Enquête | L’OPA des sectes sur l’Afrique

Le 20 juillet 2008, nous publiions une carte postale de notre enquête sur l’industrie de la foi sur le continent noir sous le titre : le business de Dieu en Afrique subsaharienne. L’intérêt de notre étude pour l’intelligence économique et stratégique était triple. Primo : évaluer le capital et les intérêts générés le syndicat de Dieu. Secundo : décrypter les stratégies de contrôle mental activés pour ferrer les cibles. Tercio : sonder l’impact de cette industrie à l’organisation al qaedienne sur la société, l’économie et l’establishment politique des pays concernés. Un an plus tard, presque jour pour jour, le très bel article signé de Fabienne Pompey ce 17 août 2009 sur le site de Jeune Afrique sous le titre Sectes : OPA sur l’Afrique vient corroborer nos premiers résultats. Le journal de Béchir Ben Yahmed va même plus loin en citant les noms de puissantes organisations religieuses que nous préférions garder sous silence, à l’époque, pour les besoins de l’enquête. En voici quelques extraits.

« On trouve de tout sur le marché religieux et mystique du continent : des grandes Églises, des petites, des prophètes autoproclamés, des sectes et groupes initiatiques en tous genres. Un méli-mélo de la spiritualité qui profite de la grande liberté laissée aux cultes et de la misère des populations. Dérives, escroqueries et manipulations mentales : tout est, hélas, permis.

« Traquées, parfois traduites en justice en Europe – notamment en France, où la vigilance est forte –, les sectes trouvent en Afrique une terre d’accueil sans contraintes. De même, les évangélistes américains ou brésiliens professent, voire s’installent, à peu près comme ils veulent. Et les mystiques et autres mouvements new age ne rencontrent pas non plus d’entraves. Baignée dans les rites initiatiques, la sorcellerie, la magie, les fétiches et autres croyances, l’Afrique est une terre ouverte aux religions et à leurs avatars.

« Souvent dissimulés sous des associations de bienfaisance ou humanitaires, les sectes et mouvements religieux, européens, américains ou asiatiques, s’immiscent discrètement dans le quotidien des Africains. Un exemple : le 24 avril 2009, le quartier de Cocody, à Abidjan, abrite une cérémonie de lancement du Festival mondial de la paix, accompagné d’un projet « à impact social » sur le campus. La fête est rehaussée par la présence d’un représentant de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), Hamadoun Touré. Il fera même un discours, assez classique, sur la paix, principale préoccupation des Ivoiriens. Rien que de très ordinaire. À un seul détail près : la cérémonie se tient à l’initiative de la secte Moon.

« Le rêve africain de Moon

« Il y a bien longtemps que Moon a ses entrées à l’ONU. Après avoir fait ses premières recettes sur le thème de la lutte contre le communisme, avec un temps le soutien de la CIA, le gourou d’origine coréenne a senti le vent tourner et a réorienté sa croisade vers la « paix universelle ». Il crée alors des dizaines d’ONG et la FPU est reconnue, à ce titre, comme partenaire de l’ONU. Moon obtient une tribune aux Nations unies.

« À Paris, le porte-parole de son Église de l’unification, Laurent Ladouce, travaille à l’élaboration d’un « rêve africain », « le rêve de l’Afrique de jouer un rôle accru dans le monde et le rêve de centaines de millions d’Africains de mener une vie meilleure ». Pour cela, il faudrait « faire ressortir la beauté de la personnalité africaine, ses valeurs fortes et universelles, qui feront que les gens auront envie d’aimer les Africains, de les avoir comme amis, comme partenaires ». Le texte est un salmigondis de réflexions à l’emporte-pièce, allant de la définition d’une « stratégie touristique panafricaine » à une « éthique africaine du capitalisme ».

« De son Japon natal, Daisaku Ikeda, président de Soka Gakkai, bouddhiste, pense aussi que « l’Afrique est le continent du XXIe siècle ». Ce mouvement religieux et politique, qui revendique quelque 12 millions de membres dans le monde, est présent en Côte d’Ivoire depuis 1983, où il a été reconnu comme Église en 1999. Il aurait aujourd’hui 11 000 adeptes ivoiriens, dont un tiers dans le seul quartier de Yopougon, à Abidjan. Les représentations les plus importantes sur le continent sont au Ghana et en Afrique du Sud, mais aussi en Zambie, en Namibie, au Zimbabwe, en RDC ou au Mozambique.

« Avoir la caution d’un chef d’État, ou de hautes personnalités, est essentiel pour ces mouvements, qu’ils soient religieux, philosophiques ou thérapeutiques. C’est ainsi que l’une des grandes réussites de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, l’Amorc, sous l’impulsion de son ancien et défunt « Imperator », Raymond Bernard, a été de pouvoir compter dans ses rangs le président camerounais Paul Biya. Plusieurs membres du gouvernement ou des grands corps d’État sont, ou ont été, rosicruciens. Sur le continent, l’Amorc revendique quelque 25 000 membres et organise très régulièrement conférences et séminaires, de Dabou à Ouaga, en passant par Kinshasa.

« Ainsi, l’Église de scientologie, d’origine américaine et extrêmement suspecte aux yeux des autorités françaises, a été reconnue d’utilité publique en 2007 en Afrique du Sud. Elle bénéficie ainsi d’exonérations fiscales sur les dons des adeptes. Les scientologues ont racheté dans ce pays plusieurs superbes demeures classées. À Port Elizabeth, ils ont acquis un bâtiment ancien pour 8 millions de rands (près de 700 000 euros), plus 6 millions pour les rénovations, et profitent de l’exonération de taxes réservée aux investisseurs qui réhabilitent des monuments historiques !

« La scientologie se développe en Afrique sous couvert de ses « volontaires », qui interviennent dans des situations d’urgence humanitaire ou de programmes antidrogue, ou même dans des ONG de défense des droits de l’homme, comme le Youth for Human Rights International en Afrique du Sud. Ils ont aussi très officiellement pour mission « de réaliser des formations et des séminaires basés sur le travail de Ron Hubbard », le théoricien et fondateur de la scientologie.

« Les sectes poussent sur le terreau de la misère, du désespoir. Et, en Afrique, croyez-moi, les gourous se portent bien », assure Claude Wauthier, auteur de Sectes et prophètes d’Afrique noire. L’une des clés qui ont ouvert aux sectes les portes de l’Afrique réside dans leur promesse d’une vie meilleure, ici et maintenant. « Les gens cherchent une prière rentable dans le cadre d’un objectif précis : une guérison, la recherche d’un emploi, la réussite d’un projet, la résolution d’un conflit », estime Isidore Ndaywel è Nziem dans son Histoire du Zaïre.

« Plus grave, le projet politique qui se cache sous les oripeaux de la religion. « La pratique dans ces groupes amène à l’absence d’esprit critique, de distanciation, et à une désocialisation ; les sectes sont persuadées d’avoir trouvé un modèle social et donc un modèle politique qu’elles n’ont de cesse de dupliquer. Or ce sont en général des systèmes théocratiques, tyranniques et dictatoriaux », ajoute Jean-Pierre Jougla. « Dès qu’il y a un signe de déliquescence ou de vacance du pouvoir, les sectes se développent automatiquement », affirme-t-il […]

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