Stratégie des BRICS en 2013 : l’Afrique dans le viseur du Brésil

(Africa Diligence) Le Brésil engage un rapprochement avec l’Afrique. La coopération énergétique en est un ressort évident mais pas unique. Brasilia vient aussi y chercher une partie du Brésil, de son passé, de sa mémoire. La présidente Dilma Rousseff pourra-t-elle chausser les bottes de son prédécesseur Lula Da Silva ?

Ni opportunisme politique pur, ni géopolitique froidement appliquée. Certes le réalisme domine dans les stratégies de politique internationale. Mais au travers de son expansion diplomatique en Afrique, le Brésil offre aussi un sens identitaire et une cohérence à son Histoire. Quand le Brésil se trouve des points communs avec le Nigéria ou l’Afrique du Sud, c’est la culture afro-brésilienne qui est reconnue.

A la recherche de vieux cousins

L’Afrique du Sud demeure le premier « cousin » du Brésil en terre africaine. Leurs structures sociales et économiques similaires en font des pays proches. Mélangeant les couleurs de peau et les cultures, ils connaissent les mêmes problèmes d’inégalités et de criminalité. Surtout, ils sont tous deux des leaders régionaux qui présentent une structure économique moderne c’est-à-dire industrialisée. Le Brésil est leader dans le Mercosur (Marché Commun de l’Amérique du Sud), et l’Afrique du Sud dynamise la SADC (Communauté pour le Développement de l’Afrique australe). Ensemble, ils font partie du bloc d’élite des pays émergents.

Autre catégorie de « cousins » : les lusophones. Avec eux le Brésil partage une histoire coloniale, une solidarité victimaire dont la langue portugaise en forme l’héritage. En 2003, lors de sa première année de mandat, Lula a entamé une tournée africaine en faisant notamment étape au Mozambique, en Angola et au São Tome et Principe, les trois pays lusophones de l’Afrique australe.

Le Nigéria constitue un « cousin-ami »  pour le Brésil. Ce pays le plus peuplé d’Afrique est aussi le principal producteur de pétrole du continent africain. Avec ce cousin, le Brésil partage une politique énergétique ambitieuse. Les ressources dont dispose le Nigéria en font l’objet d’une stratégie géopolitique : le Brésil y apporte ses technologies via Petrobras. Résultat : le Nigéria est le premier partenaire commercial du Brésil en Afrique grâce à ses ressources énergétiques. Mais c’est aussi un allié institutionnel certain. C’est avec lui que le Brésil a créé en 2006 le sommet ASA (Afrique-Amérique du Sud) visant à développer le commerce entre le Mercosur et les pays d’Afrique.

Dilma Rousseff tarde à entretenir ce qu’a semé Lula

Lula est sans conteste l’acteur de la grande époque africaine jamais connue par la diplomatie brésilienne. L’ancien président brésilien a mis en œuvre un véritable plan de rapprochement et de développement de la coopération avec des pays africains. L’enthousiasme présidentiel s’est concrétisé dans la construction de 19 ambassades lors des déplacements de Lula sur le continent. Cela représente la moitié des ambassades brésiliennes actuellement présentes en Afrique. Lula voyait plus large et se faisait aussi l’ambassadeur du Mercosur en créant l’ASA avec le Nigéria.

L’année 2003 a été un déclencheur pour cette politique. Un voyage diplomatique parsemé d’accords et de contrats a amené Lula à São Tomé et Principe, en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud et en Namibie. Un séminaire sur le thème de la coopération commerciale entre l’Afrique et le Brésil s’y est déroulé. Enfin, le gouvernement central brésilien a voté une loi rendant obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésilienne dans les écoles. Durant cette période, la politique étrangère a servi de point d’appui à une politique d’intégration d’une population (les Afro-brésiliens) dans la société et dans les représentations collectives nationales.

Dilma Rousseff n’a pas encore su faire perdurer le marathon africain de son prédécesseur. Il est vrai que son agenda extérieur est particulièrement serré. Entre les sollicitations européennes, les rencontres entre pays du BRICS, les G3, les G20, le Mercosur, la défense du multilatéralisme à l’ONU, la présidente dégage peu de temps pour l’Afrique. Ce n’est qu’en mars dernier qu’elle a foulé de nouveau cette terre et rencontré le président nigérian, confortant la hausse du commerce énergétique entre les deux pays. Elle s’est également rendu en Guinée équatoriale, grand producteur de pétrole, à l’occasion du 3ème sommet de l’ASA où étaient présents les représentants de 54 Etats africains. Les liens commerciaux et les fonds de coopération demeurent, tout en connaissant un processus de redimensionnement. Brasília souhaitent concentrer les fonds pour plus d’efficacité.

Une présence chahutée

Or sur le plan psychologique, le Brésil perd en prestige. Le discours de Lula est d’implanter des entreprises phares du Brésil en Afrique dans le cadre d’une coopération économique aux bénéfices mutuels. Cette stratégie se distingue de la stratégie brésilienne en Chine consistant à rechercher les seules matières premières. Le géant sud-américain veut vendre ses produits manufacturés aux marchés africains émergents, et, dans le même temps, vendre et investir dans les technologies minières et pétrolières dans le cadre de la coopération économique.

Malheureusement les entreprises brésiliennes pâtissent d’une réputation légère suite à une mauvaise gestion de l’implantation de certaines d’entre elles. Le cas de Vale (entreprise d’extraction minière), fleuron de l’économie brésilienne, symbolise les difficultés éthiques et politiques auxquelles le Brésil fait face en Afrique. Vale fait l’objet de soulèvement de citoyens au Mozambique. Délogés pour l’installation d’une mine de charbon, ils dénoncent la mauvaise fertilité des sols sur lesquels ils ont été relogés. En Guinée, Vale est accusé d’avoir participé à la répression d’une manifestation faisant 6 morts. Des habitants lui reprochaient de ne pas respecter son obligation de faire travailler les ethnies locales dans une réserve de fer.

Ainsi, le Brésil, devenu grand parmi les grands, passe du rôle de victime de l’économie mondiale à celui de coupable d’impérialisme économique. Cette ambivalence entache le bel élan africain entamé sous Lula, et qui avait l’avantage de faire de certains pays africains les co-acteurs d’une coopération économique. L’équilibre des bénéfices de cette coopération reste à confirmer. Les entreprises privées brésiliennes donnent une image qui entre en contradiction avec la philosophie de bénéfices mutuels que développent les agences de coopération émanant du pouvoir politique. Mais si le Brésil avait un atout séduction sur les pays africains du fait de son passé colonial et de sa culture afro, il doit désormais se laver des exactions économiques pour continuer son expansion diplomatique dans un continent convoité également par les grands d’Asie.

Mathilde MOSSARD