L’intelligence économique par le Storytelling

Lorsque Philippe Clerc, président de l’AIFIE*, m’a demandé d’intervenir le 03 février 2011 à l’UNESCO sur l’intelligence culturelle et la cohésion sociale, j’ai pensé qu’il n’y avait pas meilleur endroit pour rendre hommage au rôle du storytelling dans la promotion de l’intelligence économique (IE). Car au commencement, souvenez-vous, l’ONU était d’abord une histoire racontée au monde par les vainqueurs de la première guerre mondiale. Dans ce dernier des cinq articles spécialement consacrés à vos interrogations, j’essaie d’apporter des réponses à deux questions précises que la synthèse de cet exposé a suscitées chez certains.

Bref rappel

« Il va de l’intelligence culturelle comme de la politique, avais-je indiqué à l’AIFIE: il faut avoir une histoire à raconter. Mais attention, l’objectif n’est pas seulement de séduire ou d’émouvoir une ‘foule sentimentale’ (au sens où l’entend l’artiste français Alain Souchon). Il s’agit aussi d’attribuer un rôle à chaque acteur social dans un scénario gagnant-gagnant. Ce dernier – c’est tout l’intérêt du mot ‘intelligence’ – se construit à partir d’une exploitation stratégique et éthique de l’information afférente aux cultures des acteurs. »

Pour étayer ces propos, j’avais préparé une étude du cas Dikembe Mutombo, du nom de ce Congolais qui, parti aux États-Unis pour des études de médecine, se transforma en célèbre basketteur américain. Le succès de Mutombo fut tel que le 24 janvier 2007, le Président Bush prit une minute dans son discours sur l’état de l’Union pour raconter son histoire. 60 secondes au cours desquelles Bush, toujours accusé d’avoir abandonné la Nouvelle-Orléans à Katrina, salua le parcours héroïque de l’Américain d’origine africaine. Deux ans plus tard, hasard ou coïncidence, un Africain-Américain entra à la Maison-Blanche comme 44ème Président des États-Unis.

En quoi le storytelling peut-il être utile à l’IE ?

L’un des grands défis des professionnels de l’intelligence économique aujourd’hui c’est de pouvoir vendre leur expertise sans effrayer leurs clients potentiels. Les fantasmes qui attirent certains James Bond manqués dans les troisièmes cycles d’IE n’amusent pas tout le monde. Encore moins les pratiques d’anciennes barbouzes qui ont défrayé la chronique ces dernières années. A l’intérieur comme à l’extérieur des organisations dans lesquelles nous intervenons, l’immense majorité des décideurs et des salariés ont une sainte horreur de tout ce qui s’apparente à l’espionnage. Il faut donc avoir une autre histoire à leur raconter. D’où l’importance du storytelling.

« On ne gobera plus n’importe quoi après l’affaire Renault !» diront certains. A juste titre. Dans ce cas, l’analyste honnête est encore le mieux placé pour rétablir la confiance. Parce qu’il surveille en permanence Qui fait Quoi, Où, Quand, Comment et (peut-être) Pourquoi dans l’environnement de son organisation, il peut réécrire l’histoire de la concurrence et la partager en mobilisant cette part d’émotion sans laquelle aucun récit n’est pleinement efficace. L’émotion est comme le sourire. Mettez-en un peu en IE. Vous verrez qu’elle ouvre des portes.

Quelle est structure idéale d’une « bonne » histoire ?

Il existe plusieurs écoles de pensée sur la structure d’une « bonne » histoire. Chez Knowdys, les retours d’expérience montrent que pour être efficace en IE, une histoire doit s’appuyer sur trois éléments principaux : 1. Le scénario (basé sur la victoire ou la défaite d’une entreprise dans une opération, le succès ou l’échec d’une stratégie ou d’une tactique, le top ou le flop d’une marque ou d’un produit, etc.) ; 2. Les protagonistes (entreprise, concurrents, pouvoirs publics et société civile) ; 3. Les portraits des « bons » et des « méchants » personnages qui animent l’univers concurrentiel dans lequel vous gravitez.

Je vous fais confiance pour adapter votre histoire aux perceptions et aux exigences de votre groupe-cible. Mais quels que soient les ingrédients que vous intégrez, assurez-vous qu’au final votre histoire comprend : une entreprise, des concurrents, la société civile et leurs interactions. Dernière précaution et non des moindres: testez l’efficacité de votre présentation sur un échantillon aussi représentatif que possible de votre groupe-cible.

Pour aller plus loin sur le sujet, lisez ou relisez le très bel article de John Glassford paru dans le Competitive Intelligence Magazine de juillet-août 2002 sous le titre « Tell me a story».

Guy Gweth

*AIFIE: Association Internationale Francophone d’Intelligence Économique