3 questions à Antoine GLASER, fondateur de La Lettre du Continent

Le cycle des visites de dirigeants africains à l’Elysée a commencé pour François Hollande. Le chef de l’Etat français a déjà reçu les présidents Ali Bongo du Gabon, Yayi Boni du Bénin, ou encore Macki Sall du Sénégal. Une activité diplomatique qui ravive le débat sur la Françafrique. Mais que cache désormais ce concept devenu, au fil du temps, l’emblème des bons sentiments ? Antoine Glaser, fondateur de La Lettre du Continent, vous répond.

Priscilla Romain : L’élection de François Hollande pose la question de la direction diplomatique empruntée par rapport aux pays africains. Le président a déjà reçu le sénégalais Macky Sall, Ali Bongo du Gabon ou Yayi Boni du Bénin. Ces visites ont ravivé le débat sur la Françafrique. Quelle réalité se cache aujourd’hui derrière ce concept ?

Antoine Glaser : La Françafrique est un concept énorme, dont il faut bien comprendre les périodes historiques. Durant la Guerre Froide, dès les décolonisations jusqu’à la chute du mur de Berlin, la France était dans un pré carré africain regroupant les anciennes colonies d’Afrique équatoriale et occidentale. Sa présence se manifestait par un contrôle très étroit, marqué par un gaullisme triomphant. Il y avait alors un M. Afrique en la personne de Jacques Foccart, qui supervisait réellement cette région par le biais notamment du Franc CFA adossé alors au Franc français.

Cette période de la Françafrique n’avait pas encore la connotation péjorative qu’on lui connaît aujourd’hui. En effet, les dirigeants français et africains croyaient encore à l’existence d’une communauté de destin entre la France et l’Afrique. Avec la chute du Mur du Berlin, la notion de pré carré s’est peu à peu éteinte, le continent s’est ouvert au monde et s’est mondialisé. Pour autant des réseaux économiques et politiques ont réussi à perdurer. Leur survie est passée par un deal contenu dans les accords de défense passé entre la France et des chefs d’État africains, qui étaient alors cooptés par Paris parce que francophones et francophiles, mais aussi parce qu’ils fréquentaient les mêmes milieux à l’image du général Bokassa ou le général Eyadema. Ils avaient alors convenu qu’en échange des matières premières stratégiques, les dirigeants bénéficieraient d’une totale impunité sur la gestion de leurs pays.

Aujourd’hui, on peut dire que la Françafrique est en fin de période historique. En effet, même si Nicolas Sarkozy avait des relations privilégiées avec un certain nombre de chefs d’État africains – en particulier Omar Bongo – on était tout de même loin de l’image des masques africains de la période Jacques Chirac.

Arrive ensuite, à l’Élysée, un homme qui n’a jamais fait danser les masques africains, sans aucunes relations personnelles privilégiées avec des chefs d’État africains. Il s’était d’ailleurs insurgé contre l’attitude de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, et avait estimé qu’il était infréquentable au moment où les dérives du régime se confirmaient. Cette phrase était d’autant plus forte, qu’à l’époque il occupait le poste de premier Secrétaire du Parti socialiste et le Front populaire ivoirien de Gbagbo faisait partie de l’Internationale socialiste.

Selon la nouvelle diplomatie de François Hollande, il n’y aura plus de politique africaine de la France, mais bien une politique de la France vis-à-vis de l’Afrique, comme il y a une politique vis-à-vis des États-Unis ou de l’Amérique latine. Les ruines de la politique africaine s’expriment cependant désormais à travers les bases militaires qui restent sur différents territoires, tels que le Gabon ou Djibouti. Il y a eu des opérations au Tchad et au Sénégal. Elles s’expriment aussi par tous ces Français, hommes d’affaires installés dans ces pays depuis la décolonisation.

Tous ces facteurs indiquent bien, que même pour un Président « normal », c’est-à-dire un président qui entend normaliser les relations franco-africaines, il est impossible de ne pas tenir compte des intérêts entre les deux entités, qui se résument à l’approvisionnement énergétique.

Il y a bien entendu une volonté d’aller vers les sociétés civiles africaines, en passant par une démocratisation de leurs systèmes politiques, mais reste que la France peut difficilement assumer une politique d’ingérence démocratique. L’Afrique se mondialise à une vitesse incroyable et cela entraîne l’effondrement de l’influence française, qui doit lutter pour défendre ses intérêts stratégiques.

La politique africaine restera donc un dossier sensible de la politique française, on le voit d’ailleurs avec les otages d’Areva enlevés au Niger. C’est un dossier très difficile à gérer, telle une nitroglycérine, mélange complexe entre les grands principes démocratiques et les intérêts stratégiques.

Priscilla Romain : Quand on parle de la Françafrique dans le débat public, les esprits s’accordent sur la nécessité de sa suppression et la qualifient de vieux souvenir de la France coloniale, ou l’associent encore au néo-colonialisme. Pourquoi cette image compliquée n’a pas pu être assainie ?

Antoine Glaser : Il est indéniable que le passif est très lourd. On parle d’une très longue et douloureuse période de colonisation sur laquelle il serait trop long de revenir. Ces régions étaient considérées comme françaises, les liens étaient tellement étroits qu’un certain nombre de dirigeants africains tels que Félix Houphouët-Boigny ou Léopold Sédar Senghor ont même occupé des postes de ministre au sein du gouvernement français. On ne peut pas nier ces relations historiques.

A cette image plutôt positive se superpose l’image – véhiculée par un certain nombre d’associations de défense des droits de l’homme – de toutes les relations incestueuses entre les hommes politiques français, notamment caractérisées par des affaires de financement occulte. Longtemps la politique étrangère africaine ne se faisait plus au Quai d’Orsay, ni au sein de cellules particulières, mais bien au sein de réseaux.

Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant était très investi dans les relations avec les chefs d’État africains et un certain nombre de chefs de leurs services secrets. Ainsi en cas d’incident, les négociations ne passaient jamais par le Quai d’Orsay, ni par les cellules particulières, mais bien directement par les cabinets de la présidence.

C’est ainsi que l’on se rend compte que l’une des facettes de la Françafrique, c’est bien l’Afrique-France qui arrivait à conserver de l’influence à Paris. Dominique de Villepin, par exemple, une fois arrivée au poste de Secrétaire général de l’Élysée, avait affiché sa volonté d’en finir avec les réseaux, avant finalement de prendre goût au défilé des masques africains. Il a d’ailleurs noué de bonnes relations avec un certain nombre d’entre eux. La connivence et la complicité demeurent toujours.

Priscilla Romain : Vous avez parlé d’une Françafrique qui arrive en fin de période historique… Peut-on imaginer des relations plus mûres, sevrées des mauvais réflexes d’antan, avec des dirigeants français et africains capables de faire face à leurs responsabilités ?

Antoine Glaser : Le changement viendra beaucoup moins des politiques mises en œuvre que de la realpolitik d’une Afrique qui se mondialise à une vitesse folle. La fin de la Françafrique viendra beaucoup plus du côté africain que du côté français. Voyez le président Ali Bongo qui permet aux hommes d’affaires singapouriens d’occuper des dizaines d’hectares dans le pays. Il va en Corée du Sud, ou encore aux États-Unis. On est loin de l’esprit « Tour Eiffel », avec des élites africaines « frais émoulues » des meilleures institutions parisiennes, façonnées à la française.

Désormais, l’Afrique reçoit le monde entier. Les réseaux et les émissaires restent influents dans la défense des intérêts économiques français, mais on est loin de la présence constante de l’après-Guerre Froide.

(Avec Atlantico)

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