Paris sécurise les sous-sols de la bande sahélienne

[Africa Diligence] Si d’importants groupes français sont présents au Mali (France Télécom, Bolloré, BNP Paribas, Castel…), leur activité y est peu significative. En revanche, chez ses voisins, au Niger, en Algérie et en Mauritanie, Areva, Total et GDF Suez ont des intérêts hautement stratégiques. « Au service de la paix », l’opération Serval sert indirectement les intérêts économiques des multinationales françaises.

Les apparences sont trompeuses. A priori, le Mali, un des pays les plus pauvres d’Afrique, n’est pas un enjeu économique majeur. La France n’y possède « aucun intérêt, elle est seulement au service de la paix », assure le président François Hollande. Et pourtant. Derrière l’intervention française débutée le 11 janvier se cachent d’importantes préoccupations économiques. Car les pays limitrophes regorgent de ressources naturelles.

La première d’entre elles se trouve dans le sous-sol du Niger: l’uranium. « C’est vraiment le gros enjeu de la région », selon Philippe Chalmain, professeur à Paris-Dauphine et spécialiste des matières premières. A Arlit, Areva exploite une mine à ciel ouvert et une autre, souterraine. Pour le géant français du nucléaire, l’endroit est hautement stratégique, car il en tire plus du tiers de sa production mondiale. Il le vend ensuite à des clients, à l’étranger ou en France. Ce minerai nigérien représente ainsi près de 20% de l’uranium consommé par les centrales nucléaires d’EDF. Areva est aussi installé plus au sud, sur la mine géante d’Imouraren, dont le lancement a été reporté à 2015. L’uranium y est d’autant plus précieux que très convoité. Ces dernières années, le Niger a en effet accordé de nombreux permis de recherche « à des sociétés canadiennes, australiennes, russes, indiennes et sud-africaines », relèvent les députés Henri Pagnol et François Loncle, dans un rapport parlementaire sur la « situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne ».

Au total, le groupe emploie dans le pays 2.700 personnes, dont une cinquantaine d’expatriés, et recourt à 5.000 salariés d’entreprises sous-traitantes. Sur place, les Français travaillent d’ailleurs dans des conditions très sécurisées, depuis l’enlèvement, en septembre 2010, à Arlit, de sept salariés d’Areva et d’une filiale de Vinci. Quatre d’entre eux sont toujours détenus. En janvier, Paris a même envoyé une dizaine de réservistes des forces spéciales sur les sites du groupe.

Potentiel algérien

Autre ressource très prisée dans le Sahel: les hydrocarbures. Ils ont attiré deux autres multinationales françaises, Total et GDF Suez. S’il ne possède qu’une quarantaine de stations-service au Mali, Total exploite en Algérie un champ à Tin Fouye Tabankort, au nord d’In Amenas, où a eu lieu la sanglante prise d’otages de janvier. Pour des raisons de sécurité, le groupe a d’ailleurs rapatrié ses quelques salariés français dans l’Hexagone ou à Alger. De ce site, il tire une partie minime de sa production mondiale, un peu plus de 1%. Mais il cherche à développer deux autres champs, à Timimoun et Ahnet. « La production de Total en Algérie a baissé ces dernières années, explique Francis Perrin, président de la société Stratégies et politiques énergétiques. Mais pour un groupe qui prend soin de diversifier ses implantations, ce pays est malgré tout important. Total y est présent depuis les années 1950 sans interruption et souhaite y investir davantage. »

Total est également présent en Mauritanie, car les sous-sols regorgeraient de pétrole. Depuis 2005, il y multiplie les opérations d’exploration. « Le groupe considère qu’il y a un potentiel réel dans ce pays, explique Francis Perrin. Il y possède quatre permis, ce qui est beaucoup. Mais, pour l’instant, rien n’a encore été découvert. »

Pour GDF Suez, l’Algérie fait aussi partie des pays-clés, car le groupe y achète du gaz en quantité (12% de ses besoins). Mais il prévoit également de devenir producteur. Il développe pour cela avec la société publique algérienne Sonatrach un projet dans le Touat, région de l’ouest du Sahara algérien. Il pourrait y extraire du gaz dès 2016. Comme Total, le groupe explore les sous-sols mauritaniens, mais, plus chanceux, a déjà découvert du gaz. Dans toute cette partie du Sahel, le contrôle de la circulation des hydrocarbures devient aussi très stratégique. L’Union européenne s’intéresse par exemple de très près au gazoduc de 4.000 kilomètres qui devrait relier d’ici à 2015 le Nigeria à l’Algérie pour alimenter l’Europe.

Le Mali, petit partenaire

En revanche, les intérêts directs avec le Mali sont minimes. Le pays n’est en effet que le 87e client de l’Hexagone, et son 165e fournisseur. La France exporte au Mali à hauteur de seulement 280 millions d’euros et les exportations du Mali vers la France – surtout de l’or et du coton – n’atteignent que 5,8 millions d’euros (chiffre 2010). Directeur du département risques d’Aon France, Arnaud Froideval précise que, pendant la guerre, « les échanges continuent au Mali, mais les primes d’assurance sur les contrats d’exportation se sont accrues de 30% par rapport à l’an dernier ». D’importants groupes français oeuvrent sur place – France Télécom avec Orange Mali, la BNP, via sa filiale BICIM, Castel… -, mais, là encore, leur activité reste faible. Le groupe Bolloré, par exemple, ne compte que 200 personnes au Mali, soit 0,8% de ses effectifs africains. Et les chiffres d’affaires additionnés du Mali, de la Mauritanie et du Niger représentent moins de 1% de son activité sur le continent.

Les arrière-pensées de l’intervention au Mali ne se situent donc pas dans les échanges avec le pays, mais bien dans la bataille pour le contrôle des sous-sols du Sahel. D’ailleurs, le député socialiste François Loncle l’explique clairement: « La raison majeure de l’intervention était politique, pour contrer la menace d’un Etat terroriste au Mali, avec une contagion possible au Niger, au Burkina et au Sénégal. Et si cela peut sécuriser les entreprises occidentales dans les pays limitrophes, tant mieux. »

Dominique PERRIN