Les ressorts du marché du luxe en Afrique enfin révélés

[Africa Diligence] Selon les analystes, l’Afrique est en train d’entrer dans le club des régions les plus stratégiques au monde pour les ventes de biens de luxe, offrant de nouvelles opportunités d’expansion aux entreprises occidentales internationales. C’est l’histoire que raconte, par exemple, la maison Cartier présente dans 20 pays d’Afrique avec des boutiques au Maroc depuis 2004.

Avertissement : Pour comprendre comment le marché du Luxe africain peut se développer tout en se différenciant, cet article a pris le parti de s’appuyer sur ce qui fonctionne et existe déjà dans les pays occidentaux. Et partant de ce postulat, nous pouvons alors imaginer des pistes de développement du secteur du Luxe sur le continent africain. L’objectif étant de passer d’une économie de service, et de consommation (secteur tertiaire et primaire) à une économie de production plus enrichissante (basée sur les ressources naturelles, les populations jeunes).

Qu’est-ce que le Luxe ?

Définition

 Selon le dictionnaire Larousse, le luxe se définit comme suit : caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux, par exemple : le luxe de la table.

Environnement constitué par des objets coûteux ; manière de vivre coûteuse et raffinée.

Plaisir relativement coûteux qu’on s’offre sans vraie nécessité, par exemple : son seul luxe est sa collection de disques.

Selon le journal du luxe (JL), le luxe s’écrit avec trois « E » : Exception, Excellence et Émotion.

Coco Chanel disait du luxe : « Le luxe est le contraire de la vulgarité ».

D’autres diront du luxe que c’est un plaisir égoïste, un savoir-faire caractérisé par sa rareté.

Avec toutes ces définitions, on se rend bien compte que le luxe est difficile à définir tant cette notion est toute relative et subjective.

Quels secteurs d’activité ?

Les secteurs d’activité proposant du luxe sont :

  • La Haute couture (Chanel, YSL, Dior, Hermès, Weston, Gucci, Dolce &Gabana, Martin et Margella…)
  • La Haute Joaillerie et la Haute horlogerie (Van Cleef et Arpels, Rolex, Breitling, …)
  • La « Haute Cosmétique (Elisabeth Arden, Sisley…)
  • La parfumerie et la haute parfumerie (Hermès, Dior, Chanel…)
  • Le marché de l’Art (Christie’s…)
  • L’hôtellerie de luxe (Groupe Accor, Hilton, …)
  • Spiritueux et alcool haut de gamme (Cognac XO, Rhum vieux Clément XO, HSE XO…)
  • Cigares (Montecristo, Cohiba…)
  • Aviation privée (MJets, jetfly…)
  • Tourisme de Luxe (Étendues sauvages, marcovasco Kenya…)

Le business model : les 8 commandements selon JN Kapferer

  • Je ne délocalise pas la production
  • Je ne fais pas de publicité. On emploie de symbole pour communiquer. On est dans la subtilité
  • Je communique vers l’extérieur au cœur de cible. Le luxe n’est pas un plaisir solitaire
  • Je contrôle la distribution et l’expérience du client final
  • Je n’accorde pas de licence
  • J’établie un prix plus élevé que normal
  • Je développe des relations directes en one to one avec mes clients

Le rôle du prix dans la perception du luxe

Selon Jean-Noël Kapferer (Chercheur au Inseec Institute, Professeur à HEC), il faut partir du consommateur pour avoir une idée de la façon dont un produit de luxe est perçu. Le prix joue un rôle central dans la perception du luxe, il faut qu’il soit élevé par rapport au prix moyen.  JN Kapferer souligne que les facteurs influençant la perception sont principalement l’âge, le revenu et l’immersion préalable dans le luxe.

La Symbolique

Le luxe revêt un caractère ostentatoire en ce qu’il marque une discrimination visible entre les classes, entre ceux qui maîtrisent les codes et les autres.

Le mot clé du luxe c’est : durée, culte, patrimoine, le caractère incomparable (le luxe sur-mesure)

Répartition géographique

Selon une étude de Bain & Co de 2017, Luxury Study, la répartition géographique du luxe personnel et vins et spiritueux se répartit de la façon suivante : 33% pour l’Europe (Zone comprenant l’Afrique, le Moyen Orient et la Russie définit dans le secteur du luxe sous le nom de zone EMEA) ; 32% pour le continent américain ; 30% pour l’Asie et 5% pour le reste du monde.

La filière du cuir en France et en Italie 

Dans la filière cuir, l’Europe pèse pour 1/3 des exportations mondiales (35%) dont la moitié vient de l’Italie (12%) et de la France (4%). Respectivement à la 2ème et 4ème places des exportations tous secteurs confondus, ces leaders européens s’illustrent notamment dans le haut de gamme voire le luxe. L’Italie se maintient à la 1ère place des principaux exportateurs mondiaux de cuirs finis (22%) et fournit majoritairement la Chine, la Roumanie, Hong Kong, les Etats-Unis et l’Espagne. La France quant à elle exporte 6% de cuirs et peaux bruts dans le monde et conserve sa 3ème place.

 Qu’est-ce qu’une filière ?

 Une filière du luxe regroupe plusieurs types de métiers. Si on prend l’exemple des cosmétiques ou du textile, la filière débutera au niveau de la paysannerie (l’exploitation et la récolte de cultures comme le coton, moringa, le karité…). Ensuite, des métiers de l’agriculture on passera par ceux de la transformation industrielle comprenant des savoir-faire d’ingénieurs, de techniciens mais également d’ouvriers.  Et une fois le produit fini, ce process est relayé par les métiers de la logistique (stockage, transport) jusqu’à la mise à disposition des clients finaux en ligne ou en physique dans les boutiques avec tout le marketing et la communication y afférent. L’ensemble forme un écosystème.

Exemple : ECOSYSTEME AGRO-Cosmétique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Révolutions et impacts légaux

Aujourd’hui, en Occident, on assiste à une révolution dans le secteur du luxe, de la mode. Le « Consomm’acteur » final étant plus intelligent. Ce dernier réclame plus d’information sur la traçabilité de son produit. La réglementation l’impose. Au regard de l’Accord de Paris sur le climat conclu le 12 décembre 2015 (COP21), les entreprises doivent se mobiliser pour adopter des solutions respectueuses de l’environnement.

On a l’exemple dans la mode low-cost de l’enseigne Primark qui investit depuis 2013 de manière massive dans le coton durable. Elle peut fournir au client des informations sur la traçabilité des vêtements depuis les matières premières employées en passant par la production jusqu’à l’approvisionnement dans ses magasins. Cette nouvelle politique est un véritable enjeu pour l’enseigne de 75.000 salariés qui se classe parmi les leaders européens avec 373 points de vente.

Katharine Stewart, Directrice du commerce éthique et de la durabilité environnementale du Groupe souligne : « le coton est l’une des fibres que nous utilisons le plus. Nous devons donc avoir une expertise technique et indépendante sur ces process. Primark a multiplié par 5 le nombre de ses fournisseurs, qui seront formés d’ici 2022 à des méthodes agricoles plus respectueuses de l’environnement. Plus de 160.000 agriculteurs concernés répartis en Inde, Pakistan, Chine.

Consciente de ces enjeux environnementaux, cet été dans le cadre du G7, une alliance de 30 entreprises représentées par M.  François-Henri Pinault ont rédigé et présenté un « Fashionpact » destiné à Emmanuel Macron. Ce pacte vise à établir des objectifs fondés sur des critères scientifiques, en vue de prendre des mesures pour réduire leur impact. Les entreprises s’engagent à développer leurs propres stratégies autour de 3 axes : la biodiversité, les océans et le climat.

Ces engagements seront transcrits dans une loi en France au même titre que le projet de loi pour une économie circulaire, qui contient un volet sur les invendus textiles.

Le Luxe en Afrique, de nouvelles opportunités, pour qui ?

Les grandes marques de luxe voient en l’Afrique un nouvel Eldorado !

Qu’il s’agisse de voyage, de mode, de joaillerie, de vins et spiritueux ou tout autre produit de luxe, selon Stéphane Truchi, président de l’IFOP et Expert du Marché du Luxe : « l’Afrique est en train d’entrer dans le club des régions les plus stratégiques au monde pour les ventes de biens de luxe, offrant de nouvelles opportunités d’expansion aux entreprises occidentales internationales. »

L’exemple de Cartier présent dans 20 pays d’Afrique avec des boutiques au Maroc depuis 2004 et en Afrique du Sud depuis 2007.

Le Maroc et l’Afrique du Sud sont les principaux hubs pour les marques de luxe qui souhaitent s’implanter en Afrique. L’attractivité de ces deux pays vient du fait qu’ils ont pu s’organiser en filière de distribution (zone de chalandise du luxe bien identifiée) ou véritable foyers de marques internationales : exemple de Sandton City à Johannesburg et Morocco Mall à Casablanca. On peut ajouter des pays comme le Kenya (tourisme de luxe – safari), l’Egypte, l’Angola, le Nigéria, et le Ghana.

Ce qui peut expliquer ce manque d’organisation en filière du marché du luxe sur le continent africain vient du fait que les africains à moyens et hauts revenus préfèrent dans la majorité des cas profiter de leur séjour en Europe, aux USA ou à Dubaï pour acheter des produits de luxe dans les boutiques ou en Duty free. Par conséquent, cela ne représente pas d’intérêt pour les différents acteurs potentiels de ces filières d’installer des zones de chalandise à l’identique de l’avenue Montaigne (Paris), la 5ème avenue (NYC), l’Avenida de Catalunya (Barcelone)…

Quid du savoir-faire africain dans le domaine du Luxe ?

L’attractivité du luxe, d’une marque passe par la structuration de sa filière depuis l’exploitation de la matière 1ère jusqu’à sa distribution au client final.

Une amorce…

 De plus en plus de jeunes entrepreneurs pénètrent le domaine du luxe. Certains vont même jusqu’à la conquête des fortunés du monde entier à l’instar de l’Anglo-nigérian Alexander Amosu (designer, service de conciergerie de luxe, téléphonie, presse…) reconnu aux USA surtout dans le milieu des rappers . Il n’en demeure pas moins que les filières du luxe sur le continent n’en sont qu’aux prémices.

Lors de mon entretien avec Simon Nyeck (Professeur titulaire de la Chaire Management des savoir-faire d’exception et Directeur du Centre d’Excellence Luxe, Art et Culture à l’ESSEC Business School, Cergy) : « les filières du luxe restent encore à l’état de chantier, parce que les plus grandes fortunes et même les moyennes préfèrent aller à l’étranger pour acheter leurs vêtements et accessoires de luxe. Cela fait partie de « l’expérience client de voyager ».

Il n’hésite pas à ajouter que ce sont « les plus grandes fortunes qui vont dans les beaux quartiers pour consommer. Les classes moyennes viennent souvent pour acheter de la moyenne gamme voire du bas de gamme. Ces choix sont liés à la triste conversion du FCFA en euros ». Il me donne comme exemple les quartiers de Barbes Rochechouart, Strasbourg Saint Denis Paris où une multitude de magasins se sont organisés pour accueillir les africains en vacances à Paris. Entre autres Celio et C&A, et pour les cosmétiques, un grand corner MAC Cosmetics a ouvert sur le boulevard de Strasbourg. Simon Nyeck ajoute même que « le continent en général n’est pas encore prêt à accueillir des investisseurs du Luxe ».

Quelles sont les solutions ?

 Selon Simon Nyeck : « le continent est plein de potentiel pour ce qui est du secteur du luxe. Il manque des vendeurs spécialisés dans le luxe. Il faudrait aussi des cours d’art et d’esthétique pour pouvoir valoriser les richesses artisanales et traditionnelles de façon plus moderne pour plaire au plus grand nombre ».

Carine, ivoirienne, me dit : « en Côte d’Ivoire en particulier à Abidjan, il est très difficile de définir une zone comme étant celle où l’on va trouver des produits de luxe. Ces zones sont disséminées à travers Abidjan sans véritable cohérence. Souvent à l’initiative de personnes privées ayant les moyens mais pas obligatoirement la formation, elles pratiquent ce qu’ils nomment là-bas de l’achat – revente » s’apparentant au système « D ». On retrouve ce type d’organisation dans la plupart des pays du continent.

Par ailleurs, quand on fait une recherche sur les formations dans le secteur du Luxe sur le continent africain, on les retrouve effectivement dans les mêmes lieux où se dirigent tous les investisseurs internationaux: Afrique du Sud, Kenya, Éthiopie, Maroc. A Dakar Sénégal depuis quelques années un MS en Hospitality Management (Gestion hôtelière) a été créé.

En Europe, en France plus particulièrement, il commence à y avoir quelques formations orientées entrepreneuriat, Gestion en Afrique (ex : institut pour l’entrepreneuriat en Afrique à l’ESC Lyon, MBA Intelligence Économique ESG Paris…).  Ce qui manque cruellement ce sont des formations en design, des cursus d’apprentissage à l’agriculture ou aux métiers d’ouvriers spécialisés pour pouvoir maîtriser la filière de bout en bout et débouchant tout de suite sur un emploi.

Reste à organiser les filières de bout en bout pour en avoir la pleine maîtrise, et cela passe par la volonté des pouvoirs publics. L’élément crucial est la formation aux différents stades de l’écosystème depuis l’ouvrier, le paysan en passant par le technicien ou l’ouvrier spécialisé en agronomie jusqu’à la logistique ad hoc.

Quels sont les avantages du continent ?

Un continent de plus de 1,3 milliards d’habitants soit 17% de la population mondiale. Un continent jeune (en dépit de l’âge des dirigeants dont la moyenne d’âge est de 60 ans)  l’âge médian est de 19 ans. Plus de 43% de la population du continent a moins de 15 ans. Un taux de fécondité estimé à 5% par femme. 44% du continent vit en zone urbaine, le reste en zone rurale (steppe, savane, forêt)

L’Afrique est un continent de plus d’un milliard d’individus dont l’âge médian est de 19 ans. Parmi ces jeunes, 60% sont inactifs et en grande majorité sous-employés dans le secteur informel dépourvu de droits sociaux.

Le secteur du Luxe peut être une véritable opportunité parce qu’elle a le potentiel de pourvoir des milliers d’emplois. Il s’agit maintenant que les autorités gouvernementales fassent le choix de développer ces filières. Cela passerait, bien entendu par des formations ad hoc reposant sur des savoir-faire traditionnels différenciant – des nouveaux Océans Bleus – qui pourraient être modernisés pour plaire au plus grand nombre.

La chance du continent africain est d’avoir une population jeune, encore en âge d’apprendre, créative, ouverte aux nouvelles technologies. Partant de zéro en grande majorité, l’Afrique peut adopter des nouvelles technologies tels certains secteurs (par exemple dans le textile : des logiciel de découpe Lectra…) – et avoir une approche moderne sur le développement de ses filières : smart factory, smart agro…

Il est vrai que l’Afrique fait face à certaines menaces que sont le problème d’attractivité lié au manque d’infrastructures (route, réseaux informatiques…), de filières structurées, de réglementation du travail, de formations ; avec un taux de chômage endémique et un climat des affaires corruptible.

Son défi, à l’heure actuelle, est de passer d’une économie de consommation à une économie de production pour pouvoir avoir la main sur la définition des prix de ses matières premières. De cette manière, l’Afrique pourra à la fois dynamiser sa consommation interne de produits de Luxe. Développer des échanges intracontinentaux et enfin attirer des investisseurs internationaux plus confiants.

La Rédaction