Armajaro fait trembler la planète cacao

La rumeur courrait à Londres depuis le début de juin 2010. Un mystérieux acheteur avait commandé 241 000 tonnes de fèves de cacao… « Un cas non conforme » pour le marché européen. Le 16 juillet suivant, l’acheteur a réceptionné sa marchandise. Une acquisition physique !

Par Guy Gweth

Anthony Ward, co-fondateur du groupe Armajaro, n’est pourtant pas un inconnu. Durant l’été 2002, ce quinquagénaire –  qui préfère la période estivale pour les grandes manœuvres – a gagné près de 60 millions de dollars  (en deux mois) en anticipant sur la hausse du cours de l’or brun. Au mois d’août de cette année-là, il a acheté 203 320 tonnes de cacao, juste avant de voir les prix passer de 1400 à 1600 livres la tonne. A la City, les traders l’ont surnommé « Chocolate Finger ».

Sa cargaison remplirait cinq fois le Titanic

D’après les analystes, même un géant de la taille de Nestlé – qui absorbe à lui seul  400 000 tonnes/an (soit 12% de la production mondiale) – ne se risquerait à une prise unique de cette ampleur. Les 241 000 tonnes acquis par Armajaro pourraient en effet remplir cinq fois le Titanic ! On ignore encore quelle va être la stratégie exacte de « Chocolate Finger », même si la plupart des analystes pensent qu’il y a de fortes chances qu’il force l’augmentation de la tablette de chocolat. Le prix de cette dernière n’a pas cessé de croître au cours des 24 derniers mois.

Côte d’ivoire et Ghana ont enrhumé le marché

La baisse de la production ivoirienne et ghanéenne cumulée à l’augmentation de la demande chinoise et indienne avaient déjà tendu le marché. A elle seule, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, fournit 40% des 3,5 tonnes nécessaires à la confection des plus prestigieuses confiseries fabriquées sur la planète. Anthony Ward sait que la baisse de la production ivoirienne et ghanéenne est essentiellement due au vieillissement du verger et aux maladies telles que le Swollen shoot, et son groupe veut contribuer à y remédier. Pour la saison 2009/2010, le déficit pourrait s’élever à 69000 tonnes selon l’Organisation internationale du cacao.

Aucun bénéfice pour les producteurs africains

L’opération d’Armajaro est jugée non conforme par les analystes car l’acheteur a obtenu la livraison physique de la marchandise. Les fèves devraient être stockées dans un des hangars de Liffe en Allemagne, en Belgique, en France, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. De plus, cette acquisition d’une valeur de plus d’un milliard de dollars élève le prix du cacao à son plus haut niveau depuis 1977. L’embellie ne profitera malheureusement pas aux agriculteurs africains pour une raison simple : ils ont déjà été payés à un prix fixe. Avec 241000 tonnes, l’objectif stratégique d’Armajaro est avant tout de créer incertitude et volatilité sur le marché.

Mais Anthony Ward n’en restera pas là. Il veut aller à la conquête des terres arables d’Afrique. En été 2009 déjà, son entreprise a distribué deux millions de dollars aux coopératives et aux paysans du réseau « Production durable certifiée » en collaboration avec GTZ, USAID et Kraft. Après le cacao et le café certifiés, la Holding britannique se tourne vers les produits alimentaires, pariant cette fois sur le boom démographique et l’augmentation de la faim dans le monde.

Cet article de Guy Gweth a été publié dans  Les Afriques, rubrique Intelligence économique et stratégique, le 19 juillet 2010.