Les banques centrales moins obsédées par l’inflation

[Africa Diligence] Avec l’arrivée d’une nouvelle génération de banquiers centraux, qui ont davantage que leurs prédécesseurs le souci de la reprise économique mondiale, la sacro-sainte doctrine de lutte contre l’inflation commence à être battue en brèche.

Dernier exemple en date de la réflexion en cours, Mark Carney, actuel gouverneur de la Banque du Canada et futur gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), a récemment évoqué la possibilité de fixer un objectif de produit intérieur brut (PIB) nominal, combinant PIB et évolution des prix à la consommation, et non plus un seul objectif d’inflation.

Les responsables de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine et de la Banque du Japon (BoJ) ont récemment assoupli leurs objectifs d’inflation et ont davantage mis l’accent sur la croissance.

La Fed, qui contrairement à d’autres, a un double mandat – stabilité des prix et plein emploi – a ainsi dit il y a une dizaine de jours qu’elle ne relèverait pas son taux d’intérêt principal, actuellement proche de zéro, avant que le taux de chômage aux Etats-Unis ne revienne à 6,5%, contre 7,7% actuellement.

« Les banquiers centraux sont en train de reconsidérer leur dévotion servile au seul but de fixer un objectif d’inflation », a déclaré Carl Tennenbaum, ancien responsable de la Fed et aujourd’hui économiste en chef chez le gérant d’actifs américain Northern Trust.

Certes, aucun banquier central n’acceptera ouvertement une vive poussée des prix à la consommation dans le but de favoriser la création d’emplois ou de doper la croissance économique.

Après les propos de Mark Carney sur un objectif de PIB nominal, d’autres responsables de la BoE ont aussitôt dénoncé une telle perspective, ce qui annonce des débats houleux à venir au sein de l’institution britannique lorsque Mark Carney prendra ses fonctions l’été prochain.

Mais en injectant des milliers de milliards de dollars dans les systèmes financiers pour endiguer une crise financière et une crise de la dette qu’elles n’avaient pas forcément vues venir, les banques centrales ont sciemment pris le risque d’une appréciation de l’inflation dans les années à venir.

LA FED A OUVERT LA VOIE

Au cours des dernières années, le président de la Fed Ben Bernanke a présidé à des rachats d’actifs représentant à ce jour quelque 2.500 milliards de dollars – des mesures revenant de fait à faire tourner la planche à billets – la banque centrale américaine privilégiant clairement la composante emploi de son double mandat.

En agissant de la sorte, Ben Bernanke a sensiblement fait évoluer la politique monétaire de la Fed, qui était davantage centrée sur l’inflation lors des mandats de ses prédécesseurs Alan Greenspan et Paul Volcker.

Selon l’expression d’Eric Green, analyste chez TD Securities, Ben Bernanke a « relâché le corset de l’inflation ».

La même évolution est à l’oeuvre au sein de la Banque centrale européenne (BCE) depuis que Mario Draghi a remplacé Jean-Claude Trichet, et devrait l’être lorsque Mark Carney remplacera Mervyn King à la tête de la Banque d’Angleterre.

La Banque du Canada a depuis longtemps un objectif d’inflation de 2%, au sein d’une bande de fluctuation de 1% à 3%.

Mais, contrairement à ses prédécesseurs, Mark Carney a insisté sur l’idée « d’une flexibilité dans la fixation d’objectifs », entendant par-là la possibilité de s’éloigner des objectifs pendant une période prolongée, afin de stabiliser des marchés financiers ou une conjoncture économique.

Dans le choix de ses mots, Mario Draghi est soucieux de ne pas remettre en cause le dogme de la stabilité des prix qui, notamment sous l’influence des Allemands, caractérise la BCE depuis ses débuts.

Mais cela ne l’a pas empêché d’injecter cette année 1.000 milliards d’euros dans le système financier et, surtout, il s’est engagé à racheter, potentiellement de manière illimitée, des obligations souveraines d’Etats de la zone euro qui feraient une demande d’aide.

Ces mesures, considérées comme ayant largement contribué à endiguer la crise de la dette de la zone euro, se sont traduites par les démissions successives des Allemand Axel Weber et Jürgen Stark, opposés à des rachats d’actifs par la BCE au nom des risques inflationnistes qu’ils posent, à leurs yeux.

Au Japon, c’est la future équipe au pouvoir qui pousse la banque centrale à réorienter sa politique monétaire.

Le gouverneur de la Banque du Japon Masaaki Shirakawa, que l’on peut ranger dans la catégorie des gardiens de l’inflation, est ainsi sommé par le futur Premier ministre Shinzo Abe, qui a remporté une ample victoire aux élections législatives la semaine dernière, d’adopter un objectif d’inflation à 2%.

Le 20 décembre 2012, semblant céder à la pression politique, la Banque du Japon a décidé un troisième assouplissement de sa politique monétaire en quatre mois, en prélude à une action plus agressive l’an prochain.

« Il y a de plus en plus de personnes au Japon qui veulent voir la déflation être éliminée et sont d’avis que la BoJ devrait être obligée à utiliser sa « baguette magique » pour créer de l’inflation », a noté Masaaki Kanno, ancien collègue de Masaaki Shirakawa à la BoJ et actuellement économiste en chef chez JPMorgan Securities au Japon.

Tony GENTILE