L’intelligence économique, le numérique et le métier

[Africa Diligence] Depuis l’origine, ce que l’on a nommé par la suite intelligence économique (IE), a pris ses racines dans la nécessité d’adosser la décision à la connaissance de l’environnement politique, économique, social et culturel dans lequel l’action humaine se déploie.

En économie, après presque trois décades de formalisation, l’intelligence économique, en France comme ailleurs, est dans l’obligation de revoir sa raison d’être et ses missions sous l’effet des changements profonds dus à la globalisation et aux technologies de l’information du futur. Le premier challenge qui se présente à elle l’oblige à renforcer son caractère « scientifique et technique ».

En effet, si l’intelligence économique peut et doit se développer comme une science ou une technique – ce qui de notre point de vue – elle doit donc se recentrer sur ses fondamentaux : distiller la complexité jusqu’à la simplicité, ce qui veut dire capturer le savoir enfoui dans l’information collectée, procéder à l’analyse de ce savoir afin de fournir une réponse utile et consommable à un besoin clairement exprimé. La tentation est grande aujourd’hui d’étendre le champ d’action de l’IE à la stratégie ou à la décision elles-mêmes, ce qui est une tendance naturelle mais conceptuellement dangereuse. En outre cela peut être « scientifiquement » inadéquat.

Porter un jugement est chose aisée à la portée de tous. Bien juger ne peut pas se concevoir sans comprendre ce qui demeure la raison d’être principale de l’IE. Cela n’empêche pas, bien au contraire, la recherche d’une symbiose souhaitée entre cette IE technique et le savoir-métier de ceux qui sont chargés de prendre des décisions ou de faire des choix stratégiques d’organisation, de positionnement, d’anticipation, d’influence ou de protection de nature économique. Mais « l’assurance qualité » de ces décisions dépend en grande partie de la pertinence et de la justesse des connaissances et des analyses fournies par une intelligence économique centrée sur son propre métier. Cette excellence du savoir-faire suppose que l’IE soit en effet capable de relever le défi du numérique.

Cette « révolution » modifie en profondeur les actions essentielles d’identification et de valorisation des sources ainsi que les techniques de collecte de l’information utile. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les quelques chiffres énoncés par le Journal du CNRS N° 269 – nov. /déc. 2012 : Chaque jour, 9 000 articles sont créés sur wikipedia ; 104 000 heures de vidéos sont mises en ligne sur Youtube ; 400 millions de tweets sont postés ; 522 millions d’utilisateurs sont connectés à Facebook ; 540 millions de SMS sont échangés ; 4 milliards 500 millions de requêtes sont lancées sur Google ; 145 milliards d’e-mails sont envoyés.

C’est le savoir-faire dans le traitement de ce « déferlement des octets » qui caractérisera le mieux le professionnalisme du spécialiste IE ou du veilleur dans les années qui viennent. Si ce professionnalisme doit s’incarner dans un vrai métier, sa production n’a pourtant de valeur efficace que si elle est mise en perspective par une connaissance ou une expérience préalable.

Cette « révolution » de l’IE réunissant haut degré de professionnalisme dans la collecte de l’information et l’extraction des connaissances avec le savoir-faire métier devrait être conduite par des organisations professionnelles. En effet, hormis les grandes multinationales, elles paraissent seules capables de mutualiser et de stocker la matière première (l’information) que les PME en particulier pourraient ensuite s’approprier pour faire de l’IE à leur profit. Ces organisations devraient être également capables de préserver l’équilibre nécessaire entre la connaissance métier et le poids du numérique.

Il ne faudrait pas, comme le dit Thibaut de Jaegher que l’intelligence économique « subisse la loi de Maître Yotta ».

Robert GUILLAUMOT