d’émergence « made in Africa ? » Le 18 juin 2015 au colloque international du CERDOTOLA, le prof. Serge Alain Godong a appelé l’Afrique et les Africains à faire l’effort de trouver l’écriture qui est la leur. « Il est impératif, pour l’Afrique, de créer sa propre marque » a-t-il dit.
Le projet pour « l’émergence » auquel ont complaisamment souscrit nombre d’États d’Afrique au sud du Sahara, au cours des dix dernières années, dans un effet englobant de mode et donc de mimétisme, établit de façon plus ou moins explicite l’idée d’une « supériorité » des référents économiques (et peut-être même culturels) qui ont conduit à la transformation radicale des sociétés (sud-est asiatiques) où une telle dialectique a historiquement été appliquée, avec des résultats donnés pour être probants – et donc imitables – pour l’ensemble du système d’évaluation et de détermination des normes dans la production des biens et des services, a relevé le prof Godong.
Dans la plupart des projets nationaux conduisant à cette « émergence »,en effet, la réflexion globale n’a été, pour l’essentiel, qu’économique – en ce sens que les différents « experts » mobilisés (la plupart des grands cabinets internationaux ou d’institutions économiques internationales comme la Banque mondiale) pour la mise en forme de ces moutures, s’échinaient à trouver la bonne combinaison, les bonnes pratiques et donc les normes à partir desquelles faire bondir la croissance du produit intérieur brut (PIB) de ces États sur une longue période. Peu, voire aucun d’entre eux, a-t-il précisé, ne s’est ouvertement et sérieusement posé la question sur la transposabilité des succès économiques – et donc des modèles de gouvernance induits – invoqués sur les territoires africains où une telle attente était explicitement exprimée.
Transposabilité à caution venant des débats internes même au capitalisme où depuis des décennies, des théoriciens ont démontré que chaque capitalisme possède, à la réalité, son identité propre, son tempérament propre, son modèle propre, construit à partir de référents culturels, institutionnels et historiques qui lui sont particuliers.
Dans ce cas, lorsque les pays africains parlent d’« émergence », de quelle « émergence » au juste parlent-ils ? Quelle est la lecture qu’ils font des modèles à réussite qui sont advenus ailleurs – et quels sont les éléments de ces modèles qu’ils sont disposés à reprendre à leur compte ? Quelles « réformes » peuvent-ils raisonnablement appliquer chez eux, au regard de ce que sont leurs propres systèmes de valeurs ? Quelle est la capacité des « cultures » africaines à intégrer des énoncés de capitalisme qui n’ont pas été pensés, imaginés et structurés avec leurs idiomes culturels ? L’Afrique peut-elle inventer ses propres standards de capitalisme – et quelle part de sa culture est la plus compatible ou rétive à l’égard de ce capitalisme et de cette invention qu’elle projette ? Quel rôle peut jouer le management, dont la mission première est avant tout d’épandre le capitalisme en tant que « modèle », pour aider à structurer un imaginaire proprement africain autour du capitalisme conventionnel ? Telles sont les questions auxquelles le professeur Godong a apporté des réponses claires, incisives et originales durant le colloque.
Serge Alain Godong, Enseignant de gestion à la Faculté de sciences économiques et de gestion de l’Université de Yaoundé II, il est spécialiste des questions de gouvernance, intervenant plus spécifiquement sur les questions de transposabilité des modèles de management et des formes de capitalisme qui y sont associées, notamment dans les pays africains. Il a publié dans la Revue française des sciences de gestion et dans la revue Gérer et comprendre. En 2011, il a également publié chez Karthala un ouvrage grand public intitulé Implanter le capitalisme en Afrique.
La Rédaction (Avec le CERDOTOLA)