Le renseignement humain au cœur du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique

[Africa Diligence] La création de la première véritable organisation des professionnels de veille et d’intelligence économique en Afrique a soulevé un vent d’espoir sur le continent et au-delà. Le blogueur français, Christophe Rohel, a interrogé les ressorts de ce Centre atypique et innovant : le renseignement humain est au cœur du dispositif.

Christophe Rohel : Il y a quelques jours a été légalisé le Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique (CAVIE) dont vous êtes le Président. Pouvez-vous nous décrire la genèse et la finalité de ce Centre ?

Guy Gweth : La création du CAVIE est partie d’un triple constat. D’abord la place croissante de l’Afrique dans les agendas de la quasi-totalité des principaux acteurs économiques mondiaux ; ensuite le nombre grandissant de professionnels Africains de l’intelligence économique à travers le monde; et enfin, la nécessité de fédérer ces derniers, d’en former de nouveaux – en réponse aux besoins des marchés africains -, de labéliser les bonnes pratiques, et d’accompagner les acteurs publics et privés locaux dans la quête et la préservation de leur compétitivité. En somme, la finalité du CAVIE est, dans sa démarche qualité, de fédérer, former, labéliser et promouvoir les professionnels de l’intelligence économique, tout en veillant et en sanctuarisant les secteurs clés de l’économie africaine grâce à la mise à disposition d’une information à haute valeur ajoutée.

Quels sont les limites empêchant le développement d’une véritable culture d’Intelligence économique sur le continent africain ? Y a-t-il des pays plus en avance que d’autres sur ce sujet ?

André Malraux avait coutume de dire que « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » ; celle de l’intelligence économique peut-être plus que d’autres. Depuis la période coloniale, l’Afrique a vécu comme un réservoir de matières premières pour les grandes puissances. La conférence de Berlin de 1884-1885 ayant tranché la question de la concurrence jusqu’après les indépendances de 1960, il n’y avait aucune raison de penser que la collecte et la diffusion sécurisée de l’information utile aux acteurs économiques était décisive pour les pays africains. Mais depuis 2000, poussé par l’intérêt grandissant de la Chine pour la qualité de nos matières premières et la taille de nos marchés, notre continent est apparu comme la nouvelle frontière de la croissance mondiale, avec la concurrence qui en découle. C’est cette nouvelle configuration qui porte, chez-nous, les germes de ce que vous dessinez comme une «véritable culture de l’intelligence économique ». Cette culture se conquiert en luttant contre de vieilles habitudes telles que l’ostracisme à l’égard des producteurs de richesses, la rétention de l’information et l’absence de données publiques fiables et régulièrement mises à jour, etc. Dans ce contexte, les pays anglophones tels que l’Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana ou l’Ouganda sont en avance sur leurs homologues francophones, très probablement pour des raisons culturelles, là aussi…

Quelles sont les spécificités du renseignement (étatique ou commercial) en Afrique? (typologie des acteurs, moyens, historique, etc.)

À cause de sa matrice culturelle et de son retard technologique, le renseignement africain est et reste principalement tributaire des sources humaines, tant au niveau militaire, politique que commercial. Même si la percée d’internet et du téléphone mobile permet de mobiliser d’autres sources, ces dernières restent largement minoritaires. C’est pour cette raison que le CAVIE a à cœur de former des professionnels de l’intelligence économique aguerris aussi bien dans la recherche électronique que dans le renseignement humain. Nos adhérents formés à l’étranger sont tous unanimes: ce dernier aspect est celui qui leur fait le plus défaut en contexte africain.

Spécialiste des marchés africains, Guy Gweth est le fondateur de Knowdys Consulting Group, leader du conseil en intelligence stratégique et due diligence en Afrique centrale et de l’Ouest. Responsable du Programme « Doing Business in Africa » à Centrale Paris et EMLyon, il enseigne la due diligence en MBA à l’ESG Management School de Paris, la veille stratégique à BGFI Business School de Libreville, et la géostratégie africaine à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Outre le Centre africain de veille et d’intelligence économique, il préside également le Groupe de Recherche et d’Action sur la Sécurité Informatique en Afrique (GRASIA). Il est notamment l’auteur de « 70 chroniques de guerre économique » paru en 2015.

La Rédaction (avec Knowdys Database)