Uranium nigérien: offre soumise à condition

Pendant des décennies, les autorités françaises ont vendu à leur opinion publique des « contrats d’assurance énergétique » par le nucléaire. Leurs commerciaux avaient indiqué, mais en tout petits caractères, que l’offre était soumise à condition : le cas de l’uranium nigérien.

Par Guy Gweth

La condition de cette offre est aujourd’hui connue du grand public, c’est la sécurité des approvisionnements. Elle est impossible à garantir ad vitam eternam dans ces « anciennes colonies lointaines, pauvres et sans voix, ni loi » si la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) se limite aux discours sur papier glacé. Depuis quelques années, l’uranium nigérien raconte son histoire à travers les crises, et on écoute mal, et on comprend mal, peut-être parce qu’il parle un dialecte africain? C’est une femme vieille à 40 ans, entourée de gamins déshydratés, pieds nus, qui sonne au portail d’un building estampillé AREVA, parce que l’eau, la terre et les aliments sont souillés, parce que ses enfants sont victimes de malnutrition, parce qu’elle se sent la légitimité de demander des comptes à ces gens trop propres et trop occupés qui n’ouvriront pas au motif qu’ils ont « tout réglé avec les autorités ». Cette histoire désormais traduite en français porte en elle les germes de l’insécurité. Sa moralité ne justifie pas tout, certes, mais elle tente de tout légitimer ; et là réside le danger pour les Français.

Lorsqu’en juillet 2007, j’ai été amené  à travailler pour la première fois sur « le dossier Areva au Niger » en compagnie d’autres experts en intelligence économique de l’Ecole de Guerre Economique de Paris, le briefing m’a immédiatement connecté à un schéma similaire en Afrique: le Delta du Niger (Lire notre article « Delta du Niger : le rapport qui dérange » publié par Commodesk le 25 août 2010). Notre mission était d’autant plus excitante que ses findings restent d’actualité aujourd’hui : il fallait entrer dans la peau des « opposants » à Areva au Niger (concurrents, gouvernement, Ong, populations locales et leaders d’opinion), respirer comme eux, penser comme eux, argumenter comme eux, planifier comme eux. C’est extraordinaire de voir la batterie de mesures que nous avions rassemblées, sans être Nigériens, qui pouvaient fragiliser le client. Des images de sources d’eau polluée aux enfants mal nourris, etc., rien dans ce décor ne laissait indifférent. Nos recommandations auraient-elles contribué à la signature, début 2009, de l’accord d’Imouraren portant sur 1,2 milliard d’euros d’investissements (pour une production annuelle de 5000 tonnes) ? En tout cas, elles n’ont guère aidé à solutionner les questions liées à la RSE.

Depuis les turbulences de 2007 qui ont conduit à la réalisation de ces simulations et des notes subséquentes, Areva a pourtant fait de nombreux efforts pour améliorer son image au Niger. Gros inconvénient cependant, un vieux réflexe qui, depuis plus de 50 ans, colle à la classe dirigeante française : un intérêt trop marqué pour une certaine élite (celle qui décide dans les pays d’Afrique riches en ressources stratégiques), au détriment des classes populaires locales. Quand mes clients énarques me disent : « …mais enfin, Guy, c’est bien le gouvernement qui signe ces contrats ! », je leur réponds : « c’est aussi vrai que ce sont les pauvres qui cassent et mettent en péril les approvisionnements. Il faut trouver le juste milieu...» Aujourd’hui, Areva se targue d’avoir construit deux hôpitaux aux standards internationaux qui « réalisent 200 000 actes de soins gratuits » chaque année. C’est bien, mais c’est encore largement insuffisant, d’autant que le danger qu’on redoutait le plus durant l’été 2007 pointe son nez : que les extrémistes fassent leur lit des frustrations locales et usurpent ainsi la légitimité d’une cause qui n’est pas la leur.

Bon gré mal gré, « les petites gens du Niger » s’invitent progressivement dans le débat public international sur le nucléaire, comme un parent qu’on a toujours caché aux visiteurs. Mais à quel prix ? Il faudra du temps et de la patience pour construire un triangle vertueux entre AREVA, les autorités nigériennes et ses populations ; cela passe par une révolution dans la pensée des dirigeants. Et le cas d’Areva n’est pas isolé. Loin s’en faut. Plus que jamais, les industriels prennent un risque incalculable en allant exploiter les richesses naturelles des pays pauvres où les populations locales ne sont pas leurs alliées.