Le modèle ghanéen à l’épreuve de l’or noir

(Africa Diligence) Accra, la capitale ghanéenne est la vitrine parfaite du décollage de cet Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest. En dix ans, le Ghana démocratique s’est hissé à la deuxième place des économies ouest-africaines, derrière le géant nigérian, avec des taux de croissance record allant de 14 % en 2011, à 8 % en 2012. Le pétrole.

Ce samedi après-midi, Christine est venue à Accra pour se détendre. Cette jeune Ghanéenne, qui habite la ville de Tema, voisine de la capitale, y a ses habitudes, son salon de coiffure et le Smoothie, sorte de Starbucks local, dans la grande rue commerçante du quartier d’Osu. Après plusieurs années d’études aux Etats-Unis, la jeune femme a choisi de rentrer dans son pays. A 30 ans, elle a lancé sa propre entreprise sur Internet – du conseil dans le secteur des bijoux et accessoires. « Il y a, au Ghana, une jeunesse forte qui participe activement au dynamisme de l’économie », explique-t-elle.

Dehors, Oxford Street s’active. On y sort le soir, et on y consomme. Les enseignes de téléphonie mobile, chaînes de restauration rapide, boutiques de vêtements et magasins d’électroménager ont envahi la rue. Les vendeurs ambulants slaloment entre les voitures et les 4 × 4 coincés dans les embouteillages quotidiens de la capitale. D’immenses panneaux publicitaires font la promotion d’appartements sur plan, de berlines et de tablettes numériques.

Ces dernières années, la métamorphose d’Accra s’est accélérée. Les constructions poussent un peu partout et grignotent peu à peu les quartiers populaires du centre de la ville. Des malls, ces grands centres commerciaux à l’américaine, ont fait leur apparition. Si Oxford Street incarne l’essor d’une classe moyenne, d’autres quartiers affichent un luxe ostentatoire. Dans la zone de l’aéroport, nouveau centre des affaires, un Hôtel Marriott, en construction, devrait prochainement côtoyer l’Holiday Inn. Des milliers de mètres carrés de bureaux seront bientôt disponibles pour répondre à la demande des investisseurs, qui affluent.

UN DES PAYS PHARES DU CONTINENT

La capitale ghanéenne est la vitrine parfaite du décollage de cet Etat anglophone d’Afrique de l’Ouest peuplé de 25 millions d’habitants, devenu un des pays phares du continent. En dix ans, le Ghana démocratique (une rareté dans la région) s’est hissé à la deuxième place des économies ouest-africaines, derrière le géant nigérian, avec des taux de croissance record (14 % en 2011, 8 % en 2012). Il est le deuxième producteur mondial de cacao, talonne l’Afrique du Sud pour la production d’or. Et, depuis 2010, il est producteur de pétrole, dont d’importants gisements ont été découverts au large de ses côtes.

« C’est le pays africain où il faut être », confirme Patrick Prado, directeur général de la compagnie d’assurances Allianz Ghana. Il s’y est installé en 2009, et ne cesse de s’en féliciter. Son affaire enregistre plus de 30 % de croissance annuelle. « Le Ghana est un pays discipliné, pragmatique, respectueux de la loi », explique-t-il, en énumérant les avantages : un climat politique stable, une main-d’oeuvre qualifiée (et très bon marché), un système bancaire performant et une fiscalité pesant faiblement sur les entreprises. « Il y a une concurrence énorme entre investisseurs pour s’y implanter », souligne l’homme d’affaires.

Les entreprises sont attirées par une classe moyenne émergente qui consomme de plus en plus et par un environnement des affaires particulièrement favorable. Le Ghana est classé 64e par la Banque mondiale dans son rapport « Doing Business », ce qui revient à faire du pays l’un des plus attractifs d’Afrique.

L’Etat ghanéen a reçu 3,2 milliards de dollars (2,47 milliards d’euros) d’investissements directs étrangers en 2011. Seuls l’Afrique du Sud et le Nigeriaont fait mieux. L’Union européenne est son premier partenaire commercial, mais les investisseurs britanniques, allemands et français ont été rejoints par des Indiens, des Sud-Africains, des Turcs et des Brésiliens. Quant à la Chine, elle est devenue incontournable, octroyant au pays, à l’automne 2011, un prêt colossal de 3 milliards de dollars pour la construction d’infrastructures.

LE PREMIER VOYAGE D’OBAMA EN AFRIQUE

Cette ruée a un petit goût de revanche pour le Ghana. Car l’ancienne Côte-de-l’Or britannique, qui fut le premier Etat au sud du Sahara à se libérer du colonisateur, en 1957, revient de loin. Six ans seulement après l’élection de son premier président, le leader panafricaniste Kwame Nkrumah, le pays connut le premier d’une longue série de coups d’Etat qui feront sombrer son économie. Il fit ainsi longtemps figure de mauvais élève à côté d’une Côte d’Ivoire citée en exemple. Le Ghana ne sortira de ce marasme qu’à partir des années 1990. Arrivé au pouvoirpar les armes en 1981, le président Jerry Rawlings, artisan de la libéralisation économique du pays, fait adopter en 1992 une nouvelle Constitution, démocratique, qui changera le destin de cette nation.

L’Etat ghanéen est aujourd’hui une démocratie montrée en exemple. En 2009, c’est le Ghana et non le Kenya, où est pourtant né son père, que Barack Obama a choisi pour son premier voyage en Afrique subsaharienne.

En vingt ans, le pays a connu six élections transparentes et deux alternances pacifiques – fait rare en Afrique – entre les deux principaux partis, le Congrès démocratique national (National Democratic Congress, social-démocrate) de l’actuel président John Dramani Mahama, et le Nouveau Parti patriotique (New Patriotic Party, centre droit). « Les Ghanéens estiment que la démocratie, en dépit de toutes ses imperfections, est le meilleur système, explique Franklin Oduro, directeur adjoint du Centre ghanéen pour le développement démocratique. Ils savent par où ils sont passés et ne veulent pas y retourner. Et les exemples d’autres pays de la région dans la tourmente servent de repoussoir. »

Le Ghana a notamment échappé à la guerre civile qu’a connue son voisin ivoirien. Les tensions ethniques ont existé, notamment en 1994, année où des affrontements ont fait 2 000 morts et 150 000 déplacés dans le Nord. Elles persistent mais n’ont jamais dégénéré en conflit généralisé. Pour le politologue, plusieurs raisons l’expliquent : « Le rôle du président Kwame Nkrumah, qui a encouragé les mariages interethniques, les écoles mixtes, forgeant un sentiment d’appartenance national, ou encore le fait que le Ghana ait conservé un puissant système de chefferies traditionnelles, inscrit dans la Constitution. »

UNE PRESSE LIBRE

La société civile est présente dans tous les secteurs. Au demeurant, les kiosques à journaux témoignent de la vitalité d’une presse libre. « Mais, après vingt ans de démocratie, il nous reste un défi majeur : répondre à la demande de justicesociale, souligne Franklin Oduro. Aujourd’hui, c’est de là que peut venir un risque d’instabilité. » La croissance économique a certes permis un décollage : le taux de pauvreté est passé de 52 % à 28 % entre 1992 et 2006 ; l’espérance de vie a atteint les 64 ans, contre 54 ans en Côte d’Ivoire. Mais le revenu moyen par habitant reste inférieur à 4 dollars par jour.

Dès la sortie du centre d’Accra, on découvre l’étendue des besoins. Le coeur de la capitale est entouré de dizaines de bidonvilles, peuplés de familles venues pour la plupart du nord du Ghana, pauvre et aride. L’un d’eux a été surnommé par ses habitants « Sodome et Gomorrhe ». On n’y entre pas, on y plonge. En retenant son souffle. 90 000 personnes y vivent, entassées, sans réseau d’assainissement. C’est une fourmilière où l’on pratique tous les métiers.

Assise sous un auvent de fortune, devant sa vieille machine à coudre, Anisa Nouhu vient de Wulonsi, dans le Nord. Cette mère de famille est arrivée ici en 2000 pour suivre son mari. Elle se considère comme une privilégiée parce qu’elle a un emploi. Mais sa situation reste précaire. La principale crainte des personnes dans sa situation provient de l’illégalité de ces zones dépourvues d’accès auxservices publics qui peuvent être rasées à tout moment. Si tel était le cas, la jeune femme perdrait tout.

A quelques venelles de là, George Ndikibi tient une petite pharmacie, ouverte en 1999. Arrivé en 1994 après des affrontements ethniques dans le Nord, cet homme volubile connaît parfaitement l’endroit et ses problèmes. Il continue d’assister à l’afflux des habitants de sa région, malgré les plans de développement lancés par le gouvernement. « Le Ghana est peut-être en train de devenir une économie importante au niveau international, mais ça n’aide pas la base », se désole-t-il.

Le fossé entre le nord du pays, à majorité musulmane, et le sud, où se concentre l’essentiel de l’activité économique, est l’un des principaux défis à relever pour les autorités. Mais ce n’est pas le seul. « Le Ghana connaît de graves manques en électricité et en eau, qui se sont accentués avec la croissance de l’économie. S’y ajoutent un problème croissant de qualité de l’éducation et, surtout, un taux de chômage très élevé », souligne Eugénie Maïga, du Centre africain pour la transformation économique. « Lorsqu’une économie est dépendante des matières premières comme le cacao, l’or, le pétrole, la priorité est d’investir ces revenus dans d’autres domaines qui, eux, sont créateurs d’emplois », ajoute-t-elle.

MANNE PÉTROLIÈRE

L’arrivée de la manne pétrolière a décuplé les espoirs de la population, et son utilisation a été au coeur du scrutin présidentiel de décembre 2012. Le président sortant, John Mahama (NDC), avait promis d’investir dans les infrastructures ; son rival du Nouveau Parti patriotique (NPP), principal parti d’opposition, Nana Akufo-Addo, de financer une éducation gratuite.

Au-delà du pétrole, la hausse des inégalités, provoquée par le boom économique, fait de l’amélioration des conditions de vie le sujet central du débat politique. Le NPP, dans l’opposition depuis quatre ans, conteste les succès économiques dupouvoir en place. « Les chiffres sont une chose, la vie quotidienne des Ghanéens une autre. La croissance des dernières années a été tirée par le pétrole, mais l’agriculture, qui emploie la majorité de la population, est en retard », avance Jake Obetsebi Lamptey, président du NPP. Il dénonce le creusement du déficit du budget de l’Etat (12 % en 2012) et l’inflation, qui avoisine les 10 % par an.

De son côté, John Mahama a affiché son ambition de porter le revenu moyen par habitant à 2 300 dollars par an d’ici à 2017, soit le double de son montant en 2009. Interrogé au siège de la présidence, le chef de l’Etat souligne sa volonté de mieuxtirer profit des ressources naturelles, souvent exploitées par des compagnies étrangères. « Il s’agit de partager la prospérité. Toutes les entreprises comprennent que c’est la condition d’un partenariat « gagnant, gagnant » », avance-t-il.

L’élection du chef de l’Etat, qui a obtenu 50,7 % des voix, est contestée par le NPP, qui a dénoncé des irrégularités dans le scrutin. Mais cette contestation n’a pas donné lieu à des affrontements post-électoraux. Le principal parti d’opposition a décidé de déposer un recours devant la Cour suprême, une première dans le pays. Celle-ci peut décider de confirmer l’élection de John Mahama, de l’infirmer ou de refaire voter les Ghanéens. Le candidat du NPP, Nana Akufo-Addo, et le président ont tous les deux prévenu qu’ils accepteront la décision, quelle qu’elle soit. Un nouveau test pour la démocratie ghanéenne.

Charlotte BOZONNET