Passeport diplomatique pour l’intelligence économique

La « grippe mexicaine » a été rebaptisée « grippe A (H1N1) » le 29 mai 2009 par l’OMS[1] à la suite d’intenses pressions exercées par les diplomates mexicains à l’ONU. Devant l’hyper-médiatisation de la crise, Felipe Calderon a vite calculé le manque à gagner que risquait de constituer l’adjectif de cette épidémie sur l’image et donc l’économie du pays. Dans un environnement où de grands médias servent de machines à faire croire et à formater les esprits, la contre-influence exercée sur des cibles stratégiques est indispensable pour minimiser le risque-pays et continuer d’attirer investisseurs, touristes, chercheurs et sportifs. A l’étranger, cette tâche qui échoit traditionnellement aux missions diplomatiques appelle désormais des compétences spécifiques qui ressortissent de l’intelligence économique (IE).

En visite officielle en Australie le 6 mai 2009, le ministre belge des affaires étrangères, Karel de Gucht, n’est pas passé par quatre chemins : « les ambassades doivent être des machines de combat économique » surtout par temps de crise. La France dont la diplomatie économique[2] a atteint des sommets d’agressivité sous la présidence Sarkozy pourrait, avec l’entrée probable de Claude Allègre au gouvernement, opter pour un super ministère de l’industrie, de l’innovation et des nouvelles technologies. Si ce projet de METI[3] à la française venait à se réaliser, nul doute que les missions du successeur d’Alain Juillet (haut responsable à l’intelligence économique) seraient reconfigurées en vue, notamment, d’une meilleure déclinaison top-down au sein des postes diplomatiques français comme le font les Japonais […]

Pour résister à la concurrence italienne, égyptienne ou tunisienne, le plan de captage des réserves de devises libyennes mis en place par certains entrepreneurs marocains bénéficient désormais ouvertement du concours de la diplomatie économique chérifienne. Avec 50 milliards de dollars d’investissements extérieurs en 2008, la stratégie de conquête des marchés étrangers voulue par Mouammar Khadafi repose sur deux principaux fonds souverains crées en août 2006. La Libyan Investment Corporation dont les marchés européens sont la cible est gérée par Mohamed Layas et dotée d’une enveloppe variable de plusieurs dizaines de milliards de dollars. A ses côtés, la Libyan African Portfolio pilotée par Bechir Salah est tournée vers l’Afrique. Rabat œuvre à attirer leurs investissements dans le royaume (…)

En Afrique subsaharienne, on note déjà une timide évolution dans les mentalités en vue d’un joint-venture diplomatique entre opérateurs économiques et dirigeants politiques. Un petit nombre de chefs d’Etat, malgré les clivages partisans, commencent à voyager à l’étranger avec leurs chefs d’entreprises. Certains parmi eux se demandent s’il faut former le personnel diplomatique à l’intelligence économique ou plutôt nommer des professionnels de l’IE au sein des missions diplomatiques pour faire face aux exigences de l’infoguerre économique. Encourageant l’initiative des premiers, nous répondons aux seconds avec le même réalisme opérationnel que les conseillers en communication du président mexicain: « urgence fait droit !»

Guy Gweth


[1] OMS: Organisation Mondiale de la Santé, organe spécialisé du système des Nations Unies

[2] Entre 2007 et 2009, la diplomatie économique de Nicolas Sarkozy a littéralement pilonné l’Afrique subsaharienne, l’Arabie Saoudite, le Brésil, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Mahgreb et le Mexique,  avec quelques succès comme la signature de l’accord d’exploitation entre Areva et le gouvernement nigérien en janvier 2009.

[3] METI: Ministry of Economy, Trade and Industry, créé en 1949 sous le sigle MITI (Ministry of International Trade and Industry), c’est le  Saint Raphael de l’économie japonaise. Il surveille les échanges intérieurs et extérieurs du pays, informe et conseille les entreprises japonaises sur les marchés extérieurs et les NTIC.