7 questions à Driss BENHIMA, P-DG de Royal Air Maroc

Dans cet entretien exceptionnel, Driss BENHIMA, président-directeur général de la compagnie Royal Air Maroc, est catégorique : le développement du transport aérien en Afrique passe nécessairement par la libéralisation du ciel.

Adama WADE : Alors que les tarifs aériens baissent un peu partout dans le monde, ils restent relativement élevés en Afrique ? Qu’est-ce qui justifie ce paradoxe ?

Driss BENHIMA : Avec 45% de son chiffre d’affaires réalisé en continuation, vers l’Afrique, Maghreb et Sud Sahara, la Royal Air Maroc est bien placée pour évoquer cette problématique. En fait, il y a deux écoles de pensées : les tenants de la libéralisation du ciel africain et les adeptes des politiques malthusiennes de protection des compagnies nationales aériennes souvent trop petites et sous capitalisées. Or, les africains veulent des compagnies fortes capables de leur proposer des services de qualité au meilleur prix et connectées à toutes les capitales du Monde. C’est dans ce cadre que le Maroc a ouvert son ciel, il y a quelques années, devenant aujourd’hui le pays africain le connecté au reste du monde. Cette politique d’ouverture qui a contribué à la démocratisation du trafic aérien au Maroc est à l’inverse de la vision de l’ancien gouvernement sénégalais engagé dans un protectionnisme artificiel qui a freiné le développement du transport aérien de son pays. Cette option protectionniste a divisé par deux l’offre aérienne sur le Sénégal. D’une manière générale, c’est la politique protectionniste qui l’a emporté en Afrique, ce qui explique la non-application de l’Accord de Yamoussoukro portant libéralisation du ciel africain. Les administrations de contrôle freinent aujourd’hui le développement du transport aérien en Afrique. Les nombreuses compagnies nationales se pénalisent les unes les autres au profit des majors hors Afrique qui renforcent leur présence. Quand le gouvernement sénégalais a bloqué la Royal Air Maroc, il a fait un cadeau précieux aux compagnies d’Europe et du Golfe Arabique sans apporter un seul client de plus à Sénégal Airlines.

Adama WADE : Etes-vous prêt à revenir au Sénégal ?

Driss BENHIMA: Oui, nous pensons qu’il y a des opportunités de coopération au Sénégal avec de vrais partenaires fraternels et décontractés. L’une des erreurs à ne pas renouveler c’est de prendre en charge la gestion du partenaire. On peut faire de Dakar un grand hub à l’instar de Casablanca qui ne soit pas en concurrence ni avec Heathrow, ni avec Orly. Les caractéristiques intrinsèques de chacun de ces hubs font qu’ils ne sont pas en concurrence. S’il n’y avait que l’aspect géographique à prendre en compte, notre hub serait l’aéroport d’Agadir et non celui de Casablanca. Mais parce qu’il faut prendre en compte dans l’emplacement d’un hub la taille du trafic propre vers le hub lui-même, le bon méridien et la bonne distance, l’aéroport Mohammed V de Casablanca s’impose à nous. Dans le cas de Dakar, il semble que nous soyons déjà un peu trop loin de l’Europe pour utiliser les mêmes avions pour toutes les destinations comme nous le faisons avec des moyens courriers qui transportent nos passagers d’Afrique Centrale jusqu’à Moscou et Beyrouth. Par contre Dakar est sans concurrence sur l’Afrique Occidentale et une compagnie sénégalaise peut et doit avoir pour ambition de représenter 50% de ce trafic alors qu’aucune n’a jamais pu capter plus de 20%, ce qui fut le record de notre filiale Air Sénégal International. Il y a là un défi pour lequel nous avons des idées du fait de notre expérience passée au Sénégal.

Adama WADE : Les compagnies africaines peuvent-elles supporter le coût de l’ouverture du ciel ?

Driss BENHIMA : Clarifions notre pensée. Supposons que tous les pays maghrébins perdent leurs compagnies dans le cadre de l’ouverture du ciel. Qu’est-ce que nous perdons en tant que citoyens ? Ce ne seront certainement pas les liaisons avec l’Europe qui seront encore mieux desservies. Par contre, nous perdrons le réseau domestique même si ce dernier voit son importance réduite avec le développement des infrastructures ferroviaires et autoroutières. Nos pays perdraient aussi la connectivité vers l’Afrique. Il faut donc construire un modèle qui, à la fois accepte l’arrivée des Low Costs et la démocratisation du transport aérien qui va avec mais permet aussi le développement d’un réseau domestique et offre des liaisons faciles avec les grands hubs régionaux. De tels modèles, spécifiques à chaque situation nationale sont possibles et le Maroc l’a montré, mais il est vrai que nous exploitons au maximum nos atouts géographiques.

Adama WADE : Où en est la Royal Air Maroc dans son programme de restructuration ?

Driss BENHIMA: Les choses se présentent bien. Les différents partenaires du dialogue social sont d’accord sur les volets de la restructuration. Les syndicats ont accepté la réduction des effectifs. En ce qui concerne le volet financement, seuls 400 millions de dirhams ont été déboursés à l’heure où je vous parle. La deuxième tranche, soit 1,2 milliards de dirhams, devait être versés en fonction de l’évolution du programme de restructuration. D’où la mise en place d’un Comité de suivi qui devra valider les différentes étapes. L’avis du Comité de suivi est à son tour validé par le cabinet KPMG. Ce cabinet vient justement d’exprimer positivement son avis. Par conséquent, notre assemblée générale extraordinaire du 26 avril a entériné la deuxième tranche du contrat programme sous forme d’une augmentation de capital de 1,2 milliard de dirhams. L’on ne regrette seulement un retard dans l’élaboration de ce contrat-programme que nous demandions depuis deux ans et demi.

Adama WADE : Pourquoi un tel retard dans l’application du contrat programme ?

Driss BENHIMA: Le contrat-programme a été annoncé en 2009. Dès mars 2010, nous l’avons présenté à la Chambre des Conseillers. La signature avec le gouvernement est intervenue en septembre 2011. C’est un retard qui a failli compromettre la survie même de la compagnie. Ce retard reflète un certain isolement de la RAM. N’étant pas un office mais une société anonyme depuis le début, ce qui suppose une certaine indépendance de gestion, la RAM a subi ces dernières années une avalanche de contrôle (Inspection générale du fisc, Cour des comptes) quand, du jour au lendemain, elle a brisé son isolement en demandant le soutien de l’Etat. En fait, nul ne s’occupe de la S.A quand elle va bien. C’est quand elle va mal que l’on s’en occupe. Cet exemple, ainsi que mes 34 ans d’expérience me laissent sceptique quant aux processus de transformation des offices publics en SA. Le lien entre la collectivité nationale, surtout en ce qui concerne le contrôle, est plus fort avec les offices qu’avec les Etats.

Adama WADE : La presse fait état d’un partenariat stratégique imminent entre la RAM et un groupe plus important. Qu’est-ce qui motive ce partenariat ? Quel est le profil idéal du futur partenaire ?


Driss BENHIMA:
Il y a eu beaucoup de fausses informations à propos de la RAM ces dernières semaines. On a par exemple déclaré un monopole d’achat d’avions de type Boeing, ce qui est faux. Ensuite, il a été question d’une augmentation de capital de 9 milliards de dirhams, ce qui était aussi faux. Tout ceci nous fait tort quand ça vient d’une agence de presse internationale de renom comme Reuters. Nous en sommes désolés. Le contrat programme envisage certes l’éventualité d’une ouverture de capital, laquelle ne peut être décidée que par l’Etat dans le cadre d’un processus qui passe par une étude stratégique de développement qui doit désigner les nouveaux marchés de la RAM, le plan de flotte (sachant que celui en cours s’arrête en 2015). Cette étude stratégique confiée au cabinet KPMG doit s’étaler sur quelques mois. Une des pistes de cette étude est l’éventualité d’une ouverture de capital avec un contrôle qui reste aux mains de l’Etat. Aujourd’hui, il n y a rien de décidé.

LA : Le Maroc a-t-il les moyens d’avoir une compagnie nationale, porte-drapeau ?

Driss BENHIMA: Sur le marché européen, il n y a pas de place pour une compagnie de la taille de la Royal Air Maroc. La dynamique est à la consolidation. Alitalia a été racheté par Air France, les compagnies nationales belges, suisses ont disparu. Iberia s’est allié avec British Airways, tout comme KLM évolue avec Air France. Et aujourd’hui la compagnie hongroise est en difficulté dans un marché où la concurrence est totale. Qu’avons-nous donc pour survivre si nous restons coincés sur le marché européen ? Mais, comme je l’ai dit au départ, la Royal Air Maroc est indispensable si nous réfléchissons en termes de connectivité du pays avec l’Afrique et le reste du monde. L’avenir passe par ce programme de restructuration. Des études sont en cours. Nous allons nous recentrer sur notre core business et nous séparer de certains métiers (catering, handling, etc). La RAM en termes de chiffre d’affaires, est devenue la deuxième compagnie aérienne en Afrique. Il est difficile de penser s’en sortir sans tisser des liens étroits et fructueux avec d’autres compagnies au Maghreb et au Sud du Sahara en premier lieu. Je l’ai dit aussi : pour y arriver il faut en face des partenaires qui soient fraternels, imaginatifs, ambitieux et décomplexés. ce que les banquiers marocains ont su construire de partenariats mutuellement fructueux et bâtis sur le respect et la fraternité est un exemple.

 (Avec Les Afriques)

Diplômé de l’école Polytechnique et de l’école des Mines de Paris, Driss BENHIMA a mené l’essentiel de sa carrière comme chef d’entreprise et haut fonctionnaire. Ancien ministre des transports, du tourisme, de l’énergie, des mines et de la marine marchande, il a également été Président de la société marocaine d’oxygène et d’acétylène (filiale marocaine d’Air Liquide) avant d’être directeur général de l’Office national d’électricité le 19 mars 1994. Nommé président-directeur général de la compagnie Royal Air Maroc, le 15 février 2006, par le roi Mohammed VI, Driss BENHIMA a été élu à la tête de l’association des compagnies aériennes africaines (AFRAA) le 23 novembre 2010 à Addis-Abeba.