Grace Nkunda : l’experte Burundaise exige une justice sociale dans l’émergence

[Africa Diligence] Le 8 décembre 2013, aux Pays-Bas, elle prend la parole devant le Président Burundais, Pierre Nkurunziza, pour expliquer sa vision de l’émergence. Après 10 ans de management et consulting, une Maîtrise en gestion des entreprises de Paris 13, un DEA en management international de l’IAE Lyon et un MBA de Paris Dauphine, cette Burundaise engagée regarde l’émergence de l’Afrique sous l’angle de la justice sociale.

« Depuis mon enfance, l’idée que je me fais du bien-être, de la santé et du développement économique est universelle. Elle englobe tous les peuples et particulièrement les personnes fragilisées » entame-t-elle. La précarité des laissés pour compte et la souffrance de celles et ceux dont plus personne ne se soucie, ont guidé le choix de ses études. Au long de ses 10 années dans de hautes fonctions de management et de consulting, son parcours a toujours été orienté par le désir profond d’apporter sa pierre « à la promotion de la santé, du bien-être et de la justice pour tous, ainsi qu’à la prévention des souffrances, à la guérison et au rétablissement des situations désespérées », renchérie l’experte militante qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Grace Nkunda : Si l’on considère que l’émergence économique du continent africain dépend en grande partie de la qualité des institutions des pays concernés, je dirais qu’il reste encore un bout de chemin pour la grande majorité des pays. Il faut encore du temps et des moyens pour s’approprier ou produire les normes et les valeurs gagnantes qui peuvent permettre d’émerger de la pauvreté économique vers une économie intermédiaire. Car une partie du continent est encore trop ancrée dans la société traditionnelle et plie sous le poids de coutumes totalement inadaptées à la haute compétition internationale et au développement économique tant souhaité.

Paradoxalement, la quasi-totalité des pays africains est rentrée dans une dynamique que je qualifierai de non-retour, même s’ils ne sont pas encore vraiment au diapason de l’économie mondialisée. J’en veux pour preuve la quantité et la diversité des investisseurs étrangers intéressés désormais par l’Afrique et qui se ruent vers ce continent comme des abeilles qui tournoient autour d’une ruche. Pour faire court, je crois en l’histoire future de l’Afrique qui passera aussi par l’émergence économique, qui est déjà en marche, même si la vie sur le terrain peut parfois paraître éloignée de ce qu’on peut lire sur le papier glacé de certains magazines. Sans doute, suis-je trop idéaliste, tant j’aimerais que les choses aillent encore plus vite que ce qu’elles ne sont aujourd’hui. Et oui, je crois en l’émergence économique de l’Afrique !

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Le premier levier est celui de la paix. C’est un cri de cœur qui vient du fond de mes entrailles et que je lance à l’ensemble des Africains et de leurs dirigeants. Où qu’ils soient, chacun doit contribuer à faire cesser les conflits civils, ethniques, politiques et religieux qui minent et gangrènent ce continent. Quel développement « durable » peut-on espérer et quel retard accumulons-nous avec des conflits incessants. Quel gâchis! Quelle énergie mal dépensée ! Je vous fais partager ce proverbe serbe qui m’a marquée dernièrement « Qui ne veut pas considérer un frère comme son frère désire un étranger comme Maître». Comprenne qui pourra!

À partir de là, inutile d’inventer le fil à couper le beurre. A l’instar d’autres pays qui ont réussi avant nous, deux grandes voies s’offrent à l’Afrique. Première possibilité, créer un environnement qui favorise l’implantation et la création d’entreprises de manufacturation en s’inspirant de nos amis Chinois tout en veillant à rester nous-mêmes. Deuxième possibilité, créer un environnement qui favorise la création de services à l’instar de Dubaï, sans pour autant défigurer nos sociétés. Dans les deux cas, l’Afrique a une place à prendre en tant que sous-traitant de la planète. Ceux qui l’ont été jusque-là commencent à s’essouffler. C’est une bonne opportunité qui s’offre à l’Afrique. Mais pour y arriver, le continent devra activer le levier de la paix – on ne le dira jamais assez – et le levier de l’éducation. Le continent a besoin de formations solides et adaptées qui allient savoir-faire et savoir-être. Et le troisième levier consiste à promouvoir l’esprit d’entrepreneurship (goût du risque, créativité et réglementation).

Si vous étiez élue chef de l’État de votre pays dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Cette perspective ne figure pas encore dans mon agenda, mais je vais me prêter à votre exercice. Ma première décision serait de bien m’entourer ! Les vrais dirigeants se mettent au service de leur peuple et non l’inverse. Moi Présidente, je m’entourerais de personnes compétentes et honnêtes qui mettent de l’ardeur et du cœur à l’ouvrage, et qui savent reconnaître leurs limites. Des hommes et des femmes persévérants face à l’adversité et capables d’être à l’écoute des autres.

Ma deuxième décision concernerait la justice sociale avec un point d’honneur sur la santé, ainsi que la justice économique et culturelle. Les indigents, les opprimés, les étrangers, les veufs et les orphelins seraient ma priorité afin de faire cesser l’exploitation et la marginalisation des plus vulnérables parmi nous. Le rôle de tout dirigeant est non seulement de protéger les plus faibles de la société mais aussi de leur permettre de participer socialement et économiquement à la vie de la cité. La justice sociale n’est pas de faire des assistés mais des citoyens à part entière. Cette justice se manifesterait dans tous les domaines y compris dans la régulation de la finance.

Mon troisième chantier concernerait la lutte contre la corruption et l’injustice sous toutes ses formes. Un pouvoir qui crée des espaces de non-droit en pleine période de démocratie numérique court à sa perte. Cela fait partie des manquements les plus condamnables pour un gouvernement. Cette tare détruit l’image d’un pays à une vitesse phénoménale. Une telle défaillance produit des dirigeants mous et incapables de défendre et de guider leur peuple.

La bonne nouvelle dans cette affaire, c’est que pour aller de l’avant, l’Afrique peut compter sur ses fils et ses filles, des citoyens prêts à relever le défi et à prendre leurs responsabilités. Plus que jamais, ils semblent prêts à user de leur créativité pour une Afrique émergente pour de vrai !

Propos recueillis par la Rédaction

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