Pour une stratégie globale de sécurité économique en Afrique centrale

pp.jpgPatrice Passy est ingénieur d’affaires et directeur général de MIQ Conseil, un cabinet spécialisé en intelligence économique (IE), management de projets et ingénierie d’affaires. Depuis l’Hexagone, il compte parmi les membres les plus actifs de la communauté africaine de l’IE. C’est en exclusivité qu’il répond ici à nos questions.

Guy Gweth: à quoi faites-vous référence lorsque vous parlez de guerre économique en Afrique centrale ?

Patrice Passy: je fais référence à « l’espace convoité », à la montée en puissance du « rôle de pivot stratégique » du monde non occidental que devient l’Afrique centrale en particulier, et, plus généralement le Golfe de Guinée. Je m’explique, l’Afrique Centrale, depuis le 11 septembre, fait l’objet, non seulement, d’une réévaluation géostratégique par les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, Inde, Brésil, Royaume-Uni, France…) et aussi, d’un reclassement géoéconomique, par les « majors » pétroliers. Elle n’est plus uniquement une zone de confort stratégique française. Elle remplit désormais, les critères permettant d’intégrer les « espaces convoités », les « zones utiles », de la compétition géopolitique mondiale. A cela s’ajoute le terrorisme mondial, la cherté du prix du baril de pétrole qui fait de cette zone, partie intégrante du Golfe de Guinée, une région hautement stratégique […] Les réserves confirmées de pétrole, le long des 3.700 kilomètres de la ligne côtière du golfe de Guinée, s’élèveraient à 15 milliards de barils. Selon le Centre d’études stratégiques américain à l’heure actuelle, les pays du golfe de Guinée produisent ensemble 4 500 000 barils de brut par jour. D’après ses prévisions dans 5 ans, ces pays s’attribueront 20% du marché mondial du pétrole. La raison pour laquelle je parle de guerre économique concernant cette partie du monde est que le Golfe de Guinée, et notamment sa composante Afrique Centrale, bénéficie d’une position géostratégique qui le met en contact avec toutes les autres sous-régions. Il est donc incontournable pour toute question qui a trait à l’Afrique. Les États occidentaux (France, Grande Bretagne, Belgique, Espagne), orientaux (Chine, Japon, Inde, Israël), du Sud (Brésil) et d’Afrique (Afrique du Sud, Nigeria, Libye, Maroc) ; sans oublier leurs acteurs privés de toutes natures : multinationales, institutions internationales, idéologues, prédateurs, affairistes ont tous compris : celui qui tient le Golfe de Guinée tient l’Afrique. Nous assistons ainsi, en Afrique centrale, à des conflits entre intérêts stratégiques rivaux, concurrents, complémentaires dans le jeu des échanges internationaux.

Le climat actuel des affaires en Afrique centrale est-il propice aux investisseurs étrangers?

L’IED (Investissement Etranger Direct) occupe une place de plus en plus importante dans les stratégies de développement économique en tant que moyen essentiel pour financer le développement sans aggraver l’endettement. La volonté d’attirer l’IED en Afrique a donné lieu à des réformes économiques dans la plupart des pays de la zone franc. Réforme fiscale, juridique, financière et structurelle dans certains cas. Reste à savoir si ces réformes ont stimulé les flux d’IED vers l’Afrique et, si ces derniers favorisent l’accélération de la croissance et la réduction de la pauvreté.

Que peut rapporter concrètement l’intelligence économique et stratégique aux économies d’Afrique subsaharienne?

Nous, les acteurs et professionnels de l’intelligence économique, avons la lourde mission grâce à une forte sensibilisation, d’informer les décideurs politiques de la nécessité d’une mutation stratégique des États de l’Afrique centrale face à la globalisation. La nécessaire sécurité économique qu’imposent les enjeux émergents dans le Golfe de Guinée va donc impliquer notre savoir-faire pour susciter une impulsion forte des politiques afin de promouvoir la création de structure permettant la mutualisation des ressources publiques et privées des pays africains pour y faire face […]

L’approche fonctionnelle qui fait considérer l’information comme un bien stratégique, d’où la nécessité de préserver en toutes circonstances l’accès du pays aux sources d’informations indispensables, a été la plus adoptée par rapport à la configuration de ces États et de ses économies. A nous, non pas de critiquer comme nous aimons le faire si facilement, mais de proposer aux décideurs dans une logique d’offres, une architecture adaptée, visant la promotion d’une stratégie globale de sécurité économique aux pays d’Afrique Centrale.

Il est urgent aujourd’hui de donner aux organisations publiques et privées, un corpus juridique, une analyse adaptée des enjeux du moment et des textes dont l’importance n’est plus à discuter. A ce jour l’absence de législation sur la sécurité économique ainsi que l’inexistence d’une stratégie politique nationale de sécurité économique est l’éloquent corolaire d’un défaut de culture stratégique dans ces États./.

Depuis 2008, les meilleurs experts africains de l’intelligence concurrentielle s’expriment prioritairement sur ce site de référence.