Business au Sahel : pourquoi se battent-ils dans ce désert ?

[Africa Diligence] Le Mali vient d’enrichir le vocabulaire politico-médiatique de nouveaux termes : « Sahélistan » et « Africanistan » pour les pessimistes, « Sahel nostrum »  pour les optimistes, « zone grise » pour les relativistes… Guerre et business au Sahel : pourquoi se battent-ils vraiment dans ce désert ? Eléments de réponse.

Pourquoi le Sahel est devenu une poudrière au point de menacer, selon certains, la stabilité de toute la région, voire de menacer la quiétude de la « lointaine » Europe ? Mais d’abord qu’est-ce que le Sahel ? Quelles sont les forces souterraines qui portent cette région à un point d’implosion ? Pourquoi cette région, dont on dit qu’elle serait l’une des plus pauvres de la planète, suscite cet intérêt au point que nombre d’acteurs en présence se déchirent et se font la guerre ? Le Sahel est-il destiné à un mariage forcé, uniquement à cause de sa dot dont une partie est enfouie dans son sous-sol ?

Inhospitalier et pourtant « surpeuplé » !

Le Sahel, selon une définition adoptée par différentes institutions internationales, est une vaste étendue qui correspond à la Mauritanie, au Mali et au Niger, désignés comme les trois principaux États sahéliens à qui on inclut certaines régions représentant une  « deuxième couronne », à savoir, le Nigeria, le Tchad, le Burkina et le Sénégal. Grosso modo une zone de transit entre « l’Afrique du Nord, méditerranéenne, et l’Afrique noire, subsaharienne ». Certains de ces États ont des populations et des ressources économiques inégalement réparties sur leur territoire, à l’exemple du Mali et du Niger au sud, de la Mauritanie  à l’ouest. Ils subissent depuis plusieurs décennies une pauvreté structurelle due à plusieurs facteurs à la fois climatiques, géographiques, sociaux et politiques. Une réalité qui, à l’évidence, n’a pas échappé aux différents réseaux qui opèrent dans le Sahel. Une base de repli ou « poste de commandement » au gré des circonstances de groupes terroristes, de réseaux de trafiquants de stupéfiants et d’immigration illégale ainsi que d’autres réseaux de criminalité qui font, entre autres, du marché européen leur débouché. « Qu’ils s’appellent AQMI ou autre, il s’agit principalement d’acteurs cherchant à tirer profit du désordre sahélien » selon les propos d’un expert sur la région  (1).  Des États sans moyens pour certains et pour d’autres dotés de richesses naturelles considérables, insuffisamment exploitées ou reparties de façon « inéquitable »  au niveau des populations.

Cette géographie inhospitalière et le mode de vie nomade entretiennent un sous-développement économique, fragilisent les structures étatiques. Mais, paradoxalement, cette même région se prépare à un boom démographique. En 2040, la population sahélienne devrait doubler pour atteindre 150 millions d’habitants.

Les routes africaines de la cocaïne

Le 5 novembre 2009, en plein désert malien, à 200 km au nord de Gao, un vieux Boeing 727 modèle cargo est découvert. La toile répercute dans de nombreux sites cette information. Tout le monde se demande ce qu’il fait là, et comment a-t-il réussi à atterrir à cet endroit. Il est, en fait,  un des rares avions à réaction de cette taille à pouvoir se poser sur des pistes aménagées à la hâte, comme font les grands trafiquants pour embarquer en urgence leur marchandise. Plus tard on saura qu’il venait d’Amérique latine, dans son ventre une cargaison de cocaïne. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière que l’Amérique latine est invitée dans ces contrées. L’aéroport de Bamako est devenu, depuis quelques années, un point de transit pour  les passeurs qui empruntent les vols commerciaux. Deux ans auparavant, à Schiphol (Amsterdam), 22 personnes transportant de la cocaïne ont été interceptées à l’arrivée d’un vol de Bamako, via Tripoli. En 2008, les gardes-frontières maliens interceptent également deux camions à contenant au total 750 kilos de cocaïne ! Le Sahel, pour différentes raisons à la fois géographiques, économiques et sociale est une plaque tournante pour les réseaux de trafic de stupéfiants qui mettent en relation les fournisseurs d’Amérique latine (cocaïne) et du Maroc (haschisch) avec les marchés d’Europe et du Proche-Orient. Le Maroc et l’Afghanistan sont les deux plus grands  producteurs mondiaux de haschisch. Les stupéfiants étaient auparavant acheminés directement du Maroc vers l’Espagne ou via l’Algérie en direction de l’Europe.

Depuis le début des années 2000, les experts estiment que les   itinéraires se sont non seulement déplacés mais aussi diversifiés. Du Maroc vers le nord de la Mauritanie, puis vers le nord du Mali et du Niger où deux itinéraires sont ensuite empruntés : l’un vers le nord en direction de la Libye et via les Balkans jusqu’en Europe et l’autre  via le Tchad et le Soudan en direction de la mer Rouge et du Proche-Orient. La cocaïne provient d’Amérique latine, notamment de Colombie, du Pérou et de Bolivie (2). D’après certaines estimations, un cinquième de la production mondiale de cocaïne est acheminé  en Afrique de l’Ouest, soit entre 80 et 100 tonnes par an. Ce trafic de stupéfiants va de pair, comme partout, avec la prolifération d’armes dont se servent ces groupes. Ce phénomène a des répercussions directes sur la stabilité de la région, d’autant plus que sur le terrain une partie de la population est en conflit avec le pouvoir central. Des groupes aux revendications diverses qui vont trouver avec l’arrivée des narco-trafiquants sur leur terrain une « aubaine »  pour atteindre deux objectifs : se soustraire à l’emprise de l’Etat et s’enrichir  en  devenant un rouage essentiel dans le  transport de la cocaïne, l’information et la sécurité des groupes armés.

Le principe des vases communicants ?

Depuis le tournant  de la guerre en Afghanistan fin 2001, contre les Talibans, Al-Qaida  a enclenché un processus d’ « éparpillement »   de ses membres dans différentes régions (3). A cet effet, suite à la chute du régime des Talibans et après la chute de Kandahar et la fin des opérations d’Anaconda, les Talibans et leurs alliés ont perdu leurs bastions. Avec cette « fin » de la guerre des « Afghans arabes »  sont  rentrés dans leurs pays. Armés, par petits groupes, ils élisent domicile au Sahara.

Un vaste ‘‘no mans land’’  à leurs yeux. Un espace qui concentre à lui seul plusieurs paramètres nécessaires à leur « survie » et aussi au développement de leur organisation : la faiblesse des Etats dans ces zones désertiques, des tribus rivales occupées à qui décrochera le premier, le contrat du siècle, une facilité de mobilité a travers des frontières plus que poreuses et la proximité d’un marché au potentiel illimité. Une situation que la chute du régime de Kadhafi et l’afflux de combattants et d’armes en provenance de Libye a rendue extrêmement explosive.

Les groupes en présence

Plusieurs réseaux et groupes armés sont actifs au  Sahel : AQMI sorte de narco-jihadiste, Ansar Dine, des salafistes touareg, autonomistes, le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) né d’une scission avec Aqmi. La contrebande de cigarettes, la vente d’armes, la cocaïne sud-américaine et le kidnapping d’otages figurent sur leur carte de visite. Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) né en 2011, réclame l’indépendance des trois régions du Nord : Tombouctou, Gao et Kidal, soit plus de huit cent mille kilomètres carrés (une fois et demie la superficie de la France). De fait, la région du Sahel est exploitée par divers acteurs qui la considèrent comme un sanctuaire pour leurs activités, une source de matières premières et une zone de repli stratégique. Par ailleurs, le Niger et le Tchad souffrent aussi de la présence des  membres de la secte islamiste Boko Haram et la Somalie  des miliciens islamistes Shebab.

M. KOURSI

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Notes
(1) Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au Sahel par M. Mehdi Taje, géopoliticien, chargé des études africaines à l’Irsem (École militaire de Paris).
(2) Panorama du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest Georges Berghezan, GRIP 2012.
(3)  L’opération Anaconda, menée par les États-Unis du 1er au 18 mars 2002, a démantelé les forces talibanes dans la province de Paktia, tandis que  la campagne de l’automne 2001, une opération aérotransportée a renversé le  régime taliban et détruit l’essentiel des bases d’Al-Qaïda.