Annie Mutamba : la lobbyiste Congolaise qui défend l’Afrique émergente au Parlement Européen

[Africa Diligence] Annie Mutamba, c’est 15 ans d’expérience dans le lobbying et la communication d’influence. Celle qui dirige Meridia Partners a débuté à l’Africa Policy Information Center à Washington avant d’atterrir au Conseil Européen de l’Industrie Chimique. Consultante auprès de géants tels que Procter & Gamble, Unilever, Bayer, ExxonMobil ou Total, cette Congolaise de RDC défend l’Afrique émergente avec âpreté.

Titulaire de deux maîtrises en communication et relations internationales obtenues en Belgique et au Royaume-Uni, Annie Mutamba est une passionnée de communication politique. Spécialiste des affaires publiques européennes, elle a débuté sa carrière à Washington, au sein du Africa Policy Information Center – la plus ancienne organisation aux États-Unis dédiée aux affaires africaines.

Ensuite, pendant 10 ans, elle a été en charge des programmes de communication institutionnelle au sein du Conseil Européen de l’Industrie Chimique (CEFIC). Conseillère auprès de grandes entreprises telles que Procter & Gamble, Unilever, BASF, Bayer, ExxonMobil ou Total, son rôle consistait en l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de lobbying dans le cadre des politiques européennes d’innovation, santé et environnement. Elle était également chargée de la coordination de projets de communication avec l’OMS, l’UNEP et l’OCDE.

Depuis 2010, elle enseigne au sein de l’Executive Master en communication et politiques européennes à l’IHECS (Bruxelles), où elle dispense des cours en lobbying européen, politiques budgétaires européennes et communication politique. Elle dirige par ailleurs Meridia Partners, premier cabinet de conseil spécialisé dans les relations institutionnelles Europe-Afrique. Elle accompagne des entreprises et d’autres organisations de l’Afrique émergente, la vraie, dans la représentation de leurs intérêts auprès des institutions européennes et internationales.

Membre de nombreuses commissions internationales et groupes de travail dans les domaines de la communication d’influence et des affaires publiques, c’est une lobbyiste professionnelle et engagée pour la cause africaine à Bruxelles qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Annie Mutamba : J’y crois dans la mesure où la priorité des investissements est accordée à des domaines tels que les infrastructures, le transport, la santé et l’éducation.

J’y crois si la promesse d’une croissance économique record se traduit enfin en termes d’emplois pour les Africains. Cela implique des politiques volontaristes et débarrassées de vieux réflexes du 20ème siècle. Et des avancées toutes aussi sérieuses en matière de gouvernance.

Enfin, j’y crois si l’émergence s’inscrit dans une véritable révolution des données. L’Afrique ne peut se développer si elle continue de naviguer à vue : statistiques et indicateurs chiffrés sont déterminants dans la formulation de politiques ciblées et dans la gestion des ressources publiques.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Il est temps que l’Afrique se dote d’un véritable arsenal de communication d’influence et diplomatie publique. Le continent fait face à un colossal déficit de communication, qui entrave sa compétitivité sur le marché mondial et rend sa voix quasi inaudible dans les grands débats internationaux.

Soyons honnêtes, en 2015, où trouver l’empreinte du soft power à l’africaine ?

Il est effarant de voir à quel point le lien entre réputation et développement socio-économique reste un angle mort de la réflexion sur l’émergence, largement inexploré par les dirigeants africains.

Or, dans notre monde globalisé et interconnecté, il n’est pas cohérent d’aligner les programmes nationaux d’émergence tout en restant invisibles dans les couloirs de la décision internationale, de Washington à Bruxelles ou Pékin, sans une représentation claire et affirmée de ses intérêts.

On oublie souvent le rôle structurant de la communication : en tant qu’outil stratégique de pilotage de la croissance, elle peut s’affirmer comme un levier de développement pertinent et efficace. On connaît son impact sur la réputation des pays dans le monde, sur les marchés financiers, sur la compétitivité des entreprises, sur la perception du risque sécuritaire. Rappelons que le soft power est devenu, en 2007, la stratégie officielle de développement international de la Chine.

Paradoxalement, le discours sur l’émergence a agi comme un formidable révélateur des failles du dispositif de communication des États africains.

Les grands monologues sur l’Afrique « dernière frontière de croissance mondiale » sont constamment interrompus par les titres de la presse internationale qui soulignent ad nauseam les maux de ce continent en pleine mutation. Le continent noir semble démuni face à ces labels qui virevoltent. Mais il est loin de l’être.

L’Afrique a les moyens de développer sa propre capacité à faire parler d’elle selon ses propres termes, son propre agenda et ses propres intérêts. Pour cela, elle dispose d’innombrables canaux, compétences et talents dans les domaines de la communication et du lobbying, sur le continent et dans la diaspora – qu’il faut maintenant valoriser et renforcer pour encadrer utilement ce processus d’émergence.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Primo, réforme totale de l’éducation nationale afin que l’enseignement soit en meilleure adéquation avec les besoins du marché, des services publics et des entreprises.

Deuxio, lancement d’un vaste programme d’harmonisation des textes réglementaires relatifs à l’occupation et à l’exploitation des terres en RDC : loi foncière, code agricole, code forestier, code minier.

Tercio, promulgation de la loi de mise en œuvre de la parité, pour mettre fin à la discrimination des femmes et faire progresser leur participation à la décision politique, conformément à l’article 14 de la Constitution. (En RDC, le gouvernement actuel ne compte que 15% de femmes).

Que pensez-vous de l’avènement du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique ? 

C’est un bond en avant ! Le CAVIE est une innovation qui a les moyens de soutenir, voire stimuler le développement des pays africains. Le continent acquiert ici un instrument stratégique dans un domaine – veille et intelligence économique – qui présente des enjeux colossaux dans l’Afrique du 21ème siècle. Car l’émergence effective reposera aussi sur sa capacité à accéder aux informations stratégiques et à les gérer efficacement pour être plus proactive que réactive face aux marchés.

Collecter des données électroniques ou via le renseignement humain est une chose, maîtriser la mise en place d’un dispositif d’intelligence économique en est une autre. Le CAVIE réunit le meilleur des deux mondes et je trouve également fondamental d’avoir un centre africain permettant une formation de pointe pour les professionnels de demain dans ce secteur.

Propos recueillis par la Rédaction

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