(Africa Diligence) Les grandes transactions foncières entre les États africains et les investisseurs étrangers ont vu des pans entiers de campagnes mis en location ou en concession, et ce durant au moins 50 à 99 années. La privation des terres soulève dès lors des questions non seulement sur les droits fonciers et la transparence de l’investissement, mais aussi sur ce qui constitue le développement agricole inclusif et comment y parvenir.
Les transactions foncières entre les États africains et les investisseurs étrangers menacent le mode de vie des agriculteurs, alors que des investissements réalisés dans l’agriculture augmenteraient la productivité et la richesse, affirme Ruth Hall, professeur agrégé de l’Institut d’études sur la pauvreté, la terre et l’agriculture (Afrique du Sud).
Du Sénégal à l’Éthiopie, en passant par le Mozambique, les terres en friche ou disponibles ont changé de propriétaires, entraînant ainsi de lourdes conséquences pour les populations locales et l’environnement. Avec des estimations allant de 56 à 227 millions d’hectares de terres dans le monde (60 à 70% de ces terres étant en Afrique), il est évident qu’une transformation rapide de la propriété foncière et des systèmes agricoles a eu lieu au cours des cinq à dix dernières années.
Faut-il remplacer les agriculteurs ?
Lors d’une récente réunion de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), les parlementaires et les petits agriculteurs de cette région riche en ressources se sont heurtés au type d’investissement requis. Le vice-président du Parlement panafricain, l’honorable Roger Nkodo Dang du Cameroun, a par ailleurs plaidé en faveur de l’industrialisation de l’agriculture et de la commercialisation des produits agricoles.
Toutefois, cette vision ne tient pas compte des tensions inévitables qui se posent : la coupe à blanc des forêts tropicales pour faire place à des plantations de palmiers à huile détruit les puits de carbone. Le délogement des agriculteurs locaux pour faire place à des plantations commerciales pourrait sans doute favoriser la production alimentaire efficace pour les marchés mondiaux, mais compromettrait la sécurité alimentaire de la population locale.
De la privation des terres à un investissement agricole responsable
Le rapport 2011 de la Banque mondiale sur « l’intérêt croissant des investisseurs » à l’agriculture a permis de constater que la situation des agriculteurs est bien pire en tant que travailleurs qu’en tant qu’agriculteurs indépendants. Pour Alangeh Romanus Che, de la Plate-forme régionale des organisations paysannes de l’Afrique centrale, il faut investir auprès des agriculteurs africains plutôt que de prendre leurs terres.
Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale a récemment présenté son « projet » en vue de consulter les parties prenantes africaines à Johannesburg. Il s’agissait ici de voir comment définir et garantir des investissements agricoles responsables. Il en résulte que pour un revirement dans l’agriculture africaine, il faut commencer par reconsidérer la réduction des subventions, la déréglementation agricole et la libéralisation du commerce qui ont constitué la formule politique imposée à de nombreux États africains durant les trois dernières décennies.
Divers investissements publics/privés, internes/externes permettraient aux agriculteurs de commercialiser et d’augmenter la production, d’accéder aux intrants peu coûteux et appropriés, d’améliorer leur productivité, d’ajouter de la valeur à leurs produits, d’accéder à de meilleurs marchés et de chercher de meilleurs prix pour l’amélioration des produits de qualité.
Le challenge reste donc d’élaborer des programmes de développement alternatif concrets qui confirment les droits fonciers des familles agricoles et qui favorisent l’investissent auprès de celles-ci.
Roseline Ngo Boula, Carine Aboya et Junior Sagne
Les gouvernements africains aiment la facilité au détriment des intérêts de leur propre peuple.
La non performance du secteur agricole en Afrique n’est pas le fait des investisseurs étrangers, ni des banques qui n’accordent pas de crédits, mais le fait des Etats par leur manque de vision, la mauvaise organisation du secteur agricole et la non application de ce qui marche ailleurs.
Voici quelques explications.
– Combien de pays africains ont un service de cadastre performant ?
– Combien de paysans africains ont des titres fonciers ou de propriété pour leur terrain ?
– Combien de paysans africains sont membres d’une coopérative agricole ?
– Et même lorsque ces coopératives agricoles existent, combien sont dotées d’ingénieurs ou de techniciens agronomes permanents pour la diffusion des techniques agricoles modernes auprès des agriculteurs?
– Combien de pays africains ont une organisation paysanne sous forme de chaîne de valeurs de l’amont à l’aval ?
On nous dit les banques ne prêtent pas aux paysans et certains Etats pour palier à ces manquements décident de créer banques agricoles étatisées. C’est bien mais ça ne règle pas le problème. Comment voulez-vous que le banquier privé local prête 1 million appartenant à ses épargnants à un paysan dont on a pas la certitude que le terrain qu’il veut exploiter est bien le sien (terrain sans titre de propriété), paysan qui ne sait pas à qui vendre ces tomates parce que n’ayant pas un client officiellement enregistré, à quel prix puisque c’est un marché officieux sans contrat à terme, ne disposant pas de chambre froide pour la conservation de ses produits, ni de sociétés de transformation à proximité pour donner aux tomates brutes plus de valeur et une durée de vie plus longue (d’où l’organisation en chaîne de valeurs). Sans parler des rendements parce que les techniques culturales sont d’un autre temps.
Le Brésil a développé son agriculture (avec les avantages et les inconvénients que l’on sait) en moins d’une décennie par la volonté politique. Aujourd’hui, plus de 70% des paysans brésiliens sont membres d’une coopérative, ces coopératives sont dotées d’ingénieurs et de techniciens fonctionnaires et travaillent en étroite collaboration avec les paysans, analyse des sols pour l’adaptation des cultures, les prix de chaque produit agricole cultivé à grande échelle sont fixés par les bourses agricoles régionales directement accessible par les coopératives. Les clients et sociétés de transformation ainsi que les sociétés de logistiques y sont inscrits. Ces bourses agricoles régionales sont gérées par les représentants des coopératives agricoles et donc des paysans, des sociétés de transformation, des sociétés de logistique et des représentants des gouvernements locaux.
Un système de cadastre a été mis en place dans les grandes villes urbaines et les régions agricoles même si ce n’est pas parfait (notamment dans les favelas). Les banques locales accordent des crédits parce que les conditions minimales de sécurisation du crédit existent et tout naturellement le secteur agricole brésilien intéresse les investisseurs internationaux parce que l’ensemble de la chaîne de valeurs est sous contrôle.
Pourquoi les gouvernements africains ne copient pas ce qui fonctionne ailleurs et l’adapter si besoin aux réalités africaines ?
Copier ce qui marche ailleurs et l’adapter à notre situation, c’est bien. Créer nous-mêmes ce qui nous convient localement, c’est encore mieux, pensons-nous. Fin janvier 2014, l’Afrique n’est-elle pas assez mûre pour générer son propre modèle de développement?