L’Oréal à la conquête du marché africain

(Africa Diligence) L’Oréal, numéro un mondial des cosmétiques, fait figure de challenger en Afrique sub-saharienne, où il doit combler l’écart avec ses grands rivaux Unilever et Procter & Gamble dans une région prometteuse mais difficile. Et si la peau noire était l’avenir de L’Oréal?

En pleine expansion économique et démographique, l’Afrique noire constitue un gigantesque gisement pour les grands fabricants de shampoings, déodorants ou crèmes de soins qui bataillent pour prendre leur part d’un marché qui progresse deux fois plus vite qu’en moyenne dans le monde.

Le marché des cosmétiques y est évalué à 5,2 milliards d’euros, selon Euromonitor, et croît d’environ 8% à 10% par an, contre 4% pour le marché mondial.

Outre l’Afrique du Sud, poids lourd de la région, où il est estimé à 3,5 milliards d’euros, le Nigeria, le Kenya et le Ghana sont les principaux pays visés par les trois géants mondiaux, car ils bénéficient d’une croissance économique qui oscille entre 5% et 8% par an et de l’émergence d’une classe moyenne urbaine dont les revenus avoisinent 10.000 dollars par an, le coeur de leur cible.

« Avec de tels taux de croissance, tout le monde veut y aller, avec des marques internationales ou locales acquises pour le marché africain », remarque Jean-Marc Liduena, associé du cabinet de conseil Roland Berger.

Selon les estimations du cabinet McKinsey, le nombre de ménages africains disposant d’un revenu discrétionnaire (revenu disponible après dépenses contraintes) devrait grimper de 50% dans les dix prochaines années pour atteindre 128 millions.

ÉCHOPPES ET MARCHÉS

L’ancienneté constitue cependant un atout majeur dans la région, où la principale difficulté est d’atteindre les consommateurs en l’absence de réseaux organisés.

L’Oréal, installé en Afrique du Sud depuis déjà 50 ans, arrive ainsi loin derrière l’anglo-néerlandais Unilever , dont la présence dans le pays remonte au début du XXe siècle, et même après l’américain Procter & Gamble.

La part de marché du français y était de 7,7% en 2011, selon Euromonitor, contre 16,4% pour Unilever et 8% pour P&G.

Au Nigeria, premier marché de la région hors Afrique du Sud, évalué à environ 600 millions de dollars, le français oscillait autour de 1,9% quand Unilever était à 15% (deuxième derrière le britannique PZ Cussons ) et P&G à 4,4%. Au Kenya aussi, Unilever (9%) était devant L’Oréal (2,3%)) et P&G (2,2%).

Dans sa conquête africaine, L’Oréal se heurte à un obstacle de taille, celui de la distribution, qui constitue la clé du développement. Les chaînes comme ShopRite ou Metcash sont très organisées et bien implantées en Afrique du Sud, tandis qu’ailleurs la distribution reste très fragmentée.

L’essentiel du marché passe par des petites échoppes, des épiceries ou des marchés. Au Kenya par exemple, marché évalué à 200 millions d’euros, seulement 15% des produits d’hygiène et de beauté sont vendus dans des supermarchés.

« Unilever a une prime à l’ancienneté de plusieurs dizaines d’années et un réseau de distributeurs permettant d’accéder aux petites boutiques locales », souligne Jean-Marc Liduena.

Le groupe anglo-néerlandais avait débuté avec des détergents vendus en sachets de 20 à 30 milligrammes.

Pour Geoff Skingsley, directeur général du pôle Afrique et Moyen-Orient de L’Oréal, cette fragmentation de la distribution empêche d’espérer une « explosion du business ».

Le pari, ajoute-t-il, « c’est que l’Afrique sub-saharienne, qui représente aujourd’hui 3% du marché mondial des cosmétiques, atteindra 5% d’ici quatre ou cinq ans ».

UNE USINE AU KENYA

Décidé à combler l’écart, L’Oréal a créé il y a un an une direction dédiée à la région et ouvert des filiales au Nigeria et au Kenya aux côtés de sa filiale sud-africaine existante.

Le groupe vient par ailleurs d’acquérir la société kenyane Interconsumer Products, spécialiste du soin du cheveu et de la peau, qui lui permettra, grâce à son usine, d’avoir un centre de production en Afrique de l’Est.

« Nous croyons à l’Afrique et nous construisons nos bases pour le futur, au Nigeria ou au Ghana, mais nous partons de peu de chose », avait reconnu Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, lors des résultats annuels du groupe, en février. « Le marché va se développer, mais progressivement. »

L’Oréal se refuse à toute indication sur son niveau de chiffre d’affaires réalisé dans la région.

Ses concurrents affichent quant à eux leurs ambitions. Unilever, dont le chiffre d’affaires dépasse trois milliards d’euros en Afrique, entend y doubler ses ventes – tous produits confondus – d’ici à 2017. Le propriétaire de Dove se focalise sur les marchés sud-africain et nigérian.

Procter & Gamble va pour sa part investir 450 millions de dollars dans des usines situées dans ces deux pays, et entend doubler en trois ans le nombre de ses points de vente.

MARQUES LOCALES

Le marché de la beauté en Afrique est principalement axé sur les produits capillaires et les soins du corps. Les soins du visage et le maquillage restent encore marginaux (6% à 7% du marché chacun seulement).

Les groupes internationaux ont donc racheté des marques locales spécialisées dans les produits adaptés aux peaux et aux cheveux africains. Unilever a acquis Alberto Culver (Motions ou Tcb) en 2001. Chez L’Oréal, l’arme de conquête s’appelle Softsheen Carson et sa marque Dark & Lovely, rachetée en 2000.

« Les Africaines apportent un soin particulier à leurs cheveux. Dans la classe moyenne, elles peuvent aller deux fois par mois chez le coiffeur et pour le corps, elles dépensent trois fois plus que pour le visage », souligne Geoff Skingsley.

Dans la course, les groupes occidentaux sont aussi de plus en plus concurrencés par de grands fabricants indiens, comme Godrej ou Marico.

Comme ses concurrents, L’Oréal se heurte aussi aux questions de sécurité et de corruption, qui constituent aussi des obstacles au développement. Au Nigeria, le revenu du pétrole par habitant est passé de 33 à 325 dollars entre 1965 et 2000 et à cette date, les 2% de Nigérians les plus riches gagnaient l’équivalent des 55% les plus pauvres, selon l’Institut français des relations internationales.

La ruée vers l’Afrique provoque aussi l’engorgement d’infrastructures qui n’ont pas suivi la croissance des échanges. Il y a dix jours d’attente au port kenyan de Mombasa.

(Avec Pascale DENIS)