Le Kenya vise une émission obligataire massive malgré les attentats

(Africa Diligence) Malgré les attentats terroristes et les crises des dernières années, le Kenya envisage une émission obligataire massive. Nairobi veut transformer le soutien déclenché chez ses alliés occidentaux et les investisseurs internationaux – par les efforts du pays pour amortir les chocs – en une véritable opportunité de croissance inclusive.

En cinq ans, le Kenya, meurtri en 2008 par une grave crise politique, puis les années suivantes par une sécheresse dévastatrice et la crise mondiale, a renoué avec une forte croissance : la hausse de son Produit intérieur brut (PIB) est passée d’environ 1,5% en 2008 à plus de 4% en 2012 et devrait avoisiner les 5,5% en 2013.

Il a aussi renfloué ses réserves en devises étrangères et réduit son inflation — passée de 14% en 2011 à 9,4% en 2012, elle devrait tourner autour de 5% cette année.

Le pays est désormais prêt à emprunter sur le marché obligataire international. Et le gouvernement voit les choses en grand: lancer dès novembre une vaste émission allant, selon les sources, de 1 à 1,5 milliard de dollars.

Car ses ambitions retrouvées, le Kenya, qui compte rejoindre les pays à revenu intermédiaire en 2030, a un besoin massif de financements pour surmonter les importants obstacles qui restent sur sa route, notamment son déficit criant d’infrastructures: ses routes sont en piteux état, le port de Mombasa (est), porte d’entrée sur l’Afrique de l’Est, est congestionné et les capacités électriques largement insuffisantes.

L’idée de l’emprunt germe depuis longtemps dans la tête des autorités kényanes.

Elle avait été lancée en 2006, à une échelle d’un demi-milliard de dollars, rappelle le vice-gouverneur de la Banque centrale, Haron Sirima.

Jugée trop proche de l’élection présidentielle à venir de l’époque, celle de décembre 2007, elle avait été repoussée. La suite des événements l’avait reportée aux calendes grecques : le scrutin, à l’issue contestée, avait dégénéré en terribles violences politico-ethniques — plus de 1.000 personnes avaient été tuées –, et donné un coup d’arrêt à la croissance.

Le pays, dont l’économie dépend en bonne partie du tourisme, avait mis d’autant plus de temps à s’en remettre que d’autres coups durs — sécheresse dans la Corne de l’Afrique en 2011 et crise mondiale mais aussi série d’attaques et d’enlèvements sur son sol — avaient suivi.

Quels risques?

Mais le Kenya a depuis regagné confiance, et veut croire au succès de son émission obligataire malgré les récents attentats. « Nous sommes optimistes qu’elle sera largement souscrite, » a glissé M. Sirima.

Cette semaine, une conférence co-organisée par le Fonds monétaire international (FMI) sur les défis et les succès de la première économie d’Afrique de l’Est a semblé lui donner raison, enchaînant les interventions laudatives.

Et encourageant l’émission à venir, d’autant que, selon la responsable du département Afrique du FMI, Antoinette Sayeh, les investisseurs sont peu troublés par sa concomitance avec les procès du président kényan Uhuru Kenyatta et de son vice-président William Ruto devant la Cour pénale internationale pour leurs rôles présumés dans les violences post-électorales de fin 2007-début 2008.

Pour Kitili Mbathi, patron de Stanbic Bank (groupe Standard Bank) pour l’Afrique de l’Est, Nairobi n’a plus de marge pour emprunter sur son marché intérieur. A contrario, estime-t-il, les conditions sont favorables sur le marché international.

Les taux d’intérêt américains restent, malgré leur récente remontée, « historiquement bas », a-t-il relevé lors de la conférence. Et les pays africains, en particulier les pays dits « frontières » comme le Kenya, moins avancés que les pays émergents comme l’Afrique du Sud et qui proposent des rendements plus attractifs, « en profitent ».

« Sur les dix dernières années, l’intérêt des investisseurs étrangers pour l’Afrique a crû de façon significative, » d’abord tourné vers les ressources naturelles, mais désormais aussi vers les actifs financiers, a renchéri dans la même conférence Carmen Altenkirch, analyste à l’agence de notation Fitch.

Plusieurs autres pays africains — Ghana, Zambie, Rwanda… — ont d’ailleurs déjà lancé avec succès des émissions obligataires.

L’émission prévue par le Kenya n’est cependant pas sans risques.

Sa taille pourrait poser problème : « Un milliard (de dollars) est probablement assez ambitieux, 1,5 milliard est exceptionnellement ambitieux, » note un expert sous couvert d’anonymat, soulignant que pour leurs premières émissions, les autres pays africains n’ont pas dépassé 500 ou 700 millions de dollars. Le risque est que « cela mette de la pression sur le prix de l’émission »: Nairobi devrait emprunter à un taux plus élevé.

Le risque est d’autant plus fort que le Kenya est déjà relativement endetté, plus que les autres pays d’Afrique sub-saharienne en pourcentage du PIB.

Pour Charles Robertson, expert des économies sub-sahariennes chez Renaissance Capital, Nairobi a de la marge en matière de dette extérieure.

Mais le risque est que dans un an « les banques reviennent de Londres et New York et disent aux Kenyans: Vous avez emprunté 1,5 milliard l’an dernier, empruntez un autre milliard, le marché va adorer, » nuance-t-il. « Le risque est que s’ils empruntent trop, les déficits budgétaire et courant deviennent trop importants, et l’économie surchauffe. »

(Avec AFP)