Pourquoi ils quittent la France pour l’Afrique

(Africa Diligence) Le continent n’attire plus seulement les étudiants africains sous le coup de l’ancienne circulaire Guéant et les cadres nostalgiques du pays de naissance. La tendance s’élargit à la deuxième génération, née en France mais qui a cultivé une sensibilité africaine lui permettant d’envisager un « retour » avec un grand optimisme.

Paris, dans un café du 9ème arrondissement, Vanessa Dick, Française de 25 ans, fraîchement diplômée d’une école de commerce parisienne sirote un Frapuccino en apportant les dernières corrections à son projet d’entreprise. Cinquante pages sur l’importation du ciment au Congo. « Je voulais initialement importer du ciment chinois pour répondre à la demande du boom immobilier, mais les entreprises de BTP africaines préfèrent le ciment européen. Je négocie en ce moment avec des cimenteries turques, moins chères que les européennes, ma marge sera plus grande. » Lorraine d’origine, Vanessa n’a quitté Nancy que pour faire ses études à Paris. Depuis, elle n’a cessé de bouger : Singapour, Cuba, Brésil… Mais sa passion, c’est l’Afrique subsaharienne. De mère moitié congolaise et moitié ivoirienne, elle a grandi, bercée par les histoires d’un continent où elle n’a jamais vécu. « Mes motivations sont autant économiques qu’affectives. Je me considère comme un membre de la communauté africaine. Je souhaite revenir vers mes racines, contribuer au développement sans profiter de la misère, construire pour eux et avec eux« .

Comme Lionel Zinsou, le banquier d’affaires de père béninois et de mère française, président de PAI partners, Vanessa se revendique citoyenne des deux mondes. Elle partage avec lui son appartenance à la catégorie des afroptimistes qui refusent de faire rimer Afrique et misérabilisme. Selon le banquier, il faut que cette nouvelle génération rompe avec l’image tragique l’Afrique, celle d’un continent de pandémies, de conflits, de dictatures, qui n’offrirait aucun avenir à sa jeunesse. Il faudrait plutôt selon lui se concentrer sur sa vitalité et son renouveau.

Une bonne partie de l’Afrique subsaharienne jouit d’un engouement sans précédent. Et le marasme économique en Europe accélère un phénomène de retour des diasporas. Le continent n’attire plus seulement les étudiants africains sous le coup de l’ancienne circulaire Guéant et les cadres nostalgiques du pays de naissance. La tendance s’élargit à la deuxième génération, née en France mais qui a cultivé une sensibilité africaine lui permettant d’envisager un « retour » avec un grand optimisme. La croissance du continent s’affirme : de 5% à 6% selon le FMI, jusqu’à deux chiffres pour certains pays comme le Sud-Soudan et la Sierra Leone. Les économistes parlent du facteur retard pour expliquer la forte croissance. Les pays africains arrivant en dernier dans le processus de modernisation, ils peuvent rapidement bénéficier de greffes technologique et industrielle qui devraient leur permettre de rattraper des économies plus développées. C’est là que le rôle de la diaspora intervient.

L’Afrique subsaharienne s’est beaucoup appuyée sur l’attachement de cette dernière pour promouvoir son développement. Les capitaux d’abord : les transferts de fonds en provenance de la diaspora africaine, estimés entre 32 et 40 milliards de dollars par an, dépassent désormais l’aide officielle au développement accordée au continent. Mais au-delà des moyens financiers, l’Afrique a aujourd’hui besoin de cerveaux et de compétences dont la diaspora dispose et qu’elle pourrait mobiliser au service du continent. Fabrice Kom Tchuente, directeur exécutif de FinAfrique, un cabinet de formation en Banque et Finance implanté en Afrique centrale et en Afrique de l’ouest, précise que « le retour ne se fait pas nécessairement dans le pays d’origine mais dans celui où se présente l’opportunité. » On envisage un retour au continent, mais pas dans un pays spécifique. Il s’attarde sur le développement des structures qui incitent à s’installer en Afrique, comme le forum Elit de l’African Business Club, créé à l’initiative des étudiants de l’ESCP Europe ou des appels d’offres lancés par un cabinet français pour recruter des hauts fonctionnaires en Côte d’Ivoire. Prudent cependant, il tient à préciser que l’installation définitive n’est pas toujours facile. De nombreux aspirants ont du mal à franchir le cap et optent pour un retour partiel, gardant ainsi un pied dans chaque pays.

Au départ de la France, sans surprise, ce sont les pays d’Afrique francophones qui ont le vent en poupe : le Congo, le Gabon, mais surtout la Côte d’Ivoire en raison d’une politique volontariste de débauchage à l’étranger. Il convient néanmoins de souligner que ce n’est pas dans le giron francophone que se situe la plus forte croissance. Les « lions africains » sont principalement anglophones : Nigeria, Ghana, Ethiopie et Botswana connaissent le plus grand succès sur les sites de recherches d’emploi à partir de l’Europe et des Etats-Unis. Conscients des enjeux, les francophones tentent de se ménager une place dans la course aux talents. Témoin, la tenue le 29 novembre, à Paris, du forum AfricTalents pour le recrutement de profil qualifiés à destination de l’Afrique.

Les dizaines de candidatures que Jordan Fissourou, Parisien de parents d’origine ghanéenne, a semé sur des plateformes de recrutement en France ne lui ont pas permis de récolter des offres à la hauteur de son cursus et de ses ambitions. La France raciste? Même pas, juste la sempiternelle litanie de la crise. Son diplôme en poche, Jordan s’est envolé pour le Gabon avec une multinationale française, « histoire de tâter le terrain et de connaître le marché en vue de [s]’y établir si affinités, » précise t-il en racontant, les yeux pétillants, la success-story d’un rêveur qui a fait fortune au Mozambique en important des chewing-gums. Il n’est pas le seul dans ce cas, de nombreux français sans lien avec l’Afrique et éprouvés par la crise de l’emploi choisissent aujourd’hui de s’expatrier sur le continent où les opportunités sont grandes.

La finance, l’énergie, le bâtiment et les télécommunications sont les secteurs les plus porteurs, mais pas seulement. Tout est à faire. Le financement n’est pas la partie la plus ardue. Même si les taux de prêts des banques panafricaines restent encore élevés, les gouvernements et les entreprises locales tentent de susciter les vocations. Ils se font de plus en plus présents dans les salons de recrutement en France, développent les partenariats économiques bilatéraux et multiplient les subventions généreuses pour encourager l’entrepreneuriat.

Le revers de la médaille pour ces jeunes Français qui rêvent d’eldorado africain, c’est le déficit d’information, la nécessité d’un réseau local, mais surtout la corruption endémique. « Le plus dur, c’est de s’adapter aux mentalités et aux habitudes locales. On ne peut pas vraiment parler de dessous de table là bas, c’est sur la table. Plus on reçoit d’argent, plus on est un homme important », plaisante Caroline Alexis, entrepreneuse française, fille de franco-camerounais, qui peine à faire décoller son cabinet de conseil en gestion de projets locaux. Il faut avoir une détermination de fer pour s’adapter, ne pas se décourager par les procédures administratives, souvent kafkaïennes. La notion du temps et des délais frise parfois le surréalisme quand on est habitué aux normes européennes.

Malgré les difficultés et comme en écho à la crise européenne, l’intérêt économique pour l’Afrique explose. Le discours afroptimiste se répand et les richesses du continent attirent investisseurs, entrepreneurs et travailleurs de tous horizons.« Aujourd’hui, l’Afrique compte, lance pompeusement Jordan, fier de ses origines africaines, et nous avons plus de légitimité que quiconque à profiter des innombrables opportunités qu’elle nous propose ».

Zaynab Bourdellah