L’état des lieux des investissements japonais en Afrique – Par Me Romain Battajon

[Africa Diligence] Avant la fin 2000, les relations nippo-africaines étaient marquées par la coopération en matière d’aide au développement, orchestrée notamment depuis 1993 par la Conférence de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad) en partenariat avec le PNUD et la Banque Mondiale, dont la 5ième édition a eu lieu en 2013.

Les échanges commerciaux et les investissements directs demeurent relativement faibles entre le Japon et l’Afrique. D’après une étude[1], la frilosité du Japon à investir en Afrique est due aux classiques problèmes structurels et macroéconomiques (instabilité politique et législative, nationalisation, insécurité pour les personnes et les biens, infrastructures inadéquates, risque sanitaire, barrières douanières et fluctuation de la monnaie). De plus, les différences culturelles et le manque d’informations sur les opportunités d’affaires et le cadre juridique applicable dans les pays africains constitue un autre frein à l’accroissement de la présence des investisseurs japonais en Afrique.

Cependant ces cinq dernières années témoignent d’un accroissement des investissements directs japonais en Afrique qui, en 2007, ont dépassé le montant de l’aide publique au développement nipponne. Entre 2003 et 2007 le taux d’exportation du Japon en Afrique a doublé pour atteindre 11,6 milliards USD et le taux d’importation a atteint un taux historique de 14,8 milliards USD. Les échanges commerciaux, concernant essentiellement les matières premières, dont le commerce a fortement été touché par la crise de 2008, rendant la balance commerciale nipponne déficitaire. Les acteurs japonais ont donc entrepris de diversifier leurs investissements en se tournant notamment vers le secteur des infrastructures.

Dans un rapport publié en mars 2015, le cabinet juridique Linklaters faisait ainsi le constat suivant, qui tranche avec les informations habituellement diffusées :

« Sur les 4,2 milliards USD que les pays asiatiques ont investi durant l’année écoulée dans la réhabilitation des routes, l’adduction d’eau, le déploiement de réseaux d’assainissement et la construction d’oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards USD (…). Le Japon se positionne désormais comme le contributeur le plus actif au financement des projets en Afrique. Dans ce domaine, le pays du Soleil levant investit près de trois fois plus que la Chine, qui est souvent considérée à tort comme l’investisseur asiatique le plus actif sur le continent »[2].

Et le directeur de la division Afrique de ce cabinet de préciser : « Nous avons assisté à une phase où l’on a enregistré de grands investissements japonais en Afrique durant une période qui s’est étalée sur 10 à 15 ans. Et une nouvelle vague de gros investissements est attendue »[3].

1.  DONNÉES GÉNÉRALES SUR LES INVESTISSEMENTS JAPONAIS EN AFRIQUE

1.1  Les traités d’investissement

À ce jour, le Japon a signé une douzaine de traités d’investissements internationaux dans le Monde, dont seulement deux avec des pays africains, l’Égypte et le Mozambique.

1.2  Les échanges commerciaux

Malgré des relations anciennes avec l’Afrique, le Japon ne représente que 2,7% des échanges commerciaux de ce continent, contre 13,5% pour la Chine, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

L’essentiel des importations du Japon en provenance de l’Afrique sont des ressources naturelles, notamment le pétrole du Soudan, de l’Angola et du Nigeria, et les métaux rares d’Afrique du Sud, d’Ouganda et de Zambie.

Les exportations japonaises en Afrique concernent principalement les véhicules automobiles (24%), les navires (6%) et les machines-outils (4%).

L’Afrique du Sud est un partenaire privilégié et historique du Japon totalisant 50% des échanges commerciaux du Japon en Afrique en 2008, suivi par le Soudan (11 %), l’Égypte (8 %) et le Nigeria (5 %)[4].

En janvier 2015, les exportations du Japon vers l’Afrique ne représentent que 1,9% et les importations 2,3%[5] des flux globaux du Japon.

1.3  Les investissements japonais en Afrique

En ce qui concerne les investissements directs du Japon à l’étranger, ils s’élèvent à 1,466 milliards USD en Afrique en 2014, contre 119,727 milliards USD avec le reste du monde[6], représentant seulement 1,2%[7] du volume mondial du Japon. Et 85% de ces IDE sont destinés à l’Afrique du Sud et à l’Égypte, particulièrement dans le secteur minier et l’automobile.

Lors de la Conférence J-Summit en 2013, le Japon s’est engagé à investir deux milliards USD dans les projets miniers et énergétiques en Afrique sous la forme de prêts directs, souscription de dette et prise de participation.

Le Premier Ministre japonais, M. Shinzo Abe, a ainsi insisté, lors d’un sommet de l’Union Africaine en janvier 2014, sur la nécessité pour son pays de renforcer les liens économiques avec l’Afrique, et notamment de promouvoir le secteur privé, en disant que « l’Afrique est devenue le continent porteur d’espoir pour le monde, à travers son potentiel de ressources et le dynamisme de sa croissance économique. »[8]

Ces annonces ont été suivies par la signature, en juin 2014, d’un mémorandum d’entente entre le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), portant sur le développement des infrastructures et de l’agriculture en Afrique.

2. Les opérateurs économiques japonais en Afrique

2.1  Les principales entreprises japonaises en Afrique[9] : projets et secteurs d’activités

Comme mentionné précédemment, les principaux secteurs d’investissement des sociétés japonaises en Afrique sont le minier, l’automobile, le pétrole et les infrastructures.

        2.1.1   Komatsu – BIA Group

Le groupe belge BIA est présent dans dix-neuf (19) pays en Afrique subsaharienne accompagnant les sociétés minières, forestières et d’infrastructure dans leurs opérations en qualité de fournisseurs d’outils et machines.

Créée en 1921, l’entreprise japonaise Komatsu a signé en 1998 un contrat de distribution exclusive avec le Groupe BIA. Aujourd’hui, ce contrat couvre 14 pays d’Afrique, dans lesquels Komatsu fournit à BIA des équipements de génie civil et des machines-outils.

        2.1.2   Mitsui & Co

Mitsui & Co est une entreprise industrielle spécialisée dans les métaux, la machinerie & l’infrastructure, la chimie, l’énergie et l’innovation. Cette société cotée à la bourse de Tokyo a ouvert sa première représentation en Afrique du Sud en 1929.

À travers sa filiale Mitsui & Co Europe PLC, l’entreprise dispose de trois succursales africaines, à Alger, Maputo et Nairobi.

Cette société livre des locomotives depuis les années 1980 à l’entreprise nationale sud-africaine de transport.

Mitsui a aussi réalisé un contrat EPC, signé en 2011, pour l’extension de la centrale électrique Takoradi T2 au Ghana.

Plus récemment, Mitsui a acquis, au Mozambique, 20% des parts d’un permis de recherche couvrant un bloc pétrolier offshore, dont les récentes opérations révèlent une présence conséquente de gaz permettant le développement de LNG (Liquefied Natural Gas) d’ici 2018.

        2.1.3   Sojitz

Le groupe Sojitz est né de la fusion des entreprises Nichimen et Nisso Iwai en 2003 ; il s’agit une entreprise de négoce internationale.

Le groupe Sojitz a une présence en Afrique dans les secteurs du transport, du bois, des métaux, ainsi que dans le secteur pétrolier et gazier.

        2.1.4   Sumitomo

Le conglomérat industriel Sumitomo opère en Afrique à travers sa filiale Sumitomo Corporation Africa (Pty) Ltd, notamment dans les domaines suivants : alimentaire, métaux, mines, électricité, machines-outils et transport, plus particulièrement en Afrique du Sud, en Libye, à Madagascar et au Kenya, pays dans lesquels elle a aussi réalisé des projets d’énergies renouvelables.

        2.1.5   Le groupe Mitsubishi

Le conglomérat industriel Mitsubishi a des opérations en Afrique dans le secteur des infrastructures et du minier. À titre d’exemple, la société Mitsubishi, en partenariat avec le gouvernement mozambicain et avec les sociétés BHP Billiton et IDC, ont réalisé en 2006 au Mozambique les méga-projets Mozal I and Mozal II de production d’aluminium, pour un investissement global de 2 milliards de dollars.

        2.1.6   Marubeni

Marubeni est également une entreprise cotée à la Bourse de Tokyo, spécialisée, en Afrique, dans le commerce des métaux, les solutions énergétiques et les machines. Elle possède des filiales ou bureaux de représentation commerciale en Afrique du Sud, en Éthiopie, en Algérie, au Nigeria, en Libye, au Ghana, en Angola, au Maroc et au Kenya.

2.2   Les projets entrepris par des opérateurs japonais en République Démocratique du Congo (RDC)

La RDC est un exemple de la frilosité des opérateurs japonais à investir dans des environnements à haut risque[10].

La plupart des activités d’entités japonaises en RDC relèvent de la Coopération japonaise (la JICA) ou de projets sur financements internationaux, comme la réalisation de la route des Poids-Lourds dite Boulevard Congo-Japon à Kinshasa (par la société Kitano), la construction du Pont Matadi (ex-Pont Maréchal), du bâtiment de l’Institut National de Préparation Professionnelle (INPP), du bâtiment de l’Institut National Pilote d’Enseignement des Sciences de la Santé (INPESS), ou encore de l’Usine de traitement d’eau de la commune de Ngaliema à Kinshasa[11].

En 2014, les représentants de l’État du Japon en RDC ont néanmoins exprimé leur volonté de développer des projets de partenariat public-privé dans la construction d’infrastructures en RDC.

À ce jour, aucun investissement conséquent japonais en RDC n’a cependant été répertorié, si ce n’est l’implantation d’une concession CFAO à Kinshasa au 1er semestre 2015.

Il y a quelques années, la firme japonaise Tokushukai Medical Corporation, qui exploite plus de 200 hôpitaux au Japon, avait manifesté un intérêt pour construire un grand hôpital de haut niveau technologique à Kinshasa. Mais ce projet est depuis resté lettre morte. Pendant ce temps, c’est une compagnie chinoise qui a construit à Kinshasa le plus grand hôpital d’Afrique Centrale (l’hôpital du Cinquantenaire).

À l’issue d’un entretien, en juin 2013, entre le Ministre congolais des Affaires Étrangères et l’ambassadeur du Japon en RDC, un communiqué paru sur le site de l’ambassade faisait état des conclusions suivantes : l’ambassadeur japonais avait affirmé que les Japonais ont un grand intérêt pour la RDC et avait exprimé sa volonté de promouvoir ensemble les relations économiques bilatérales, ainsi que les vives attentes du Japon quant à l’effort en cours en RDC pour l’amélioration d’un climat favorable aux investissements ; tandis que le ministre congolais des Affaires Étrangères avait exprimé sa reconnaissance pour l’aide efficace du Japon, notamment l’assistance dans le domaine de la réforme de la police, et avait réaffirmé son espoir pour une augmentation des investissements des entreprises japonaises vers la RDC, notamment dans le domaine des ressources naturelles[12].

De même, lors de la visite d’une délégation d’entreprises japonaises en RDC en février 2015, l’ambassadeur du Japon a indiqué que les sociétés japonaises pourraient investir en RDC dans des secteurs comme les infrastructures et l’aménagement du territoire[13].

CONCLUSION

Pour conclure cet état des lieux des investissements japonais en Afrique, nous pouvons écrire tout d’abord que, contrairement aux idées reçues, le Japon figure parmi les investisseurs les plus importants en Afrique, mais essentiellement dans le cadre du financement de projets. Ensuite, il apparaît que les quelques sociétés japonaises qui investissement en Afrique se focalisent pour le moment surtout sur quelques pays d’Afrique de l’Est et Australe (Afrique du Sud, Mozambique, Kenya principalement), et à l’Égypte.

Il faut aussi constater que les problématiques culturelles, de bonne gouvernance, de stabilité politique et de sécurité, ainsi qu’une déficience informationnelle manifeste sur l’Afrique chez les opérateurs économiques japonais sont les principales raisons qui freinent l’accroissement des relations commerciales et des investissements japonais en Afrique. Le cas de la RDC est un exemple manifeste de ces points de blocage, malgré l’intérêt plusieurs fois exprimé par les autorités et des entreprises nippones.

Il convient donc de mieux faire connaître à ces dernières le contexte économique, social et culturel et le cadre juridique des investissements en Afrique en général, et en RDC en particulier.

Le développement d’instruments juridiques internationaux et bilatéraux (traités d’investissement, conventions fiscales, accords de garantie, etc.) entre le Japon et les pays africains, notamment avec la RDC seraient aussi un atout sérieux pour aider à renforcer les investissements japonais.

Pour apporter sa contribution à l’amélioration des échanges juridiques et commerciaux entre le Japon et l’Afrique, le cabinet Battajon Avocats, partenaire de Knowdys Consulting Group, a initié un accord de coopération avec le cabinet d’avocats japonais Akasaka, dont l’un des associés, Me Shinji Sumida, est l’un des rares avocats nippons à travailler sur des dossiers d’investissements en Afrique.

Romain Battajon

Avocat / Attorney-at-Law – Battajon Avocats

Head of ABLE Network (Africa Business & Legal Expertise)

Consulting Partner Afrique – BI for Business Integrity & Partners LLC

Chargé d’enseignement à l’Université Libre de Kinshasa

+243 (0)851 432 965 / +33 (0)1 53 70 43 34 / Twitter : avocat_battajon

Notes

[1]        Burgschweiger Nadine, « Towards a vibrant Africa : The beginning of a new era of Japanese African

         partnership ? », Afrika Spectrum, GIGA, Institute of African Affairs, Hambourg, 2008

[2]     http://www.agenceecofin.com/investissement/2503-27590-le-japon-investit-trois-fois-plus-que-la-chine-dans-le-financement-des-projets-en-afrique-selon-linklaters

[3]        Ibid

[4]        Source : Ministère des Finances japonais, 2008

[5]        Idem

[6]        Idem

[7]        Idem

[8] http://www.agenceecofin.com/investissement/1401-16671-le-japon-double-sa-promesse-de-pret-au-secteur-prive-africain-a-2-milliards-de-dollars

[9]        Bien que non visées dans cette étude, citons quand même ici les sociétés Konoike Construction of Osaka (projets d’infrastructures, notamment au Mozambique), Kobe Steel et Toyota (à travers l’entrée au capital substantielle, en 2012, dans le groupe français CFAO, géant de la distribution automobile et pharmaceutique en Afrique).

[10]       Dans une allocution prononcée en 2009, l’ambassadeur du Japon en RDC a rappelé que « pour promouvoir les investissements japonais, il faut fournir aux investisseurs japonais des informations utiles et actualisées sur la situation politique, économique et sociale de la RDC » (Radio Okapi, 2009)

[11]       http://groupelavenir.org/commission-mixte-japon-rdc-plan-quinquennal-developpement-social-et-paix/

http://www.rdc.emb-japan.go.jp/embassy/embassy/cooperation_japonaise.html

[12]       http://www.rdc.emb-japan.go.jp/embassy/embassy/entretien%20rdc.html

[13]       https://www.primature.cd/public/cooperation-rdc-japon-des-entrepreneurs-nippons-invites-a-participer-au-developpement-de-la-rdc