Comment Barack Obama a-t-il pu entrer vivant dans l’Histoire ?

[Africa Diligence] Les chercheurs Vincent Michelot, professeur d’histoire politique des États-Unis à Sciences-Po Lyon, et Romain Huret directeur du Centre d’études nord-américaines, s’accordent à penser que le président sortant marquera à jamais la culture politique américaine. Ensemble, ils analysent la place d’Obama dans l’histoire du pays.

vincent-michelotVincent Michelot : Oui, dans le sens où il est le premier président progressiste après une longue période dominée par les idées conservatrices. De 1968 à 2008, il n’y a eu que deux parenthèses démocrates avec Jimmy Carter (1977-1981) et Bill Clinton (1993-2001). Dans ce contexte, et sans majorité parlementaire, Barack Obama a mis en place trois grandes réformes : le plan de relance économique, l’Obamacare et la réforme de Wall Street. En somme, c’est sa volonté et sa capacité à reconstruire des pans de l’État providence qui laisseront une trace.

Romain_HuretRomain Huret : Il est important de rappeler le contexte de son arrivée au pouvoir, avec deux crises majeures aux États-Unis. Une intérieure, avec la crise économique, et une extérieure, liée aux enlisements afghans et irakiens, couplés au ras-le-bol de l’opinion publique pour la politique de terreur menée par George Bush. Depuis Roosevelt, aucun président n’avait eu à gérer de crises de cette ampleur et Obama a trouvé des solutions. Le taux de chômage a diminué, l’économie est relancée, les finances stabilisées et à l’extérieur, il a terminé les guerres de l’administration Bush. Obama a pratiqué une politique d’apaisement pendant ses deux mandats. Il a fait moins que ce qu’il avait promis, comme le lui reproche une partie de la gauche américaine, mais il a stabilisé le pays.

Ces critiques sont-elles fondées ?

R.H. : Sa manière de pratiquer la politique est novatrice dans l’histoire politique américaine. Le pragmatisme est sa méthode. C’est un président hors norme, d’un point de vue historique, par sa recherche permanente de compromis qu’il ne considère pas comme une faiblesse, comparé à nombre de ses adversaires. Il s’est toujours entouré de personnes d’horizons divers et a multiplié dans ses équipes les strates générationnelles. Il écoute tous les avis, y compris ceux de ses adversaires. Pour Obama, la présidence est un lieu de convergence au service de la nation, il a très bien compris l’importance des forces conservatrices aux États-Unis et a affiché une volonté de passer en douceur, quitte à être taxé de manque de tranchant.

Quel héritage va-t-il léguer ?

V.M. : Ce qui est nouveau avec Obama, c’est qu’il ne laisse derrière lui aucun scandale ou dysfonctionnement majeur. Bush avait très mal géré la crise de l’ouragan Katrina, où les citoyens américains avaient eu le sentiment d’un État incapable de les protéger. Les années Clinton avec l’affaire Lewinsky ou même celles de Nixon, poussé à la démission par le Watergate, ont été émaillées par des scandales. Sans vouloir devenir un apologue, Obama n’est pas terni par un événement de ce genre. Cela rejoint sa manière bien à lui de gérer quotidiennement le pays, dictée par les maximes «Obama no drama» ou encore «don’t do anything stupid», qui est sa vision de la politique étrangère. En d’autres termes, ne pas se précipiter et prendre en considération les conséquences de ses actions. Néanmoins, je pense que juger Obama, ou l’étalonner comme président marquant ou non, n’a aujourd’hui pas de sens. Regardez George W. Bush, ce n’est qu’après huit ans de recul que l’on connaît la place qu’il occupe au panthéon des présidents.

R.H. : En tant que premier président afro-américain, Obama va entrer dans l’histoire des États-Unis. Ses capacités rhétoriques et d’analyse de la société américaine servent de modèle à une partie de la jeunesse qu’il a su fédérer et ça, c’est nouveau. C’est un modèle moral très exigeant, il a le souci de l’excellence caractéristique de la communauté afro-américaine, qui cherche à prouver deux fois plus que les autres. C’est un modèle éthique reconnu par l’absence de scandale. Il a réhabilité la notion de service publique et a poussé les jeunes à s’engager comme personne avant lui.

Obama incarne-t-il une époque ?

V.M. : C’est un des plus grands présidents en matière d’excellence oratoire. Avec Roosevelt et Kennedy, il fait partie des plus grands dans ce domaine, mais c’est un président en phase avec son temps : il a compris comment on doit communiquer, donc de ce point de vue, il n’a pas de mérite particulier. Ce n’est pas ce qui restera dans l’histoire pour moi.

R.H. : Obama incarne clairement une époque, c’est un président jeune au moment de son élection avec un parcours singulier pour avoir travaillé dans le social. Il n’a pas suivi le parcours classique d’autres présidents américains. Il est plus en phase avec la jeunesse du pays. C’est un leader moderne, symbole d’une urbanité multiculturelle. Je pense qu’il a ouvert la voie et qu’il est le premier d’une longue liste de dirigeants de cette trempe.

Ce qui tombera dans l’oubli ?

V.M. : Indubitablement sa gestion du dossier israélo-palestinien, mais comme à peu près tous les présidents des États-Unis.

R.H. : Son rapport à la communauté afro-américaine. Il a stabilisé la classe moyenne, mais n’a pas fait grand-chose pour les plus pauvres et les Noirs. Il a d’emblée refusé d’être le président de cette communauté. Avec les nombreux faits divers impliquant la police et le mouvement Black Lives Matter, Obama a pris conscience du phénomène de «racisme institutionnel» qui existe aux États-Unis, mais il n’a pas été capable de le faire disparaître. Cela résulte plus de l’organisation fédérale – les shérifs sont élus et donc libres des orientations qu’ils donnent – que d’une volonté délibérée de ne pas agir.

Entretien mené par Guillaume Reuge