Investir au Cameroun : oui, mais… Est-ce vraiment le moment ?

[Africa Diligence] Si la nation est une quête perpétuelle, c’est notamment parce que le désir de vivre ensemble est régulièrement malmené, voire menacé, par les positions divergentes des citoyens. La Conférence économique de Yaoundé est l’exemple de plus qui confirme la richesse du débat contradictoire au Cameroun. Avis aux investisseurs.

L’ANALYSE DE FRANCOIS BAMBOU

Afin de gommer la mauvaise réputation du Cameroun dans les milieux d’affaires mondiaux, le président choisit d’organiser un conclave international à Yaoundé pour vanter les atouts économiques naturels du pays et les réformes mises en œuvre pour améliorer le climat des affaires. Décryptages et portraits.

Initiée et pilotée par Paul Biya en personne, la conférence « Investir au Cameroun, terre d’attractivité » s’ouvre ce 17 mai 2016 pour 48 heures. Pendant ces deux jours, des intervenants de renom viendront plancher sur la situation de l’économie camerounaise dans le but d’identifier le moyen d’en améliorer significativement la performance.

La tenue de ce grand conclave tire son intérêt, de l’aveu même des autorités, de la relative stagnation de l’économie camerounaise, malgré une enviable résistance aux chocs exogènes, et bien que le taux de croissance moyen de ces dernières années (5 %) soit le meilleure de la sous-région. Le principal problème identifié par le gouvernement étant celui de la faiblesse des flux d’investissements privés : « L’on note que l’investissement, vecteur essentiel de croissance, tarde à décoller au Cameroun et ne représente pas un poids à la hauteur du potentiel d’attractivité de son économie. A cet égard, il convient de relever que le Cameroun continue de nos jours de souffrir d’une dynamique de régression des flux d’investissement illustrée par un taux d’investissement qui plafonne depuis2001 autour de 18 à 20 %, dont 2 à 4 % pour l’investissement public et 16 à 18 % pour l’investissement privé. Le taux d’investissement reste largement en dessous du seuil des 25 % nécessaires pour impulser une croissance forte, soutenue, inclusive et redistributive, et ce malgré toutes les mesures entreprises par le gouvernement pour promouvoir l’investissement. Cette situation s’explique en partie, selon les opérateurs économiques, par la persistance de multiples obstacles liés à l’environnement des investissements », reconnait le gouvernement dans une note d’information publiée en prélude à la conférence.

En somme, les autorités ne s’expliquent pas que de nombreuses mesures visant à optimiser l’environnement des affaires aient été prises, sans produire les effets attendus en termes d’attraction massive de capitaux étrangers ou même de stimulation des investissements domestiques. La faute assurément à la mauvaise réputation du pays dans les milieux d’affaires internationaux.

Dans ces instances internationales où on tient grand compte des indicateurs tels que le Doing Business, des notations du World Economic Forum, ou encore des classements de Transparency international, il est évident que la réputation du Cameroun a singulièrement été malmenée toutes ces dernières années. Ainsi, dans le Doing Business, le ranking annuel de la Banque Mondiale, qui classe les pays du monde par ordre d’attractivité, le Cameroun, après avoir gagné dix rangs en 2015, passe du 168e au 172e rang sur 189 économies dans le classement du climat des affaires, perdant ainsi quatre places. Même tendance dans The Global Competitiveness Report publié par le World Economic Forum basé à Davos, où le Cameroun a obtenu pour 2015 une moyenne de 3,66 sur une échelle allant de 1 à 7, se classant 116e sur 144 dans le monde, et figurant à la 14eplace en Afrique, loin derrière l’Ile Maurice, l’Afrique du Sud et le Rwanda. Plus récemment, la publication des Indices de Perception de la Corruption(IPC) par Transparency International, une ONG anti-corruption, a une fois de plus étiquetée le Cameroun comme un des pays les plus corrompus de la planète, le classant au 136e rang sur 175 Etats. Autant le dire, tous ces organismes mondialement réputés font une bien mauvaise publicité au Cameroun dans les milieux d’affaires mondiaux, lui façonnant une image répulsive qui freine l’élan de certains détenteurs de capitaux.

 Climat des affaires

Pour restaurer l’image internationale du Cameroun auprès de ces investisseurs et faire venir davantage de capitaux privés étrangers, Paul Biya est donc décidé à prendre l’affaire par un autre bout : vanter les atouts économiques naturels du Cameroun et faire valoir ses réformes, bien souvent volontaristes mais pas assez soulignées par ces organismes internationaux qui finalement, ne colportent que des mauvaises nouvelles. Plusieurs instruments décisifs ont ainsi été mis en place tels que la Banque des Petites et Moyennes Entreprises, l’Agence de Promotion ou encore l’Agence de Promotion des PME, qui apportent un appoint décisif au déploient et à la performance des entreprises locales et étrangères, sans pour autant entrer dans les critères de classement de la Banque Mondiale (Doing Business) ou du forum de Davos (The Global Competitiveness Report). L’on peut également citer parmi les structures dédiées à l’amélioration de l’attractivité de la destination Cameroun, des instances telles que : le Conseil de Régulation de la Compétitivité, le Cameroun Business Forum, les Centres de Formalités de Création d’Entreprises, ou encore le Guichet Unique du Commerce Extérieur.

Investissements privés

Une des grandes vedettes de cette conférence internationale sur les investissements au Cameroun sera assurément la loi du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé au Cameroun. Ce texte avant-gardiste qui concède de nombreux avantages fiscaux et administratifs aux entreprises a pour objectifs, sans ambages « de favoriser, de promouvoir et d’attirer les investissements productifs en vue de développer les activités orientées vers la promotion d’une croissance économique forte, durable et partagée, ainsi que l’emploi. » A ce jour plus de 60 entreprises ont déjà bénéficié des incitations offertes par ladite loi, pour un investissement global de près de 700 milliards de FCFA et environ 23 000 emplois projetés. Selon le ministre l’Economie, Louis Paul Motaze, toutes ces conventions qui se multiplient, démontrent s’il en était encore besoin, que le Cameroun reste et demeure un bon risque pour l’investissement, non seulement au regard de ses nombreuses richesses naturelles et des ressources humaines parmi les mieux formées du continent. Mais aussi grâce au climat de paix que le peuple camerounais, réputé travailleur, a su préserver.

Dans le cadre de cette loi, ces investisseurs bénéficient dans les phases d’installation et d’exploitation, d’une série d’incitations d’ordre fiscal, douanier, financier et administratif, ainsi que des incitations spécifiques pour des investissements concernant les activités jugées prioritaires par le gouvernement, tels que le secteur agro-pastoral, ou encore les entreprises créant un grand nombre d’emplois. Cette loi qui vient donner de l’élan à la charte des investissements est aussi le fruit d’un dialogue permanent entre l’Etat et les acteurs du secteur privé dans le cadre du Cameroon Business Forum auquel le Premier ministre assiste personnellement chaque année, pour rassurer quant à l’engagement et la détermination du gouvernement à tout mettre en œuvre pour améliorer l’environnement des affaires.

Au sein du gouvernement, on reste conscient du fait que ces lois incitatives doivent s’accompagner d’infrastructures modernes dans les secteurs de l’énergie, des transports et des TIC. Dans ce sens, l’Etat a lancé la construction simultanée de plusieurs barrages hydroélectriques (Lom Pangar, Memve’ele, Mekin, Nachtigal, Menchum) et de centrales thermiques à gaz (Kribi) à l’effet d’améliorer sensiblement la fourniture d’énergie électrique. L’enjeu, explique le ministre de l’Eau et de l’Energie, Basile Atangana Kouna, est de permettre aux ménages d’avoir accès à une énergie électrique de qualité et à un coût bas. Sur le plan des transports, un des chantiers les plus révolutionnaires est celui du port en eau profonde construit à Kribi, et dont les terminaux ont récemment été attribués aux groupes Bolloré (conteneurs) et Nécotrans (polyvalent).

Projets structurants

Selon Louis Paul Motaze, ministre de l’Economie et président du comité de pilotage de la construction de ce complexe industrialo-portuaire de Kribi, l’aboutissement heureux de ce chantier « marque le début d’une ère nouvelle dans le développement économique du Cameroun, l’ère des grands projets structurants, intégrateurs et générateurs de croissance, d’emplois et de richesse. Cela va en effet permettre d’accélérer le développement économique, par la création d’industries, le développement urbain, le développement des infrastructures de transports portuaires, routières et ferroviaires, ainsi que des infrastructures énergétiques, de communication et de télécommunications. Le Cameroun va accélérer son industrialisation par la mise en exploitation de ses nombreuses ressources naturelles, telles que le fer et la bauxite, dont les opérations d’importation et d’exportation nécessitent des navires de très grande taille », précise -t-il.

Ce port a vocation à accueillir de grands navires de commerce d’une capacité allant jusqu’à 100 000 tonnes et d’un tirant d’eau de 15 à 16 mètres. De ce fait, le port de Kribi est pensé pour être complémentaire de celui de Douala, venant ainsi pallier les insuffisances de ce dernier, limité jusqu’ici aux navires de 15 000 tonnes et de 6 à 7 mètres de tirant d’eau.

Ce sont donc ces atouts économiques que le Cameroun entend exposer à la communauté mondiale des affaires, pour faire pièce à cette mauvaise réputation qui prive le pays de précieux flux de capitaux privés étrangers.

La Rédaction