Guerre économique: la bataille pour le contrôle mental

Il est délicat, le slogan qui accompagne « Le droit de l’intelligence économique » de Thibault du Manoir de Juaye dans l’annuaire 2008 des acteurs de l’intelligence économique en France. On peut en effet lire en présentation de cet excellent ouvrage que « faire de l’intelligence sans barbouzerie, c’est possible! » Au delà des angles légal et règlementaire qu’aborde l’auteur, j’adhère moi aussi à l’aspect éthique qui y est sous-jacent. Cependant, en tant que praticien de sensibilité anglo-saxonne, je suis très sensible au benchmarking des bonnes pratiques issues du monde du renseignement militaire. A la suite des Américains, cette attitude est  aussi partagée depuis 10 ans en France par le Gén. Pichot-Duclos et Christian Harbulot, fondateurs de l’EGE Paris. Pour ces pionniers, en effet, le transfert du savoir-faire militaire au monde civil est rendu vital au regard du durcissement des affrontements économiques en cours et futurs. La grande bataille stratégique autour du contrôle psychique constitue donc un excellent terrain d’expérimentation.

Un peu d’histoire…

Les plus âgés parmi vous se souviennent des années qui précédèrent et celles qui suivirent immédiatement la deuxième guerre mondiale et la course aux armements biologiques qui fit rage dans les officines nord-coréennes, chinoises, allemandes, russes et américaines notamment. Nombre d’entre vous, j’en suis sûr, se remémorent encore la psychose qui s’empara de Washington au lendemain de la libération de ses prisonniers de guerre fin 1953. Capturés par l’ennemi, des aviateurs et des hommes de l’infanterie américaine de retour aux USA commencèrent à faire l’apologie de la vie sous un régime communiste. Le Président des États-Unis se tourna vers l‘aigle de profil qui allait faire la renommée de Langley, en Virginie, et demanda à la CIA comment des soldats superbement entrainés pouvaient se laisser à devenir des traîtres. Dans les tentatives de reconstitution qui débutèrent, Allen Dulles, alors à la tête des renseignements américains, se rappela le procès du cardinal Josef Mindszenty en 1949. A la page 101 de son enquête sur « Les armes secrètes de la CIA » parue en 2006, Gordon Thomas, relate comment ce chef de l’église catholique hongroise « avoua avoir trahi… en bougeant comme un robot… » devant les juges russes. A partir de cet évènement, le contrôle du psychisme devint la priorité n°1 des scientifiques de l’agence américaine de renseignements. Initiée en février 1954 sous la direction du docteur Sidney Gottlieb, le programme secret MK-Ultra avait clairement pour mission de  » chercher toute méthode permettant de modifier le comportement humain. » Cette époque accoucha de plusieurs essais et théories telles que « l’infantilisation psychologique traumatique » ou encore « la conduite psychique » qui consistait à faire écouter au patient (aujourd’hui consommateur ou électeur) ses propres paroles jusqu’à ce que ses barrières psychologiques s’effondrent et qu’il ouvre son inconscient. La publication en 1984 de « Battel for the mind » par le professeur William Sargant marqua la consécration de plusieurs années de sacrifices et d’efforts, certes inachevés mais aux résultats transférables à d’autres domaines.

Le transfert de savoir-faire

Avec la chute du mur de Berlin et l’arrêt de l’affrontement est-ouest, fin 1989, les multinationales américaines furent les premières à benchmarker les méthodes d’influence de la guerre froide et à s’inspirer de la Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) aux États-unis pour en adapter le savoir-faire à leur stratégie marketing. Dans les agences de publicité new-yorkaises, le début des années 90 vit jaillir une pépinière de jeunes concepteurs généralement âgés de moins de trente ans et n’ayant qu’une seule obsession: provoquer l’acte d’achat chez des individus « normaux » qui, sans la publicité, n’auraient pas acheté. De nombreuses expériences menées en psychologie sociale et cognitive ne tardent pas à venir à leur secours. Dans leur « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » paru une première fois en 1987 et réédité 2002, les Français Joules et Beauvois relatent une kyrielle de techniques (pour la plus part déjà expérimentées aux États-Unis) qui nous influencent au quotidien. Je vous le recommande. Dans l’opérationnel, le leader américain de la grande distribution Wal-Mart Stores, Inc. fut l’une des premières multinationales à exploiter la vidéo surveillance au delà de son objectif initial de sécurité. Dans leurs bureaux du 702 Southwest 8th Street de Bettonville, les marketistes de ce géant mondial n’hésitent pas à visionner de longues heures d’enregistrements-vidéo pour traquer et analyser les comportements de clients dans les rayons de grandes surfaces. Toujours plus loin, dans ses « 100 petites expériences en psychologie du consommateur pour mieux comprendre, comment on vous influence » paru en 2006, Nicolas Géguin confirme, à titre d’exemple parmi d’autres, – sur la foi d’expériences menées aux États-Unis et en France- que la diffusion de musique rapide dans votre supermarché aux heures d’affluence comme lors des fêtes de fin d’année « vous incitera à faire votre shopping au pas de course. » (p119) Vous l’aurez compris, cet aspect aussi puissant que soft de la guerre économique opère avec votre consentement, en tous cas, sans vous contraindre le moins du monde, que vous soyez client ou concurrent, allié ou ennemi.

Les perspectives

Les recherches en psychologie cognitive sont un enjeu infiniment stratégique. La bataille pour le contrôle du mental humain est loin de s’achever. Rien que le profiling de dirigeants que nous réalisons au profit de nos clients au sein de Knowdys, par exemple, est déterminant pour la signature de leurs contrats. Évidemment, les entreprises ne sont pas les seules à en profiter. Des mouvements religieux ainsi que les femmes et hommes politiques dont le contrôle des comportements de masses a toujours été le vœu secret sont également à l’affut des progrès à venir. Certains parmi vous auront constaté que la situation est assez proche du tableau que brosse Xavier Couture in « La dictature de l’émotion: où va la télévision » paru en 2005 chez Louis Audibert Editions.

Quoi de plus légal, de plus éthique et de plus intelligent, en effet, que de servir au consommateur, à l’électeur ou au patient, ce qu’il veut ou croit vouloir ?

Guy Gweth