Réflexions sur le NEPAD | Quelle relance?

« Le NEPAD, c’est quoi exactement ? » Question courante; presque triviale, souvent entendue à travers le continent. Quelque chose est, manifestement, à faire pour sauver le NEPAD.

Par Assane Y. Diallo

« Le NEPAD est une belle Mercedes pilotée par un mauvais chauffeur. » Me Abdoulaye Wade

Une si longue attente

C’était le 23 octobre 2001. Une dépêche de l’Agence Panafricaine de Presse (PANA), datée d’Abuja, annonçait le lancement du Nouveau Partenariat pour le Développement Économique de l’Afrique (NEPAD) « Enfin ! Nous allons démarrer le développement véritable » m’affirmait, enthousiaste, un Congolais de mes amis ; il exprimait un sentiment largement partagé par tous ses compatriotes Africains porteurs d’une ambition de changement de l’image peu flatteuse de leur continent. De la symbolique nouvelle capitale fédérale du Nigeria, leurs chefs d’État venaient de lancer le chantier de ce développement promis par des générations de leurs prédécesseurs, depuis un demi-siècle. Le monde était témoin de ce grand défi que l’Afrique se lançait à elle-même.

Sept (07) années après la proclamation d’Abuja, qui parle encore du NEPAD ? Personne ; ou presque. Le défaut de vulgarisation et la modestie, voire l’absence, de réalisations, a installé l’oubli, et même un sentiment d’échec, exprimé par des voix autorisées de ses concepteurs. Or, la réactivation d’un projet en échec se pose en terme de choix stratégique. Alors, que faire ? Pour reprendre le titre éponyme de cette œuvre de Lénine, qui provoqua la scission du parti communiste soviétique, en 1902.

Faut-il laisser mourir le NEPAD de sa belle mort ou tenter une sismothérapie? Si certains sont d’avis que le jeu n’en vaut plus la chandelle, au motif que les Africains n’auraient pas encore prouvé leur capacité à réussir des programmes communs de développement, d’autres sont partisans de la réanimation, réarmés en cela par une sagesse africaine, qui enseigne que l’erreur n’annule pas la valeur de l’effort accompli. L’on pourrait ainsi considérer ce démarrage raté comme une (nouvelle) expérience ; celle qui fonde la sagesse, en ce qu’elle enseigne ce qu’il ne faut plus faire.

Abandonner le NEPAD, ainsi que le suggère une certaine opinion, constituerait une erreur historique, compromettante de l’avenir de tous les Africains. Car, le retard de l’économie africaine atteindrait une telle amplitude, dans une génération, que c’est le continent, lui-même, qui tomberait dans l’oubli et l’abandon. Cela, d’autant que l’Afrique ne semble pas se préoccuper du tarissement prochain de ses ressources naturelles, transférées massivement vers d’autres continents, et pour l’exploitation desquelles elle ne se dote pas des capacités nécessaires.

Par ailleurs, et de toute façon, l’Afrique ne peut faire autrement que de persister à mettre en œuvre l’actuelle stratégie, étant donné qu’un jour ou l’autre, une autre stratégie continentale s’imposerait, de la même manière que le NEPAD a succédé au Plan d’Action de Lagos (PAL), vingt ans plus tard, qui ont été autant de retard. Une revitalisation du NEPAD se justifie, parce que la communauté de destin, attestée par le vécu du passé, de l’esclavage à la domination et à l’exploitation coloniales, est telle que les solutions durables aux effets dévastateurs de cette expérience historique, accentués par la balkanisation du continent, ne peuvent être trouvées dans la vulnérable solitude de l’un quelconque des Etats ; un demi-siècle d’indépendance continentale l’a prouvé. Renoncer au NEPAD, ce serait se résigner au suicide économique, par défaut d’imagination ou de capacité de motivation d’assistance à continent en danger, de la part de ses vrais amis. Qui existent

A chacun son rôle

En 2001, le NEPAD est venu rejoindre la toute jeune Union Africaine (UA), son aînée d’à peine une année ; elle-même née d’un constat d’échec de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), pour inaptitude à réaliser le grand dessein d’union continentale, ce qui n’était pas sa mission, ni à jeter les bases du développement économique, ce pourquoi elle n’était pas outillée, et qui ressortait, plutôt, des compétences de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), dont, il est utile de le rappeler, la raison d’être, depuis 1958, est de fournir un appui au développement du continent. Une mission dont il serait d’ailleurs profitable de faire l’évaluation globale, après un demi-siècle d’activité. En réalité, l’OUA, dont les moyens ont toujours été bien deçà des besoins, était plutôt usée par quarante années d’une action politique et diplomatique difficile, tout entière orientée vers le parachèvement de la libération totale de l’Afrique et l’éradication de l’apartheid.

Dans un contexte de guerre froide, qui faisait de son non-alignement proclamé une position difficile à tenir, elle était confrontée à de paralysantes tensions internes, dont le pic fut atteint en 1982, a la suite de l’admission controversée de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), qui a amputé l’OUA de l’un de ses membres fondateurs, le Royaume du Maroc. L’Organisation n’a jamais pu se relever de la crise née de cet événement. Dans un contexte africain et international marqué par de profondes mutations, et par une mondialisation de l’économie d’une dommageable précocité pour l’Afrique, l’évolution institutionnelle était donc inéluctable, pour un second cycle de vie de l’Organisation continentale; à l’exemple de la mue de la Société des Nations (SDN) en Organisation des Nations Unies (ONU). C’est ainsi que la proclamation de l’UA dans la capitale togolaise, en 2000, en application d’une décision du Sommet fondateur de Syrte, l’année précédente, à l’initiative de Muammar GADDAFI, le Guide de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne, est comparable à la signature, en 1945, du Traite de Washington, Dc, inspiré de la Charte de l’Atlantique, conçue trois ans auparavant par le président des Etats-Unis d’Amérique, Franklin D. ROOSEVELT, en compagnie de Sir Winston CHURCHILL, le Premier ministre du Royaume-Uni de Grande Bretagne.

Il faut donc reconnaître que c’est bien parce que l’OUA a joué son rôle historique dans la fin de la domination coloniale et de l’apartheid, que l’Afrique peut à présent se concentrer sur l’objectif d’union, avec l’UA, et la mise en œuvre d’un programme de développement économique, le NEPAD, avec plus de chances de réussite, qu’avec l’OUA et Le PAL. Cette première stratégie de développement continental, qui n’avait pas été une réussite, autant par défaut de financements externes, que de volonté politique interne, imputable aux États membres, avait été lancée en 1980, sous l’impulsion du 4è Secrétaire général de l’Organisation continentale, le Togolais EDEM Kodjo, qui y exprimait la pleine mesure de ses convictions panafricanistes.

Nkrumah ou la vocation d’unité

Compte tenu de ses caractéristiques particulières, il apparaît évident que l’Afrique ne peut dissocier son développement économique de son union, ratée en mai 1963 à Addis Abeba (Ethiopie), à la suite du refus majoritaire de la proposition de constitution fédérale de Kwame NKRUMAH. Le président du Ghana, qui était incontestablement en avance sur son temps, n’avait même pas pu compter, de la part de certains de ses autres compagnons du groupe de Casablanca , sur le même fort soutien qu’il reçut de son homologue du Mali, Modibo KEITA. Ce rejet demeure l’erreur historique majeure de l’Afrique postcoloniale. Des chefs d’Etat de la génération actuelle, porteurs d’une conviction panafricaniste forte, tentent de réparer cette méprise. Fort heureusement. Les épreuve du temps, il faut s’en féliciter, ont donné raison à Nkrumah, quand il proclamait « l’Afrique doit s’unir » (Africa must unite ). Encore sous le dais néocolonial, la majorité de ses pairs, qui s’étaient opposés à lui, n’avaient pas compris le sens profond de ce qui était un avertissement clairvoyant du coût en dignité pour tous les Africains, s’il persistaient à entériner le morcellement du continent. Aujourd’hui, fort heureusement, des faiseurs d’Afrique raniment la flamme. Ils ont noms Abdoulaye Wade, Muammar Gaddafi, Alpha Oumar Konaré, pour ne citer que ceux-là, et sont les nouveaux hérauts emblématiques de la vision Nkrumahiste, incontestablement confortée par les épreuve du temps.

Dans son vibrant plaidoyer de ce 24 mai 1963 a l’Africa Hall, les arguments de l’Osagyefo n’étaient pas que politiques; mais également, et même surtout, économiques. Sa vision prophétique indiquait explicitement les domaines de concentration d’une stratégie de développement de l’Afrique, qui sont: l’industrie manufacturière, les infrastructures de transport (terrestre, maritime et aérien), les infrastructures de télécommunications, l’énergie hydroélectrique, l’agriculture et l’alimentation, l’hygiène et la santé, les moyens d’information (radio – Télévision); l’éducation et la culture (y compris l’imprimerie et l’édition) . Ne sont-ce pas les domaines de préoccupations d’aujourd’hui?

La persistance du sous-développement, après un demi-siècle d’indépendances nationales africaines, convainc, même les esprits jusque là les plus rétifs à toute réduction de souveraineté nationale, que les Etats-nations héritées de la colonisation, et consacrés, par la force des choses, par la Charte de l’OUA, ont montré leurs limites, quand à leur capacité à réussir un développement significatif. Nul ne peut plus douter que c’est seulement par la mutualisation de ses ressources et capacités, aujourd’hui éparpillées sous des souverainetés de puissance impossible , et avec l’inefficacité que l’on sait, que l’Afrique pourra réaliser la masse critique, démographique et économique, qui installera sa crédibilité dans un partenariat paritaire international profitable. Bien que proclamé, de bonne foi, sans doute, par les uns et les autres, un tel type de partenariat est aujourd’hui impossible à assumer, dans toutes ses dimensions, par les faibles souverainetés nationales africaines, face aux puissants ensembles fédéraux, que sont les Etats-Unis d’Amérique, la Russie, l’Union Européenne, le Brésil, la Chine, l’Inde, le Canada, etc. L’Afrique prend conscience, du moins on veut l’espérer, que sa vocation naturelle à l’unité est une exigence de sa survie, dans un monde qui ne l’attend pas, et pour lequel elle ne présente d’intérêt que comme réservoir passif d’épuisables matières premières, qui lui reviennent en coûteux produits manufacturés, normalisés pour des contextes étrangers.

Jumelles et doutes de pairs

Le lancement du NEPAD, une année seulement après l’institution de l’UA, traduit une volonté forte des dirigeants Africains à s’attaquer aux facteurs de retard du continent, au moyen d’un organe spécialisé, disjoint des activités politiques de la principale organisation continentale. L’on serait ainsi tenté de comparer les couples UA-NEPAD et OUA-PAL, alors que la différence est de taille : le PAL ne constituait qu’un programme de l’OUA, alors que le NEPAD a jouit, dès sa création, des attributs d’une entité intergouvernementale continentale. En décidant, en juillet 2003, d’intégrer le NEPAD à l’UA, en tant que programme, les chefs d’État ont, a la fois, renforcé la mission économique de l’UA, et mis un terme à une gémellité institutionnelle lourde de conséquences sur les ressources et l’efficacité opérationnelle, et, par ailleurs, porteuse de risques de conflits de compétences et de rivalités personnelles.

Comme toute grande idée, le NEPAD a des adeptes convaincus de sa pertinence. Mais également des détracteurs sans complaisance. Des partisans de l’abandon pur et simple d’une stratégie qui n’aurait pas convaincu de son efficacité, en près d’une décennie de dispendieuse bureaucratie. Par ailleurs, certains observateurs n’ont pas hésité à exprimer, souvent avec une pertinence documentée , des doutes sur la faisabilité du NEPAD, et même de sérieuses réserves sur son caractère endogène. Il n’est que de relever l’avis des membres du Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA) et de Third World Network (TWN)-Africa, qui reprochent au NEPAD une vision qui renforce les contraintes liées à un environnement extérieur hostile et aux faiblesses intérieures qui constituent des obstacles majeurs au développement de l’Afrique ; et celui de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), qui affirme que le NEPAD reprend les principes des politiques prônées par les institutions de Bretton Woods, tant décriées par nombre de chefs d’Etat africains et dont l’impact désastreux sur les droits humains est maintenant largement reconnu .

Rappelons que le NEPAD est né de la fusion du Plan Oméga pour l’Afrique, aboutissement d’une réflexion déjà ancienne de celui qui est devenu, en 2000, le président de la République du Sénégal, Maître Abdoulaye WADE, et du MAP (The Millenium Pqrtnership For The African Recovery Programme ) porté par le président Sud-Africain Thabo MBEKI, et présenté en œuvre collective d’un groupe de chefs d’Etat, comprenant, avec lui, Abdelaziz BOUTEFLIKA d’Algérie, Olesegun OBASANJO du Nigeria, et Hosni MOUBARAK d’Egypte.

Qu’elles soient justes ou de mauvaises querelles, ces critiques mettant en cause la pertinence, tant de ses priorités, que du programme, lui-même, sont enrichissantes pour le débat; d’autant que certaines sont portées par des rapprochements probants avec des stratégies ou approches multilatérales également dédiées a l’ Afrique. Parmi celles-ci, l’on peut citer Compact for African Recovery (CAR), de la CEA, et le rapport de la Banque Mondiale (BM) intitulé L’Afrique peut-elle revendiquer le 21e siècle? Ces deux productions, respectivement datées de 2001 et 2000, ont eu pour objet de servir de programme opérationnel au MAP, pour la première, et d’aider à des orientations sectorielles favorisant une évolution productive de l’Afrique, pour la seconde. L’une et l’autre ont imprimé leur marque au NEPAD, notamment dans son cadrage aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) par les Institutions Financières Internationales (IFI) et le G8. Par ailleurs, le MAEP (Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs) présente une évidente parenté avec le mécanisme similaire de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE).

Marques profondes

Des influences exogènes sur le NEPAD ne devraient pas surprendre, compte tenu du partenariat qui le fonde. Il n’est, en effet, pas surprenant que le nouveau programme continental, issu du compromis de Lusaka et des évaluations du G8, porte, comme tout enfant, les empreintes génétiques de ses ascendants, dans un métissage d’apports locaux et étrangers. La marque des parents extérieurs est sensible sur le contenu et le processus de mise en œuvre ; tandis que celle de la parenté africaine présente, elle-même, deux visions, comme autant de nouveaux paradigmes du développement continental. D’un coté, combler le retard historique accumulé par l’Afrique sur les vieilles économies, par une mise à niveau des moyens et des ressources, est l’objectif du Plan Oméga, traduction programmatique de la vision Wadienne du développement de l’Afrique, le président sénégalais attachant une importance fondamentale à l’éducation et aux infrastructures, comme substrat durable du développement économique ; alors que, de l’autre, l’auteur emblématique du MAP, se préoccupe de Renaissance Africaine (que mon cousin, le regretté président-grammairien Senghor, aurait analysé en re-naissance). Ce concept, véritable idéologie nationale de l’African National Congress (ANC) peut se comprendre comme la réhabilitation de la personnalité africaine, y compris dans son acception ontologique. Elle est, certes, partagée par tous les Africains, mais, cette préoccupation revêt, il faut le reconnaître, une gravité singulière pour le pays de Thabo Mbeki, soucieux d’achever l’émancipation de sa population Noire de la longue et désastreuse politique d’apartheid.

Dans cette Afrique du Sud, dont le PIB équivaut à la moitié de celui de tout le reste de l’Afrique subsaharienne, et qui se classe dans le quart supérieur des économies du monde, devant plusieurs Etats membres de l’OCDE et bailleurs de fonds de l’Afrique, la rémanence de la ségrégation raciale permet de penser que la lutte pour l’émancipation des Noirs est un processus d’une brûlante actualité. Même si elle leur est solidaire, notre grande puissance continentale n’a pas les mêmes préoccupations que les autres économies subsahariennes, qui se perdent dans les profondeurs du classement mondial. Pour un pays qui est déjà à parité avec les économies développées, en matière d’infrastructures, d’agriculture, de technologies avancées et d’industrie, le relèvement des conditions de vie du segment défavorisé de sa population est plus une question de politique, que de ressources, qu’il possède à suffisance. Il est aisé de deviner que sa priorité soit l’accroissement de ses investissements productifs, notamment industriels, nécessaires au renforcement d’une capacité de conquête de marchés extérieurs, principalement des pays de son propre continent, pour lesquels l’Afrique du Sud présente les avantages de proximité et de similitudes contextuelles, humaines, culturelles et physiques.

Pôles d’intérêt ou l’union en question

Symétriquement au pôle majeur austral, le pôle septentrional, celui des États d’Afrique du Nord, représente un groupe d’économie intermédiaire, entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Sud. Tout à la fois membres de l’OUA et de la Ligue des États Arabes, ces Etats semblent fonder leur stratégie économique, principalement, sur la promotion d’une complémentarité industrielle faite d’offres en plateformes de sous-traitance manufacturière aux économies du Nord, pour laquelle leurs atouts sont incontestables, à l’avantage de la proximité du marché européen. Leur intérêt dominant pour le partenariat avec leurs voisins développés conduit, non sans raison, beaucoup d’observateurs africains à douter de leur intérêt réel pour les stratégies continentales africaines d’unité et de développement; un sentiment que ne dément pas leur adhésion massive à la toute nouvelle Union Pour la Méditerranée (UPM), à l’ attirance de laquelle seule la Libye a su résister, forte de sa fidélité à un engagement sans faille, et exclusif, dans le processus de création des États-unis d’ Afrique, le seul projet qui vaille pour le continent, et à la réalisation duquel Muammar Gaddafi, le Guide Libyen, contribue de manière remarquable.

Avec trois pôles de développement aussi typés, il était bien illusoire de penser que le NEPAD pourrait être aisément exécutable par un ensemble si faiblement homogène d’économies majoritairement également très faibles, surtout quand on considère qu’aux quatre domaines du Plan Oméga du président Wade, la « communauté internationale » a joint des domaines d’inégal intérêt pour tous les États du continent; sans compter que certains de ces domaines supplémentaires portent le risque d’un effet de rideau sur les urgences continentales des plus faibles économies, et que certains aspects de leur conception mettraient en cause la vocation des domaines d’urgence initialement identifiés à constituer le cœur d’un programme non exclusif d’aucun des États du continent, sous quelque prétexte que ce soit. Or, ce risque d’exclusion est potentiel dans la subjectivité d’une évaluation de la bonne gouvernance par l’un ou l’autre bailleur de fonds privilégiant des critères de nature politique. Dans cet ordre d’idée, l’on ne peut, bien évidemment, s’empêcher de penser au Zimbabwe, dramatiquement affecté par les conséquences de la singulière solidarité des partenaires attitrés du NEPAD avec le Royaume Uni, un des leurs, dans son refus d’appliquer l’intégralité des fameux accords de Lancaster House de 1979, notamment en ce qui concerne la question foncière. Ce type de conditionnalités aux concours financiers extérieurs n’aurait d’autre effet que le renvoi du programme aux calendes… Sérères .

Ambitions tronquées de promesses

C’est ce qui explique que, pour beaucoup d’observateurs africains, l’orientation imprimée par les volontés extérieures aux ambitions africaines, et leur formatage au cadre doctrinal des IFI, ont altéré l’originalité du NEPAD, autant dans son contenu, que dans sa mise en œuvre et sa vocation à concerner l’ensemble des États membres de l’UA. Dans son cadrage international, le programme semble, aussi, avoir perdu le caractère d’urgence attaché par le Plan Oméga aux réalisations dans les domaines de base, à savoir, la santé, l’agriculture, l’éducation et les infrastructures ; et le fait de privilégier les concours extérieurs aux ressources locales, constitue une démarche paradoxale pour un programme qui a vocation à consacrer l’autonomie du continent.

Dans le même ordre d’idée, espérer une sorte de Plan Marshall en faveur de l’Afrique, c’est faire preuve d’un dangereux optimisme; car, ni le contexte, ni les intérêts géostratégiques ne sont comparables à ceux de la fin de la seconde guerre mondiale en Europe. La démarche n’a pas fait la preuve de sa pertinence, malgré l’assiduité des dirigeants du NEPAD aux rencontres du G8, et les marques d’un appui international déclaré, mais peu suivi d’effets, malgré les résolutions du système des Nations Unies, les programmes des IFI, les promesses de l’Union Européenne (UE), et les initiatives bilatérales, comme celle du Canada, avec le Conseil Canadien du NEPAD (Nepad Council of Canada), en plus de son Agence de Coopération Internationale (ACDI), très active en Afrique, et de la France, dont le précédant chef d’Etat avait désigné un Monsieur NEPAD, en la personne d’un ancien patron du Fonds Monétaire International (FMI). Comme au siècle dernier, et peut-être même un peu plus, à la faveur d’une libéralisation non maîtrisée des économies africaines, l’éligibilité aux ressources financières du Nord des grands projets d’investissement africains structurants et inducteurs de la dynamique de développement, demeure problématique. Il se pose ainsi au NEPAD, plus qu’une simple question de méthode, une vraie question de responsabilité continentale. Voire de dignité de s’assumer, à l’exemple de Chindia , avec le résultat que l’on voit. Car, rien ne permet de penser que les réalités des années 80, celles du PAL, ont changé.

Un tonneau des Danaïdes?

La réticence récurrente des « riches » à favoriser le développement du continent Africain, que nous avons vécue avec le PAL, autant qu’avec les stratégies sectorielles dédiées à l’Afrique depuis un quart de siècle, telles que l’UNTACDA la DDIA , ne doit pas conduire les Africains à renoncer à leurs ambitions les plus engageantes du progrès de leur continent, réputé pauvre, mais dont la contribution à la construction des économies développées, voire à l’existence historique des États concernés, est, pourtant, une réalité indéniable.

Certes, l’Afrique ne peut pas ne pas compter, d’une manière ou d’une autre, sur la participation du reste du monde à son développement ; mais elle ferait dramatiquement preuve d’irréalisme, en persistant à en attendre les principales ressources. Car, rien ne convainc d’une conversion des riches à une nouvelle morale internationale de partage, qui remplacerait avantageusement la coopération sans développement vécue depuis un demi-siècle.

L’évolution de l’Aide Publique au Développement (APD), qui se visualise en sinusoïde amortie, reflète bien les hésitations et la tendance décroissante de l’effort relatif de la plupart des pays membres du Comite d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE, alors que, par ailleurs, le flux des Investissements Étrangers Directs (IED) est très ciblé sur les industries extractives dans une poignée de pays du continent exportateurs de matières premières. Toute cette « aide » ignore le cadre général de développement de l’Afrique, que constitue le NEPAD.

Dans le meilleur des cas, la solidarité internationale ne s’exprimera qu’en apports complémentaires aux efforts endogènes. Cette réalité est attestée par le nouveau paradigme de l’assistance internationale, qu’est le co-développement, né d’une volonté commune de rupture, d’une nouvelle génération de dirigeants des pays donateurs et des pays d’Afrique, tous résolument opposés au paternalisme non productif de la bonne vieille «coopération». Toutefois, les uns et les autres ne semblent pas s’accorder sur le contenu de cette relation de deuxième type, d’autant que le concept porte, en filigrane, une dynamique de désengagement, apparemment nourrie d’une « fatigue de l’Afrique », qui serait « un tonneau des Danaïdes dans lequel il est devenu inutile de verser des aides additionnelles ». Selon l’auteur de ces affirmations, il n’y aurait plus que de « la compassion envers les habitants de ce continent infortuné » .

A ces propos d’expert sur le continent infortuné, le fameux discours de Dakar du président de la République Française à la jeunesse du continent, dont certains passages ont, à tort ou à raison, froissé plus d’une sensibilité africaine, apporte le quantum décisif qui devrait susciter une prise de conscience des Africains de la gravité du défi qui leur est désormais clairement lancé : faire la preuve de leur capacité, et peut-être même de leur conviction, de se prendre (enfin !) en charge, et de récuser ces conditionnalités dilatoires, qui se traduisent en vaines et humiliantes attentes. Les pays d’Asie, si pauvres en matières premières, et victimes fréquentes de catastrophes naturelles, n’ont pas procédé autrement. Le miracle de Chindia, qui force l’admiration des aspirants au développement, et le respect mêlé d’inquiétude des riches, ne procède que d’une productive doctrine d’autosuffisance, traduite en stratégies de développement volontaristes, appliquées avec patience, dans une jalouse culture de dignité. D’une manière générale, les Asiatiques préfèrent l’intérêt durable de la sécurité économique, garante de souveraineté et préservant leur dignité, au piège sans fin des aléas conjoncturels de l’avantage comparatif.

Energie, Industrie et richesse

La force de ces économies orientales, c’est d’avoir su faire, avec fierté, de leurs valeurs culturelles des armes d’une redoutable efficacité de progrès. Par ailleurs, elles ont accordé la priorité, après l’agriculture, à l’éducation-formation et à l’industrie manufacturière, deux secteurs qui ont prouvé, partout, leurs propriétés structurantes horizontales, et que l’Afrique a peu favorisés. L’industrie est si faiblement visible dans le NEPAD, qu’elle paraît omise. Elle semble circonscrite en secteur d’appui à l’exportation de produits agricoles, alors que sa vocation première est plurisectorielle, pour la satisfaction des besoins d’équipement et la génération d’une valeur ajoutée manufacturière (VAM) contributive à la croissance, par la transformation locale de toutes les matières premières du continent. L’industrialisation, qui apporte des réponses structurelles durables au lancinant problème de l’emploi, devrait ainsi être perçue dans sa fonction de facteur de bien-être social.

L’importance de l’industrie est manifeste dans la topologie binaire de l’économie du monde : d’un côté une zone de pays industrialisés, détentrice de 80% de la richesse globale, et de l’autre, les Pays en Développement (PED), pauvres et non industrialisés, représentant 80% de la population du monde. Plus que par tout autre indicateur, le passage définitif de l’une à l’autre des deux zones est déterminé par la valeur du taux d’industrialisation, lui-même fortement corrélé au taux d’électrification. Pour leur développement industriel, les pays d’Asie ont ainsi réalisé de considérables investissements dans le domaine de l’énergie électrique. L’Afrique, qui vit une pénurie endémique dans ce domaine, aurait, aussi, de grandes initiatives régionales à développer, par l’exploitation de ses considérables potentialités d’énergies fossiles, hydroélectrique, solaire et éolienne ; sans compter ses ressources en matières fissiles convertibles en combustible nucléaire. Dans ce domaine de l’énergie, on ne peut s’empêcher de penser au potentiel de 39 Gigawatts du Grand Inga. Ce projet de barrage hydroélectrique en R.D. du Congo, devrait constituer le projet majeur du NEPAD, compte tenu de sa capacité à constituer une solution définitive au problème de l’énergie électrique dans tout le continent africain.

Des serments évanouis

Lors de son lancement, des postures signées de considérations politique nationales, ont limité le débat sur le NEPAD. Ce débat devrait, maintenant, ressortir d’un civisme panafricain, qui se focalise sur la construction physique du continent, à laquelle chacun de ses citoyens devrait contribuer, selon ses capacités et son expérience. Car, la sorte de confidentialité qui a entouré une aussi grande aventure continentale, a manqué, à l’évidence, de réalisme et d’à-propos, au vu du résultat. Il n’est pas inutile de rappeler qu’au paragraphe 14 de la Déclaration fondatrice du NEPAD, les dirigeants Africains affirment que « le NEPAD est axé sur la nécessité d’en assurer la propriété et la gestion aux Africains », et, par ailleurs, que « l’agenda établi, par eux, se fonde sur les priorités nationales et régionales et les plans de développement, qui doivent être mis au point au moyen d’un processus de démocratie directe et participative ». Et ils estiment dans la même Déclaration que, « si ces plans donnent leurs mandats aux dirigeants Africains, leur rôle est de les exprimer et d’en diriger la mise en application pour le compte de leurs peuples ».

Manifestement, cette profession de foi porteuse d’une forte conviction, comme bien d’autres avant elle, s’est égarée en chemin, ce qui nous vaut la situation d’aujourd’hui. Toutefois, la reconnaissance, par ses concepteurs, de l’inopérationnalité du NEPAD, procède d’une autocritique à laquelle les dirigeants Africains n’avaient habitué ni leurs concitoyens, ni leurs partenaires étrangers. Et si l’on sait qu’il n’est rien de plus ardu que de faire reconnaître ses erreurs à des experts, l’on doit se féliciter de cette modestie, qui traduit une réelle volonté d’une nouvelle classe de dirigeants, de faire progresser leur continent, et d’y participer de leurs propres mains. Confucius, dont les Chinois de toute obédience font si bon usage des préceptes, avec le résultat que l’on sait, nous enseigne qu’après une faute, ne pas se corriger, c’est la vraie faute. La réussite est inscrite dans l’ordre des choses, à condition seulement qu’une entreprise qui engage la vie de générations d’Africains, actuelles et futures, ne soit pas une œuvre d’auteur unique.

Nous pouvons ; ensemble

Il serait dommage qu’un continent d’un milliard d’habitants, aux ressources qui frisent le scandale et attisent tous les appétits du monde, en arrive à renoncer à ses immenses potentialités de progrès. Et qu’un tel continent se complaise dans le statut de faible dignité, de mendiant international, assisté en tout, fournisseur de matières premières, et n’ayant pour seule ambition (d’ailleurs inspirée par les IFI) que de réduire une pauvreté consensuelle, qu’il se complait même à revendiquer avec véhémence, parfois. L’enjeu est réellement historique et mérite un sursaut collectif; même s’il est vrai que la léthargie de la dispendieuse bureaucratie exécutive du NEPAD, confortablement installée en Afrique du Sud, a amplement alimenté le désintérêt du plus grand nombre d’entre nous.

Je suis de ceux qui croient qu’il s’agit d’une obligation naturelle et vitale, pour les Africains que nous sommes, de prendre, une fois n’est pas coutume, notre propre destin en mains ; ainsi que nous le proclamons dans nos discours depuis un demi-siècle. Nous avons une obligation impérieuse de bâtir notre continent, avec, certes, le souhaitable concours de nos vrais amis, mais que nous n’envisagerons, désormais, qu’en appui à nos propres efforts premiers. Il ne fait aucun doute que, si nous le voulons réellement, nous pouvons faire l’Afrique, en réanimant ce qui s’apparente à un rêve avorté, et qui a nom NEPAD. Ensemble, nous en possédons les talents et les ressources, comme l’illustrent de remarquables réalisations physiques dans certains de nos pays. Il nous manque, seulement, la dose critique de confiance en nous, et l’entêtement sur la durée.

Assane Y. DIALLO
Ingénieur informaticien, Ancien fonctionnaire international