Quand le vrai cacao du Cameroun reviendra, le chocolat s’en ressentira

[Africa Diligence] Culture emblématique au Cameroun, le cacao fait vivre directement ou indirectement trois millions de personnes dans les sept régions (sur dix) productrices du pays – principalement le Sud-Ouest et le Centre. Quand il reviendra à son meilleur niveau, c’est toute la filière qui en profitera.

 La filière cacaoyère camerounaise a connu une évolution en dents de scie au cours des dernières années sous l’influence des variations des cours mondiaux et de la production des grands pays exportateurs (Côte d’Ivoire et Ghana). Malgré une filière aux fragilités indéniables, le cacao représente toujours la première denrée exportée par le Cameroun en 2017 (58,7 % des recettes d’exportations agricoles), et le deuxième produit d’exportation derrière les hydrocarbures.

Des espoirs sont actuellement placés dans cette filière pour réduire la dépendance de l’économie camerounaise au secteur extractif. Le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) adopté en 2009 fait de la dynamisation de cette filière une de ses priorités (aux côtés des cultures de café, de la banane et du coton), avec pour double objectif d’augmenter le niveau de production et de renforcer la transformation locale.

Les fragilités structurelles et conjoncturelles de la filière cacaoyère camerounaise

Le marché international du cacao s’est extrêmement bien porté ces dernières années grâce à l’augmentation de la demande mondiale, due essentiellement à la croissance de la consommation asiatique. Il a même évolué à rebours des autres marchés des matières premières, généralement déprimés.

Ainsi, entre 2013 et 2016, les marchés ont enregistré des niveaux de cours soutenus : 3 063 USD/tonne en 2014 (+25,6 % par rapport à 2013), 3 134 USD/tonne en 2015 (+2,3 %). Cette embellie continue des cours internationaux a entraîné une augmentation significative de l’offre mondiale en fève de cacao au niveau des principaux pays producteurs, notamment en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ce contexte a débouché sur une situation de surproduction (développement de stocks importants) qui, couplée à un ralentissement de la demande globale, a entraîné une chute drastique des cours mondiaux. Dès la campagne 2016/2017, la tonne ne s’échangeait plus qu’à 1 817 USD avant de remonter à 2 070 USD en 2018.

Au Cameroun, depuis le début des années 2000, la production commercialisée progresse, mais son évolution est erratique. Sur la campagne 2017/2018, 253 500 tonnes ont été commercialisées (+9,5 % par rapport à la campagne précédente) dont 67,4 % ont été exportées, soient 170 900 tonnes. Il convient de signaler que cette campagne s’est déroulée dans un contexte sécuritaire qui n’a pas permis au Sud-Ouest, traditionnellement première région productrice, de livrer l’intégralité de sa production. Selon les statistiques de l’Office national du café et du cacao (ONCC), les exportations de cacao camerounais continuent d’être dominées par un nombre réduit d’opérateurs. Au cours de la dernière campagne, qui s’est achevée à la mi-juillet 2018, trois d’entre eux se sont adjugé 56 % des 170 900 tonnes de fèves exportées.

La chute des cours à partir de la mi-2016 a porté un coup dur à la filière cacaoyère camerounaise en révélant ses fragilités structurelles accumulées depuis la libéralisation du secteur en 1994. En juin 2017, le Conseil interprofessionnel du café et du cacao (CICC) a présenté quarante mesures au Ministre du Commerce pour une sortie de crise et faire face à deux problèmes majeurs.

La décote que subit la fève camerounaise en raison de sa qualité : la majeure partie du cacao mondial est commercialisée au moyen des contrats FCC (Federation of Cocoa Commerce). La FCC prévoit trois grades pour attester de la qualité des fèves : Good Fermented (bien fermenté), Grade 1 ; Fair Fermented (moyennement fermenté), Grade 2 ; hors standard. Malgré une qualité reconnue de la fève camerounaise, celle-ci peine encore à être pleinement maitrisée. De fait, plus de 95 % de la production est constituée de cacao de Grade 2 et exportée en Fair Fermented ce qui est à l’origine d’une décote significative. Des centres d’excellence de traitement post-récolte du cacao dans certains bassins de production sont progressivement mis en place par le CICC au profit des coopératives formées à de meilleures pratiques culturales.

La nécessité d’augmenter le taux de transformation locale : seulement 21 % de la production a été transformée sur la campagne 2018/2019, soient 53 400 tonnes. L’augmentation du taux de transformation de la fève de cacao est un des objectifs majeurs du Plan de relance de la filière qui fixe un taux de transformation de 40 % à l’horizon 2020. Ce taux était de 11 % en 2016 et 15 % en 2017. La chute des exportations enregistrée entre les deux dernières campagnes (-13,4 % entre les campagnes 2017/2018 et 2018/2019) peut s’expliquer par cette augmentation de la transformation locale conjuguée à l’impact de la crise anglophone ainsi que, dans une moindre mesure, par la fraude au port de Douala (quantités non déclarées). Mais, de manière plus générale, le Cameroun peine à attirer de grands transformateurs en raison de l’absence de politique fiscale incitative, la disponibilité erratique de l’énergie et la défaillance des infrastructures.

Les objectifs sont probablement trop ambitieux, mais le plan de relance du gouvernement porte ses premiers fruits.

Le gouvernement camerounais annonçait en 2014 sa volonté de porter à 600 000 tonnes la production annuelle de cacao à l’horizon 2020. Le CICC juge cet objectif irréalisable, mais des progrès ont été enregistrés lors de la campagne 2017/2018. D’abord au niveau de la qualité des fèves : les quantités de fèves exportées en Grade 1 ont progressé de 1 099 à 8 933 tonnes entre les deux dernières campagnes (soit 3,5 % de la production totale en 2017/2018). Ensuite au niveau de la valorisation locale des fèves, les volumes transformés par l’industrie locale étant passés de 33 023 à 53 403 tonnes, avec un potentiel à court/moyen terme évalué à 130 000 tonnes par le ministère du Commerce.

Plusieurs dispositions ont été prises par les pouvoirs publics pour soutenir les acteurs de la filière. Le Groupement des exportateurs de cacao/café (GEX) a demandé et obtenu du gouvernement la réduction de la redevance à l’exportation de 150 à 75 FCFA avec pour objectif de soutenir les revenus des cultivateurs. Le prix moyen du kilogramme payé aux planteurs était passé de 1 400 FCFA en moyenne à 900 FCFA à la fin de la campagne 2016/2017 en raison de la chute des cours mondiaux. Or, pour atteindre le seuil de rentabilité les producteurs ont besoin de revendre le kilogramme de cacao à au moins 1 000 FCFA.

Les acteurs de la filière ont également proposé l’augmentation de la subvention sur les intrants (plants de qualité, engrais, produits pour le traitement phytosanitaire), nécessaire pour l’augmentation de la production et le maintien de la qualité de la fève. Enfin, les contrôles aux frontières ont été renforcés pour lutter contre les exportations frauduleuses vers les pays voisins comme le Nigéria.

Cependant, l’intensification des violences dans la zone anglophone affecte les entreprises cacaoyères qui ont évacué la majorité de leur personnel de la région Sud-Ouest. Nombre de petits cacaoculteurs ont également quitté la région. Cette région représentait 45 % de la production cacaoyère nationale en 2016/2017, mais sa part a chuté à 31,5 % lors de la dernière campagne.

L’ONCC souligne que des fèves parviennent à sortir de la région, notamment via des exportations frauduleuses au Nigéria. Les volumes qui quittent le pays seraient passés de 10 000 tonnes les années précédentes à près de 30 000 tonnes pendant la campagne 2017/2018. Selon le Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM), le contrecoup de cette situation sera très important pour les campagnes à venir car, même en cas de rétablissement du climat sécuritaire, de nombreuses plantations sont à l’abandon et une partie de l’équipement de production est désormais détruite.

La Rédaction (avec LAC et Knowdys Database)

Catégorie : Stratégie

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