Les produits agricoles africains plus compétitifs sur les marchés. À quelles conditions ?

[Africa Diligence] L’agriculture en Afrique subit une rude concurrence des produits subventionnés à la production et/ou à l’exportation et du protectionnisme de la part des pays industriels et émergents.

Pour accéder aux marchés, les filières agricoles africaines doivent remettre en cause leur système de production et leur mode d’organisation sociale.

En instaurant une taxe à l’exportation de l’arachide en octobre 2016, 40 FCFA pour le kilo d’arachide décortiquée, 15 FCFA avec la coque, les autorités sénégalaises voulaient avant tout protéger cette filière essentielle pour l’agriculture du pays, qui implique près de 60 % des paysans. Car les exportateurs chinois présents au Sénégal achetaient, au-dessus du court du marché, une grande partie de la production, laissant certains agriculteurs sans semence pour la saison suivante. Mais cette année, alors que la production nationale est exceptionnelle, estimée à 1,4 million de tonnes, les intermédiaires chinois ont boycotté le Sénégal. Depuis le 1er décembre dernier, les stocks s’écoulent très lentement malgré un prix de 210 FCFA le kilo. En Conseil des ministres, le Président sénégalais Macky Sall a donc demandé la suspension de cette taxe à l’exportation pour faire revenir les acheteurs asiatiques. Une décision pour aider la filière arachidière cette année, mais qui confirme aussi que l’ambition du chef de l’État de développer cette culture locale, d’augmenter notamment les capacités des huileries, n’est pas encore d’actualité. Une fois de plus sur le continent, la matière première de qualité, ici l’arachide, est pour le moment en grande partie transformée à l’étranger.

Premier producteur mondial et grand consommateur d’huile d’arachide, la Chine qui a fait une mauvaise récolte en 2015, s’est tournée depuis vers le Sénégal, l’un des rares pays du monde à ne pas consommer toute sa production mais aussi premier exportateur mondial d’arachide. En 2015, la valeur des exportations de ce produit au Sénégal vers l’Asie a bondi de 1,7 à 30 milliards de F CFA en 2017, selon le ministère du Commerce.

Un secteur vital pour les économies africaines

À l’instar du Sénégal, les produits agricoles sont essentiels au commerce en Afrique de l’Ouest, par exemple. Leur place dans les différents pays de cette partie du continent demeure globalement importante au niveau des exportations, que ce soit pour les différents produits de rente comme le cacao ou encore le coton, mais aussi au niveau des importations : le riz, le blé, l’huile de palme sont essentiels pour couvrir les besoins des populations. Les chiffres publiés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), montrent, qu’en moyenne, pour les douze pays de la zone où les statistiques sont disponibles, les exportations de produits agricoles représentent 23,5% du total de cette rubrique de ces pays. Ce pourcentage varie fortement d’un pays à l’autre. Pour la Côte d’Ivoire, on atteint 69% ; à l’opposé, pour le Nigeria, cela ne contribue qu’à 4%, ou encore, 5% pour la Guinée. Pour certains pays, un produit prédomine largement. C’est le cas de la Côte d’Ivoire (plus de 50% pour le cacao et plus de 70% si on ajoute les sous-produits du cacao) ou du Bénin, du Burkina Faso et du Mali pour le coton (plus de 60%, 40% et 70% respectivement).

Globalement, il faut dire que les pays africains dépendent de plus en plus de l’exportation de leurs produits de base, et des produits agricoles pour plus de la moitié d’entre eux, une tendance lourde si l’on en croit la CNUCED dans son rapport The State of Commodity Dependence Report. L’agriculture d’exportation procure 40 % des recettes d’exportation de l’Afrique sub-saharienne, par exemple. En effet, l’importance de l’agriculture dans les économies africaines se reflète aussi dans la part du secteur dans l’emploi et dans les exportations. D’après les chiffres de la Banque africaine de développement (BAD), en 2016 la population active employée dans l’agriculture a avoisiné 54%. Évaluée par région cette moyenne a été de 24% en Afrique du nord, 46% en Afrique occidentale, 52% en Afrique centrale, 53% en Afrique australe et 77% en Afrique orientale. Du côté des échanges commerciaux, on constate que dans 36% de ces pays, les exportations agricoles ont représenté plus du quart de la rubrique exportation en 2015. Il va sans dire que pour certains pays, les exportations agricoles sont essentielles. C’est le cas par exemple de l’Éthiopie et la Guinée Bissau où elles représentent respectivement jusqu’à 83 et 93% des exportations totales.

Certains comme le Ghana et l’Éthiopie ont déployé des efforts considérables pour accroître leur part ces dernières années. L’Éthiopie a ainsi multiplié par 12 sa part dans les exportations agricoles mondiales entre 1991-1993 et 2012-2014. Le Mozambique et la Zambie ont également bien progressé, partant d’un niveau bas. La Côte d’Ivoire, le Malawi et le Kenya sont aussi remarquables pour leur forte orientation exportatrice.

Toutefois, la commercialisation des produits agricoles africains à l’étranger est semée d’embûches, car l’exportation vers les marchés internationaux est souvent associée à des critères rigoureux, comme des normes sanitaires et phytosanitaires. Les exportations agricoles sont souvent dominées par une ou plusieurs cultures non transformées ou partiellement transformées, comme le café au Burundi et en Éthiopie, le cacao en Côte d’Ivoire et au Togo, ou la noix de cajou en Guinée Bissau. En effet, les exportations traditionnelles telles que le café, le cacao, le thé et les épices, ainsi que les boissons et le tabac, représentent toujours plus du tiers des exportations agricoles totales de l’Afrique. Les efforts visant à diversifier les exportations non traditionnelles, comme les fleurs, les fruits et légumes semi-transformés n’ont connu le succès que dans un petit nombre de pays, comme le Kenya. Les produits de l’élevage et de la pêche sont des exportations importantes pour certains pays, outre leur contribution considérable à la vie des ménages et aux économies nationales. Selon la Revue sur l’efficacité du développement de la BAD, les fluctuations des cours mondiaux des denrées alimentaires et des produits de base continuent d’avoir des effets dévastateurs sur le commerce et la production, en particulier depuis la crise financière mondiale de 2008. « Ces dernières années, les prix des produits de base agricoles ont largement baissé, suivant la chute des cours du pétrole. Cela risque de réduire considérablement les recettes à l’exportation et les bénéfices des agriculteurs », fait constater la BAD, qui relève dans la foulée que les consommateurs africains, qui consacrent en moyenne 80% de leur revenu à la nourriture, ont été aussi frappés durement par les flambées des prix des denrées alimentaires. Les producteurs ainsi que les économies nationales sont particulièrement vulnérables s’ils dépendent dans une très grande mesure d’un ou de plusieurs produits de base. Avec des échanges s’élevant à 15% de l’ensemble du commerce intra-africain, l’agriculture est un important moteur de croissance économique, mais demeure assez faible. Les céréales constituent un produit d’exportation significatif vers les pays voisins, tout comme les animaux vivants, la viande et les produits laitiers. Dans l’ensemble, à la fin des années 2000, la valeur des produits agricoles exportés vers d’autres pays africains représentait un cinquième des exportations agricoles totales. Cela indique qu’il y a un potentiel énorme d’expansion du commerce régional.

Des facteurs de blocages

Il faut dire que les pays africains ont plus à gagner à développer ce commerce régional. Car, si au niveau international, l’agriculture des pays africains a parfois des écarts de productivité de 1 à 1 000 avec celle des pays industriels, elle subit aussi de la concurrence des produits subventionnés à la production et (où) à l’exportation et du protectionnisme de la part des pays industriels et émergents. Rapporté aux actifs agricoles, le soutien annuel moyen est de 20000 dollars US dans les quatre grandes puissances (États-Unis, Canada, Union européenne, Japon) quand il n’excède pas 300 dollars US en Afrique sub-saharienne. Les subventions agricoles des pays de l’OCDE s’élèvent à 1 milliard de dollars par jour soit plus de trente fois la somme qu’ils accordent à l’aide publique au développement. Dans les pays industriels, les tarifs douaniers les plus élevés concernent les produits agricoles. Une récente étude de la Banque mondiale et du Center for economic and political research (CEPR) a quantifié l’impact de ces barrières tarifaires. Elle a montré que si les quatre grandes puissances ouvraient leurs marchés aux produits des pays en développement, les recettes commerciales de ces derniers augmenteraient de 14 % et leurs exportations croîtraient de 30 à 60 %. À cela s’ajoutent les mesures incitatives à l’exportation dans les pays industrialisés. Ces mesures conduisent à des prix internationaux inférieurs aux prix de revient de certains produits alimentaires pour lesquels les pays développés sont excédentaires comme les céréales et les produits carnés. De plus, les normes occupent une place croissante dans les négociations internationales. Elles couvrent des domaines de plus en plus larges (sanitaires, environnementaux, sociaux) et leurs exigences tendent à augmenter rapidement. Pour pouvoir se conformer à ces normes et donc accéder aux marchés, les filières agricoles africaines doivent remettre en cause leur système de production et leur mode d’organisation sociale. Ces adaptations sont coûteuses et rendues difficiles par le manque de soutiens publics. L’inégalité de revenus entre nations se double d’une inégalité de dépenses publiques au profit de l’agriculture. Autrement dit, le contribuable des pays riches soutient ses agriculteurs, alors que l’on demande aux paysans des pays pauvres d’apporter leur tribut aux financements des budgets des États.

La Rédaction (avec Mohamed Ould Salem)