Objectif : vendre la souveraineté énergétique aux Africains

[Africa Diligence] La lumière luit dans les ténèbres… Mais les ténèbres veulent-elles la recevoir ? Aussi curieux que cela puisse paraître, ceux qui ont acquis leur notoriété en militant pour la « souveraineté énergétique de l’Afrique » sont Européens et Américains. Hors Afrique du sud, le continent noir – qui porte bien son nom – produit moins d’électricité que la Pologne… dans une espèce d’indifférence globale des élites africaines.

Le chantier est gigantesque. « Si l’on excepte l’Afrique du Nord, dont l’électrification est un problème résolu, et l’Afrique du Sud, elle aussi largement équipée – à l’exception notable des townships – les 47 autres pays du continent ont un taux d’électrification (mesure de la population ayant accès au réseau) qui n’excède pas les 30% », fait observer Jean-Pierre Favennec, président de l’Association pour le développement de l’énergie en Afrique (ADEA).

Un Africain dispose de 40 fois moins d’électricité qu’un Européen

Dans un document publié par l’Institut français des relations internationales en 2011, Christine Heuraux, cadre à EDF et spécialiste du sujet, notait que la capacité de tous les pays d’Afrique subsaharienne réunis (hors Afrique du Sud) n’excédait pas les 34 GW pour 810 millions d’habitants, l’équivalent de celle de la Pologne qui n’en compte que 38 millions.

Et la situation ne s’est guère améliorée depuis. « Le Sénégal a aujourd’hui une capacité de 500 MW pour satisfaire les besoins de 13 millions de personnes, quand la France a une capacité 200 fois supérieure pour une population cinq fois plus importante. Un Européen dispose en moyenne d’environ 40 fois plus d’électricité qu’un Africain », précise Jean-Pierre Favennec.

Des pouvoirs publics africains impuissants

Le tableau est encore plus sombre si l’on distingue les villes des campagnes qui concentrent encore 50% de la population, alors que le taux d’électrification n’y dépasse pas les 15%. « Et s’il atteint les 60% en milieu urbain, c’est compter sans les nombreuses coupures de courant qui compliquent la vie quotidienne et sont un vrai frein à l’activité économique », souligne Jean-Michel Huet, associé du cabinet BearingPoint. « En 2013, la Lozère détenait le record de coupures avec 35 heures sur l’année. En Afrique, les délestages interviennent six heures par jour, un jour sur trois, dix jours par mois ! », précise-t-il.

À l’été 2014, lors du Mondial de foot au Brésil, les autorités du Ghana ou du Sénégal avaient d’ailleurs appelé la population et les entreprises à modérer leur consommation pour éviter la grogne des supporteurs lors des retransmissions. L’anecdote est révélatrice de l’impuissance des pouvoirs publics à inverser la tendance, ce qui s’explique, au-delà des raisons propres à chaque pays, par trois grands types de causes.

Les investisseurs privés traînent les pieds

 « La première tient à une défaillance de gouvernance, à la faiblesse de la plupart des États africains qui manquent de compétences humaines et de moyens financiers pour anticiper et accompagner un développement qui s’opère à vitesse grand V », explique Jean-Pierre Favennec.

Face à l’insuffisance de l’environnement institutionnel, législatif et réglementaire, les investisseurs privés traînent des pieds pour prendre le relais. « D’autant que développer un réseau filaire centralisé coûte extrêmement cher et n’est rentable que sur la longue durée, alors que la plupart des marchés africains sont encore trop étroits et leur capacité de consommation trop faible pour espérer des retours sur investissements attractifs », souligne Jean-Michel Huet, de BearingPoint.

Constat plutôt sombre de la situation

Ce dernier fait observer que le prix moyen du kilowattheure est de 0,13 dollar en Afrique – contre 0,15 dollar en Europe – et peut monter jusqu’à 0,50 dollar dans les zones rurales reculées. « On comprend dès lors pourquoi le paysan africain n’a que peu de chance de voir l’électricité arriver jusqu’à lui si l’on ne change pas de modèle économique », poursuit-il.

Face à ces constats plutôt sombres, il existe pourtant des raisons d’espérer. « D’abord parce que l’Afrique détient un trésor colossal », souligne Jean-Pierre Favennec. Certes, le continent abrite 10% des réserves mondiales de pétrole, 8% de celles de gaz et 6% de celles de charbon. Mais, c’est surtout sur les énergies renouvelables qu’il peut compter : l’hydraulique dans des pays comme le Congo, le Mozambique ou l’Éthiopie ; l’éolien en Afrique du Nord ou en Afrique Australe ; la géothermie dans le Rift de l’Est africain et, bien sûr, le solaire, disponible à profusion un peu partout.

Une faiblesse du secteur électrique qui menace la croissance

Autre point positif : la communauté internationale prend peu à peu conscience que la faiblesse du secteur électrique pourrait bien empêcher le continent de tirer profit de son potentiel de croissance, si l’on ne fait rien et vite. Les institutions panafricaines et internationales de développement l’ont bien compris. Elles tentent de faire émerger cinq grandes zones régionales où le réseau électrique est interconnecté afin que les entreprises puissent opérer sur des marchés suffisamment grands.

 « Après avoir apporté beaucoup d’argent à l’Afrique via l’aide publique internationale pour développer des secteurs essentiels comme l’éducation ou la santé, les pays riches réalisent, crise climatique et crise migratoire obligent, que la question de l’énergie a été négligée et tentent de redresser la barre », constate Jean-Michel Huet. « Ce qu’il faut faire, on le sait. Reste maintenant à trouver la volonté politique et mobiliser les 800 milliards d’euros nécessaires pour électrifier la quasi-totalité du continent sur vingt ou trente ans », précise Jean-Pierre Favennec, coauteur du rapport « L’énergie en Afrique à l’horizon 2050 » en cours de finalisation. Sa conclusion : « Si les Africains se prennent en mains, tout est possible.» Mais où sont ces Africains ?

La Rédaction (avec Antoine d’Abbundo et Knowdys Database)