L’Etat nigérian appelle les cerveaux de sa diaspora à rentrer

[Africa Diligence] Comme un serpent de mer, le désir de rapatrier les cerveaux africains revient régulièrement dans la bouche des dirigeants politiques africains. Le nouveau ministre nigérian de la science et de la technologie n’a pas dérogé à cette norme non écrite. Comme les autres, il n’a pas voulu gloser sur les conditions du retour… Faut-il attendre que tout soit parfait pour rentrer ?

L’appel du ministre nigérian a été émis lors de sa rencontre avec les délégations du Centre National de mathématique, de l’Union mathématique africaine, et de l’Académie africaine des sciences. En sa qualité de première puissance économique d’Afrique, il est regrettable que le Nigeria soit si peu attrayant pour tous ceux qui cherchent l’excellence dans leurs domaines d’activité.

C’est un lieu commun de dire que si l’environnement est favorable, les Nigérians de la diaspora rentreraient massivement dans leur pays. Mais les professionnels que le gouvernement fédéral courtise ont besoin d’un minimum pour fonctionner de manière optimale. En tête de liste : un approvisionnement régulier en eau et en électricité de qualité. C’est une condition indispensable pour tout type d’opérateurs qu’ils soient engagés dans la médecine pour effectuer une opération chirurgicale, des chercheurs pour mener des expériences, des universitaires pour lire et écrire des livres, des ingénieurs en technologie de l’information pour concevoir de nouveaux produits, etc. Si le Nigeria veut que les universitaires, par exemple, disent « oui » à l’appel d’un retour au pays natal, Abuja doit répondre à quelques questions de base : où sont les outils modernes pour travailler ? Où sont les laboratoires ? Où sont les bibliothèques équipées de publications mises à jour ?

Dr. Onu a déclaré que « La science, la technologie et les mathématiques ont un rôle très important à jouer dans la construction nationale […] Et c’est l’absence de la science et de la technologie qui nous a maintenus dans la situation actuelle ». Il n’y a, dans ce discours, rien de nouveau. De plus, la constitution fédérale dispose que le gouvernement doit promouvoir la science et la technologie.

Récemment, le fondateur de Microsoft, Bill Gates, a proposé au gouvernement de son pays de dégager un grand budget fédéral pour la recherche et le développement, considérant cet angle comme l’« arme secrète» des Etats-Unis pour maintenir sa domination du monde dans l’innovation et la production de biens et services. L’enveloppe promise par le président Muhammadu Buhari pour la recherche et l’éducation est totalement dérisoire au vu de la position actuelle du Nigéria sur le continent et dans le monde.

Différents sondages montrent que de nombreux Nigérians de l’étranger seraient trop heureux d’avoir un réel impact économique sur leur pays. Mais ils n’arrivent pas, leur contribution étant dispersée dans les menus besoins du quotidien comme Guy Gweth, conseil en intelligence économique et fondateur de Knowdys l’a montré au cours du dîner du Cercle d’Excellence le 29 avril dernier à Bruxelles, portant sur « l’apport et l’impact économique de la diaspora africaine en Europe ».

Lire le compte rendu de Patrick Ndungidi sur le site de l’Agence d’information d’Afrique centrale

Malgré tout, la diaspora nigériane verse plusieurs millions de dollars dans l’économie nigériane chaque année. Une grande partie de cette manne échoue dans les mains des parents alors qu’elle pourrait aider le gouvernement fédéral à exécuter des projets de développement productifs avec des effets multiplicateurs identifiables. Mais pour passer cette étape, il faudrait que les membres de la diaspora aient confiance dans leur gouvernement et ne craignent pas que leur argent soit gaspillé ou détourné.

Il existe de nombreux exemples de Nigérians qui ont fait le choix de retourner avec un zèle patriotique dans leur pays. Certains ont été pressentis pour venir travailler au sein du gouvernement. Beaucoup se sont brûlé les doigts dans leur expérience de travail au Nigeria. Entre intrigues, les pratiques de corruption, de l’attitude hostile, et autre clientélisme, il faut survivre…

Pour en savoir plus, lire : Et ces diplômés africains qui se cassent la gueule en rentrant

D’autres raisons tiennent au loin les Nigérians de la diaspora. Evoluant généralement dans un environnement où la vie et la propriété sont raisonnablement sûrs, où les termes du contrat sont connus et la primauté du droit respecté, ils ont du mal à franchir le pas au profit d’un pays où les politiques publiques manquent de lisibilité, où l’Etat de droit n’est pas la norme, où les salaires ne sont pas payés pendant des mois, et l’exécution du budget fédéral est entravé par des manœuvres illégales.

Guy Gweth, en sa qualité de président du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique (CAVIE), estime qu’il ne faut pas attendre que tout soit parfait pour retourner contribuer au développement du continent. « N’attendons pas, dit-il, que l’Afrique s’adapte à nous. Mais réadaptons-nous à l’Afrique pour contribuer au développement du continent. Sinon, c’est d’autres qui le feront. Ils le font déjà… Et ils ne le font pas toujours en notre faveur.

Pour en savoir plus, lire : Diaspora africaine, c’est le moment d’investir au pays.

Au final, personne, indépendamment de tout sentiment de patriotisme, ne peut raisonnablement laisser une société où les choses fonctionnent pour une autre où la corruption des élites est un mode de vie. Certes, la plupart des Nigérians serait trop heureux de revenir et de construire leur pays. Mais, tout calcul fait, il n’est pas établi qu’il soit plus profitable pour l’Etat nigérian ou la diaspora nigériane de rapatrier les cerveaux nigérians éparpillés à travers le monde. Avis au gouvernement.

Diana Achegwe (avec AllAfrica & The Guardian)