« Le Cameroun n’a pas de stratégie de puissance sous-régionale »

Dans une interview exclusive accordée au quotidien camerounais L’Actu, numéro 149, page 12, à paraître lundi 21 novembre 2011, Guy Gweth, fondateur de Knowdys (cabinet de conseil en intelligence économique, Public Affairs et Due Diligence) met le doigt sur l’omerta fiscale qui règne au Cameroun depuis plusieurs décennies, et souligne l’impact dévastateur de ce facteur sur le « leadership naturel » du pays de Paul Biya en Afrique centrale. Contrairement à Malabo, Yaoundé n’a pas de stratégie de puissance sous-régionale, affirme Guy Gweth.

L’Actu : Le Congo et le Gabon, de loin moins peuplés que nous, ont annoncé des projets de budgets (2453 et 3645 milliards) 2012 plus importants au regard de notre démographie (20 millions pour 2800 milliards) que le nôtre. La tendance peut-elle se maintenir sans conséquence sur le leadership sous-régional ?

Guy Gweth : L’air de ne pas y toucher, vous abordez-là une question extrêmement brûlante. Vous êtes sans ignorer que le budget de l’Etat est un acte de prévision et d’autorisation de perception des impôts et de dépense des deniers publics, et que les recettes de l’Etat proviennent essentiellement des impôts directs et indirects. Une élection présidentielle vient d’avoir lieu au Cameroun. Quel  candidat avez-vous entendu sur la question fiscale ? Quel homme public peut donner avec exactitude  le nombre de foyers imposables ou d’entreprises qui s’acquittent de l’impôt sur les sociétés au Cameroun? Si, à travers impôts et autres prélèvements obligatoires, c’est vous et moi qui concourons au financement des services publics, à la rémunération des fonctionnaires, aux dépenses d’intervention et d’investissement (construction de routes, d’hôpitaux, d’universités, etc.) comment se fait-il qu’une espèce d’omerta plane sur ce sujet? Les chiffres que vous avez cités plus haut pointent un problème d’une gravité telle qu’il est indécent d’invoquer le leadership sous-régional auquel on pense.

Selon vous, quels investissements doit faire le Congo afin de renforcer sa place sur l’échiquier sous-régional avec les excédents qu’il engrange actuellement (on parle de 1000 milliards pour cette années)

C’est une question que j’ai abordée à maintes reprises avec nos amis congolais et ma réponse est constante : soit le Congo suit l’exemple tchadien (création d’un fonds pétrolier), soit il suit le modèle norvégien (création d’un fonds d’épargne et de stabilisation), soit il trace sa propre voie. En tout état de cause, il faut nécessairement que Brazzaville accroisse ses efforts dans la mise en place d’un mécanisme de stabilisation du budget national pour minimiser les effets de possibles baisses de revenus sur son économie et qu’il favorise le développement des investissements productifs créateurs d’emplois. Dans l’immédiat, j’encourage les autorités congolaises à créer, au plus tôt, un vrai fonds d’investissement capable de placer en Afrique centrale et ailleurs une partie des revenus pétroliers (au moins 10%) dans des secteurs aussi diversifiés que l’agriculture, la banque, l’immobilier, les télécoms, les transports et les mines.

Les « grandes réalisations » qui bénéficieront des ressources publiques aideront-elles le Cameroun dans la lutte pour le leadership sous-régional ?

Contrairement à Malabo, Yaoundé n’est pas en lutte pour le leadership en Afrique centrale. Les résultats de nos investigations montrent clairement que le Cameroun n’a pas de stratégie de puissance sous-régionale. Un certain nombre de réalisations voient le jour ici et là qui sont utiles à la croissance, mais même en faisant du reverse ingineering, on peine à leur trouver une ligne de force stratégique. Yaoundé fonctionne comme un chauffeur de taxi qui trace son itinéraire au gré des clients et des embouteillages alors que la communauté nationale et ses partenaires ont besoin d’objectifs mesurables, d’une stratégie clairement définie pour atteindre ces objectifs, d’un plan d’actions qui donne du sens aux petites et grandes réalisations malgré les contraintes et les imprévus. L’érosion relative de l’influence du Cameroun aux niveaux régional et sous-régional, au cours de la décennie écoulée, est à mettre principalement sur le compte d’un déficit de culture stratégique

Retrouvez l’intégralité de cette interview dans le quotidien L’Actu n°149, du lundi 21/11/2011, page 12.