Vent d’inquiétude sur l’économie algérienne

Deux rapports successifs de la Banque mondiale (BM) et plus récemment du Fonds monétaire international (FMI) tirent la sonnette sur la trop grande dépendance de l’économie algérienne aux hydrocarbures. Le 27 janvier 2012, c’est le FMI qui est revenu sur les risques que ferait peser une baisse des prix du baril sur son budget qualifié de « vulnérable ». Un vent d’inquiétude souffle à Alger.

Emeutes, crise du logement, flambée des prix des produits de consommation de base, chômage, baisse du pouvoir d’achat… Les pouvoirs publics ont dépensé sans compter pour éteindre les foyers de contestation et ramener la paix sociale au cours des derniers mois. Les hauts niveaux atteints par les cours de l’or noir l’ont permis jusqu’ici.

L’Algérie est pourtant sous une épée de Damoclès: il suffit que les prix du pétrole chutent brutalement et c’est la débâcle annoncée. La conjoncture est plus que propice, la crise financière de la zone euro mine la croissance mondiale. Ce sont des lendemains qui déchantent et guettent l’économie nationale. Quand bien même elle disposerait d’une fabuleuse manne financière qui peut lui permettre de faire face à une récession des plus terribles, elle n’est pas à l’abri d’une déconfiture.

Les 176 milliards de dollars accumulés ces dix dernières années ne sont-ils dans ce cas-là que de la poudre aux yeux? Une bouée de sauvetage? Pas réellement, pensent certains experts qui tirent cependant la sonnette d’alarme, notamment en matière de création d’emplois. Une sorte de paradoxe: «Les vastes ressources financières accumulées au cours des dix dernières années grâce à une gestion macroéconomique prudente aideront à atténuer ce risque. Cela dit, les hydrocarbures créent de la richesse, mais pas d’emplois. Si les autres secteurs ne connaissent pas un développement soutenu, le mécontentement causé par le chômage élevé pourrait persister», estime Joël Toujas-Bernaté, chef de mission du FMI pour l’Algérie.

C’est que le Fonds monétaire international persiste et signe: le taux de chômage demeure particulièrement élevé. Il serait de l’ordre de 20% alors que les responsables algériens le situent autour des 10%. Inutile de sombrer dans une polémique stérile. L’estimation de l’organisation économique mondiale est crédible. Elle repose sur la forte croissance de la population algérienne. «Les tendances démographiques y sont pour beaucoup. La population algérienne est jeune et augmente à vive allure. Aussi l’Algérie a-t-elle besoin de croître à un rythme bien plus rapide pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail», fait remarquer l’expert international.

Quelles sont les causes de la persistance de ce phénomène? «Comme le montre l’analyse que font d’autres observateurs, tels que la Banque mondiale, le problème est double: il y a d’une part la rigidité du marché du travail – il est coûteux et difficile d’embaucher et de licencier – et il y a d’autre part l’inadéquation de l’offre et de la demande de main d’œuvre», fait-il observer. Les signaux émis par la BM dans son rapport de l’année 2012 ne sont pas annonciateurs de bonnes nouvelles pour l’ensemble de l’économie de la planète. Les pays en développement sont les plus exposés à cette crise. «Les pays en développement doivent évaluer leurs vulnérabilités et se préparer à la possibilité d’autres chocs», a prévenu Justin Yifu Lin, économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale pour l’économie du développement.

La BM a revu à la baisse ses estimations de la croissance mondiale. Elle «devrait s’établir à 2,5% en 2012 et 3,1% en 2013 (si l’on utilise une pondération sur la base de la parité de pouvoir d’achat, la croissance mondiale s’établirait à 3,4% en 2012 et 4% en 2013)», écrivent les rédacteurs du document. L’Algérie tiendra-t-elle le choc surtout en cas de baisse importante des prix du brut? «Si l’économie reste trop dépendante des hydrocarbures et insuffisamment diversifiée, elle restera vulnérable aux chocs pétroliers négatifs…

Au milieu des années 80, confrontée à une chute marquée des cours du brut, l’Algérie a dû faire des coupes claires dans les dépenses publiques. Cela a engendré des problèmes sociaux qui ont été en partie la cause de la ‘décennie perdue’ des années 1990 et une source d’instabilité politique,» a rappelé Joël Toujas-Bernaté dans un entretien publié dans le bulletin de l’institution financière internationale.

La leçon a-t-elle été retenue? «Il faudra que les autorités algériennes continuent de revoir leur stratégie pour permettre l’émergence d’un secteur privé plus vigoureux et diversifié», recommande-t-il. «Le gouvernement a mis en place en 2009 une nouvelle réglementation des investissements directs étrangers qui limite la participation étrangère aux nouveaux projets. Le but était de promouvoir de nouveaux partenariats avec des investisseurs nationaux, mais en réalité on a constaté une diminution sensible des flux d’investissements étrangers déjà peu abondants», a fait remarquer le chef de mission du FMI pour l’Algérie.

Mohamed Touati avec AD

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La note d’Astrid Jousset  (avec AD) sur le rapport de la Coface le 16 janvier 2012

Le 16 janvier 2012, la Compagnie française d’assurance du commerce extérieur (Coface) a maintenu la note A4 pour l’évaluation risque pays de l’Algérie.

Dans son rapport, la compagnie française estime que les principaux points forts du pays demeurent « l’importance des réserves de pétrole et de gaz, la situation financière extérieure solide (faible endettement extérieur et énormes réserves de change) et la politique d’investissements publics visant une diversification de l’économie ».

Mais les points faibles relevés par la Coface restent la dépendance envers le secteur des hydrocarbures, « le poids économique excessif du secteur public, la fragilité de l’environnement des affaires et le taux de chômage élevé, particulièrement des jeunes ».

Selon ses prévisions pour 2012, la croissance devrait atteindre 3.6% avec un taux d’inflation moyen annuel de 3.5% et une dette publique atteignant 10.8% du PIB.

« Croissance soutenue par le secteur des hydrocarbures et les dépenses publiques »

Selon la compagnie, la production de pétrole rame et n’enregistre « qu’une augmentation marginale en 2011, tandis que celle de gaz naturel a pâti d’un ralentissement des investissements et de problèmes techniques ». Par contre, hors hydrocarbures, l’activité du pays aurait progressé plus nettement dans le secteur agricole et dans les secteurs « tirés par les investissements publics » mais représentant « une part relativement limitée du PIB et contribuent donc modérément à la croissance ».

L’organisme table ainsi sur un rebond de la croissance en 2012 grâce au renforcement de la production gazière et pétrolière, mais aussi grâce aux dépenses publiques permettant le financement de « vaste programme d’investissements publics (construction de logements, de routes et de voies ferrées) ».

De plus, l’augmentation des salaires prévue dans le secteur public et le subventionnement de produits de première nécessité pourrait soutenir la consommation des ménages.

« Faible endettement public et solide position financière extérieure »

Le déficit budgétaire se serait, selon la Coface, tassé en 2011, grâce à la hausse des revenus pétroliers, « mais il pourrait se creuser en 2012, en raison de la poursuite de la modernisation des infrastructures et de la hausse des salaires dans l’administration ». Toutefois, les revenus des hydrocarbures mis en réserve dans le « Fonds de régulation des recettes permettent de financer ce déficit, d’autant que le pays bénéficie d’un faible endettement public ».

Grâce aux exportations d’hydrocarbures, la mise en service en 2011 du gazoduc Medgaz entre l’Algérie et l’Espagne et des unités de gaz naturel liquéfié en 2012, les balances commerciale et courante devraient être encore excédentaires en 2012.

Néanmoins, l’Algérie demeurerait selon la Coface, toujours « tributaire de l’Europe pour son commerce extérieur et les perspectives moroses dans cette zone pourraient freiner les ventes algériennes ».

La Coface regrette également la mise en place de « restrictions visant les importations et les investissements étrangers – ayant pour but de protéger les intérêts économiques du pays et de promouvoir les industries nationales » édictées par la loi de finances complémentaire de 2009. Des mesures qui sembleraient « peu propices à une amélioration sensible du climat des affaires et au développement du secteur privé, de même que la faiblesse de l’intermédiation bancaire ». Les importations devraient donc rester limitées, « en dépit d’importants achats de blé, dont l’Algérie est l’un des plus gros importateurs au monde ».