Abad Boumsong, poète Camerounais, cherche le bonheur derrière la croissance

[Africa Diligence] Poète avant-gardiste, bâtisseur de nouvelles voies, Abad Boumsong met en place, dès son premier recueil « Le livre du néant » un concept novateur où ses poèmes sont lus, face à la caméra, par des personnalités telles que Patrick Poivres D’arvor, Omar Sy, Fred Testot, Sara Forestier, Eric Ebouaney, Sabrina Ouazzani ou Harry Roselmack. Dans ses vers, l’émergence de l’Afrique perd son latin à la recherche du vrai bonheur.

Après des études de lettres modernes, Abad Boumsong a œuvré en tant que journaliste et professionnel des relations publiques avant de se concentrer entièrement à sa carrière d’artiste.

Au long de son œuvre, il espère démanteler la poésie contemporaine et lui donner une impulsion qui ne serait pas cantonnée au seul livre. Il s’étend à toutes les autres formes d’art et supports médiatiques. Il veut faire de sa poésie un modèle de concept transmédias. Ainsi, son second opus « Dubstep » s’attaque-t-il à un genre inexploré par la poésie: « la science-fiction ». Ce faisant, elle ouvre un large champ de possibilité car l’auteur destine « Dubstep » à des genres comme le film d’animation ou le spectacle vivant.

Le poète camerounais voudrait être à la poésie ce qu’Einstein peut être à la physique. Sa vision de la poésie est au-delà de la poésie et bien au-delà de l’Art lui-même qu’il aimerait transcender « L’Art est à la science ce qu’est le temps à l’espace », explique-t-il. De ce fait, poursuit-t-il, l’Art est une donnée qui permet de comprendre l’univers autant que les mathématiques.

“Parce que j’irai loin, bien au-delà de ce verbe

“Prisonnier du papier dans un cachot superbe

“Je dirai à mes vers : ‘allez chercher le son

“Car il est votre frère et soyez des chansons’”

clame le poète hors norme qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Abad Boumsong : Il n’est pas nécessaire d’être Africain pour croire en l’émergence du continent africain. Il est juste nécessaire d’être lucide. Tous les signaux sont au vert pour l’Afrique. Sa démographie décriée jadis comme une faiblesse devient plutôt une force et avec une prévision de 4,4 milliards d’habitants en 2100. À cet horizon, 1 humain sur 3 sera Africain ou sur le continent africain. C’est tout vous dire. L’urbanisation explose avec plus de 100 villes qui dépasseront le million d’habitants à l’horizon 2030. Mais plus que les chiffres comme la croissance moyenne évaluée à 5,5% et ce malgré la crise de 2008, c’est surtout la vitalité de la population africaine en laquelle je crois. On parle beaucoup des matières premières dont le continent africain regorge et la nécessité de se les approprier et de contrôler leur processus de transformation. C’est vrai mais pour moi, en amont, la plus riche matière première de l’Afrique est l’Africain lui-même. C’est sa capacité à se réinventer, à croire en sa destinée et à vouloir jouer un rôle dans le développement de sa région, de son pays, du monde qui pour moi est plus déterminante que toute richesse tirée du sol. Il y a bien des nations qui jouent un grand rôle dans le concert économique mondial sans avoir de grandes ressources du sol. Je suis las qu’on vante les richesses de l’Afrique sans vanter celles de l’Africain lui-même, comme si l’Africain n’était qu’un de ces gagnants de la loterie juste chanceux d’avoir tiré les bons numéros. Je crois bien plus en l’Africain qu’en l’Afrique elle-même. Et s’il faut revenir aux chiffres, un quart de la population s’est lancée dans les affaires en 2014. L’Afrique est donc un continent d’entrepreneurs. Il y a sûrement une corrélation avec les contingences économiques qui poussent les populations à créer d’autres sources de revenus.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Le mot développement me gêne, car à quoi renvoie-t-il ? Au développement économique avec ses indicateurs habituels et ô combien désuets à mes yeux ? C’est-à-dire taux de croissance, produit intérieur brut, monnaie puissante et tout le toutim? Ce n’est qu’un paradigme. On voit bien que ce paradigme ne fonctionne pas et ne rend pas les gens plus heureux. Un drogué parait heureux quand il consomme ses produits jusqu’au jour où ceux-ci le détruisent complètement. L’économie n’est que le corps d’une nation mais où sont l’esprit et le cœur ? Une économie sans esprit et sans cœur donne une économie dans laquelle l’homme n’est qu’un rouage. Il suffit de regarder l’Occident et de voir l’exemple à ne pas suivre, même si certaines choses sont à y copier.

Pour en revenir à la question, je n’activerai aucun levier pour le développement rapide de l’Afrique parce que c’est un non-sens. Pour moi un développement rapide revient à utiliser des processus non naturels comme ces sportifs qui se dopent pour courir plus vite ou ces animaux qu’on gonfle d’hormones afin de les consommer rapidement. Le développement doit être un concert entre l’homme et la nature, une osmose entre lui et son environnement. Pour moi, le seul levier à activer pour le développement de l’Afrique est un levier humain. Quelle Afrique veut-on ? Au milieu de quelle humanité ? De quoi ont besoin les gens ? Pas seulement ce qu’ils veulent mais surtout ce dont ils ont besoin. En ayant trouvé des réponses fortes à ces questions qui relèvent de l’esprit et du cœur, le corps – donc l’économie – n’en sera que plus forte car liée directement aux cœurs des hommes. L’Occident avec son économie me fait penser à un esprit et un cœur humain plongés dans le corps d’une machine d’acier. Elle est forte, puissante, mais ne ressentant pas le goût, le toucher, et plein d’autres sensations, elle est inhumaine. Est-ce cela qu’on veut pour l’Afrique ?

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Moi président mes premières décisions concerneraient les points suivants :

Le renforcement de l’unité de mon pays et de ma région. Cela passe par l’acceptation d’un idéal qui transcende nos différences. Nous sommes ensemble parce qu’on y croit, quels que soient notre tribu, notre clan, nos villages, nos religions et consorts. Nous sommes ensemble parce qu’on a choisi d’être ensemble, pas parce qu’on est le fruit d’un concours de circonstances historiques. Des accords avec la région et la sous-région seront mes priorités ; comment peut-on bien vivre et bien dormir si on ne s’entend pas bien avec son voisin ?

Le renforcement du rôle de la femme. Le monde va mal parce que la femme va mal, on l’étouffe et on la cantonne à un rôle mineur au lieu d’utiliser son potentiel à 100%. On laisse les femmes gérer les familles mais pas les nations ? Que c’est stupide! Les nations sont juste des familles très étendues et les femmes en sont capables mais bien entendu avec le processus consistant à valoriser l’individu au centre de cette nation. D’ailleurs les femmes Africaines sont celles qui entreprennent le plus sur la planète.

Le renforcement de l’éducation et la protection de l’enfance. On juge une nation à la manière dont elle prend soin de sa jeunesse. Moi Président, je bannirai l’expression “éducation nationale” pour “instruction nationale”. On éduque des chevaux et des moutons pour s’en servir sans tenir compte de leurs envies. Mais on instruit des Hommes dont on peut être fier demain. On doit juste créer un environnement nécessaire à l’épanouissement de cette jeunesse qui viendra renforcer la société. Vous ne pouvez pas créer un désert et attendre que des fleurs y poussent. Nous devons promouvoir la création des écoles d’Art, des maisons de la culture pour valoriser nos cultures à travers la jeunesse en leur donnant un format attractif et moderne. Regardez la jeunesse africaine! Elle vibre, elle danse, elle réinvente l’Afrique! Donnez-lui juste un cadre et elle va magnifier ce continent!

Que pensez-vous de l’avènement du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique ?

Cette initiative est salutaire. Elle permet de sélectionner les vrais professionnels du secteur, de les rassembler, de les former et de leur octroyer un label. Cela permet de séparer la mauvaise graine de l’ivraie car trop de charlatans ont terni l’image de l’Afrique en se prétendant porteurs de projets fantômes ou experts de choses dont ils n’avaient aucune idée. Les porteurs de projets et experts ne sont plus esseulés et peuvent désormais s’appuyer sur une institution viable apte à faire le pont entre eux et les institutions publiques tout en garantissant leurs intérêts.

Propos recueillis par la Rédaction

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