En Centrafrique, le secteur forestier demande à être surveillé pour verdir la croissance

[Africa Diligence] C’est un lieu commun de dire que la République centrafricaine est riche en ressources forestières. 15 % de son territoire est couvert par une forêt dense faisant partie du bassin du Congo. L’exploitation forestière industrielle se concentre dans le massif sud-ouest, plus proche du Cameroun et desservi par le réseau fluvial de l’Oubangui et de la Sangha.

 La superficie de la zone forestière de la Centrafrique est certes faible par rapport aux pays voisins (3,4 % de la superficie forestière du bassin du Congo), mais son potentiel économique reste élevé à l’échelle du pays.

 Dans un contexte où la filière diamantifère ne semble pas se formaliser, où les conditions sécuritaires et l’environnement des affaires limitent le développement du secteur privé et où le besoin d’augmenter les recettes intérieures de l’État est une priorité, l’optimisation de la dernière activité productrice intervenant de façon significative dans le secteur formel en Centrafrique est une priorité pour le gouvernement centrafricain.

Ce secteur économique emploie plus de 7 000 salariés et représentait environ la moitié des exportations du pays et 10 % des recettes publiques avant la crise de 2013. La production forestière a été fortement affectée par les évènements, passant de 474 000 m3 en 2012 à environ 263 000 m3 en 2014. Le retour à une relative stabilité en 2016 a permis au secteur de démarrer son relèvement et d’envisager, à terme, une relance pérenne.

Une relance de la production amorcée

En sus d’une exploitation artisanale – dont les volumes de production sont négligeables – et d’une entreprise centrafricaine qui exploite une petite zone à destination du marché local (Centrabois), le secteur est désormais occupé par sept entreprises détenues par des groupes étrangers. Les principaux acteurs sont (i) Vickwood (Chine), qui a racheté quatre exploitations (SOFOKAD, THANRY, VICA ET SINFOCAM) et exploite 26 % des surfaces utiles, (ii) SEFCA (famille Sahely, Liban – 22 % des surfaces utiles) et (iii) SCAD (famille Kamach, Syrie – 13 % des surfaces utiles). Un seul groupe français, de taille plus modeste, intervient à leurs côtés : IFB (entreprise détenue par la famille française Gaden) qui dispose de 11 % des surfaces utiles. Le groupe RSM, créé par Rougier a été revendu en 2018 à la société camerounaise Sodinaf.

S’agissant de la production annuelle de grumes, elle a enregistré une forte croissance en 2016 (+32 % à 415 961 m3) et en 2017 (+29 % à 536 713 m3) pour se stabiliser en 2018 (+0,4 % à 538 827 m3). Selon BIVAC, filiale du groupe français Veritas qui assure depuis 2005 le contrôle documentaire des exportations ainsi que le contrôle physique des cargaisons, les exportations de bois en grumes se sont chiffrées à 191 403 m3 en 2016 (+53 %), 293 408 m3 en 2017 (+53 %) et 342 324 m 3 en 2018 (+17%). Alors que le FMI prévoyait une croissance des exportations de bois en grumes nettement supérieure (au-delà des 30 %), la bonne tenue de la filière a été brutalement freinée par la révision à la hausse de la mercuriale de bois en novembre 20183. Enfin, les volumes transformés localement, essentiellement des sciages destinés à l’export, stagnent aux alentours des 25 000 m3 par an, aucun acteur du secteur ne respectant les 70 % de taux de transformation tels que prévu dans le code forestier.

Le ministère de l’Économie et du Plan prévoit une croissance du secteur significative en 2019 (+24 %) avec une production de grumes prévue à 600 000 m3 (+11,3 %), des exportations estimées à 350 000 m3 (+2 %) et une transformation attendue à 50 000 m3 (+72 %). Ces objectifs reposent sur des hypothèses particulièrement ambitieuses.

Une filière sous-efficiente et sous-optimale

Ce rebond de la production consécutif à l’apaisement des tensions sécuritaires dans les bassins de production ne doit pas cacher une situation industrielle et financière sous-efficiente. En effet, la reprise s’est concentrée sur un nombre réduit d’entreprises puisque, à la fin de l’année 2018, quatre sociétés (SEFCA, Timberland, Vickwood et STBC) réalisaient 90 % des exportations. En outre, les conflits des dernières années ont fragilisé de nombreuses entreprises dont la situation financière est préoccupante. Un audit financé par l’AFD a révélé que cinq des six sociétés auditées présentaient des fonds propres négatifs et que quatre sur six subissaient des pertes brutes d’exploitation structurelles depuis plusieurs années, ce qui limite leur capacité d’investissement.

De plus, la filière est considérée comme peu compétitive et caractérisée par une exploitation sous-optimale. En sus d’un taux de commercialisation4 estimé à environ 20 %, soit un niveau bien plus élevé que celui de ses voisins, le taux de transformation du bois en sciage ne dépasse pas les 30 % (appareil de transformation du bois obsolète et inapte à la valorisation du bois). De surcroît, le potentiel forestier est sous exploité. Une évaluation de la possibilité forestière annuelle brute par essences des principaux permis forestiers en activité en 2015 (soit 59 % de la surface utile) considère que le taux d’exploitation de ces zones ne dépasse pas les 33 %, principalement en raison des problèmes de sécurité, de l’accès difficile aux zones de production ainsi que de la grande variété des essences qui complique l’exploitation.

De nombreux obstacles à surmonter pour conforter la relance

Pour une optimisation de la ressource forestière le gouvernement devrait répondre à un certain nombre de défis, et notamment (i) la mise en exploitation totale des permis attribués, (ii) la refonte de la gouvernance du secteur ainsi que (iii) la lutte contre l’exploitation informelle.

Si le gouvernement centrafricain multiplie les initiatives visant à la relance de la production, les permis de RSM (dont le potentiel est estimé à plus 90 000 m3 par an) et de la SCAD restent encore inactifs.

Le cadre légal et réglementaire de l’activité forestière, révisé en 2008, vise à une plus grande valeur ajoutée locale à travers l’obligation de transformation locale de l’essentiel (70 %) de la production afin d’encourager l’industrialisation. Pourtant, la transformation locale reste très en-deçà de la réglementation et en déconnexion par rapport aux pays voisins. On remarque cependant en 2018 des investissements significatifs d’IFB et de SEFCA dans la transformation du bois qui pourraient permettre une forte croissance des volumes sciés produits en Centrafrique.

La fiscalité forestière pose également de nombreux problèmes. Outre la question des crédits de TVA à l’export, le principal enjeu pour les opérateurs du bois reste les mercuriales, modifiées deux fois en l’espace de deux ans.

Enfin, face à la relance du secteur privé formel, l’État devrait trouver une réponse à un secteur informel de plus en plus important. Ce phénomène s’explique par un ensemble de facteurs. Premièrement, le secteur formel est accusé d’alimenter le secteur informel en pratiquant des ventes frauduleuses. Ensuite, le secteur informel s’est structuré au cours des conflits qui ont marqués le pays. Enfin, les scieurs informels ont mis en place des systèmes de taxations informels en octroyant une rétribution financière aux propriétaires coutumiers et de nombreux villages.

La Rédaction (avec LAC et Knowdys Database)