« Secret Défense »: 1 vecteur, 2 messages, 3 cibles

Au XXIè siècle, profitant de la dictature de l’image, le cinéma se rapprochera du siège occupé par la télévision dans l’influence des perceptions populaires. « Secret-défense » doit être inscrit dans cette stratégie de conquête des têtes et des cœurs pour être regardé et déchiffré par les analystes .

Film du réalisateur Philippe Haïm, « Secret Défense » est une production d’1h40 parue dans les salles hexagonales le 1o décembre 2008 avec -entre autres acteurs- Gérard Lanvin, Vahina Giocante, Nicolas Duvauchelle et Rachida Brakni. Le film, très captivant par certains aspects, nous plonge dans le monde obscur des services extérieurs français en proie à la menace terroriste. Le public peut ainsi vivre intensément les dangers qui guettent la France, l’esprit de sacrifice, de rigueur et de solitude d’agents prêts à risquer leur vie pour la patrie. En contrepartie, il y a au titre de résultats attendus, les sentiments que déclenche cette vision chez les spectateurs (neutres,  alliés ou ennemis de la France).

Certains résultats (à l’instar de l’Opération Mockingbird) des recherches faites par les services secrets américains dans les années 50 à 70 sur le contrôle mental dans le cadre du Mk ultra, sous l’impulsion d’Allen Dulles (directeur de la CIA à l’époque des faits), ont très vite convaincu les renseignements anglo-saxons, et plus tard la mafia italo-américaine, que le cinéma était (avec la télévision) le canal idéal pour influencer la sphère des idées sous couvert de divertissement. Cela est encore plus vrai aujourd’hui où le stress quotidien, les soupçons qui pèsent sur les grands médias, la quête du sens de la vie et la solitude profonde qui en découle poussent des millions de personnes dans l’évasion spirituelle et culturelle.

La participation d’Eric Denécé, ex-officier des services français et directeur de CF2R comme consultant dans le tournage de Philippe Haïm ne permet certes pas de mesurer le degré d’implication des stratèges gouvernementaux dans la production de « Secret Défense ». Mais pour en cerner les objectifs, je me suis permis d’insérer ce film dans l’agenda 2008 des grands changements en cours dans les services de renseignement français : publication du Livre blanc de la défense, création d’une direction centrale du renseignement intérieur, nomination d’un coordonnateur national du renseignement directement rattaché à la présidence de la république, exceptionnelle communication de recrutement au sein de la DGSE… etc.

La France qui, quoi qu’on en dise, a l’un des meilleurs services au monde, a toujours eu du mal à l’assumer. « Secret Défense » apparait ainsi comme un choix de soft power à l’américaine visant à la fois à dissuader l’ennemi, à sensibiliser l’opinion publique et à « susciter » des vocations aux métiers du renseignement. Ce film est à voir. Même s’il souffre d’une carence en  intelligence émotionnelle et qu’il appuie un peu trop sur la commande « occulte ». Devant le « Vous êtes à la DGSE, les services secrets français… » de Gérard Lanvin, le colonel JF Bianchi, mon grand-maître en stratégies d’influence, aurait certainement sourit. Car  des milliers d’automobilistes de Virginie aux Etats-Unis croisent chaque jour, sur l’autoroute, un panneau de signalisation indiquant la direction de la Central Intelligence Agency à Langley…

L’influence, c’est aussi l’art du paradoxe.

Guy Gweth