La guerre sécrète des USA au Nigerianistan

En lançant son Scramble for Africa’s Oil en 2001, Washington pensait contourner l’insécurité chronique du golfe persique pour s’approvisionner en pétrole de qualité dans le golfe de Guinée, loin des turbulences. Dix ans plus tard, les services étatsuniens livrent une guerre secrète contre une autre mouvance islamiste: « Boro Haram » avec le spectre d’une afghanisation du Nigeria.

Les évènements déclenchés le lundi 9 janvier 2011 au Nigeria par la grève des syndicats ne surprennent pas les analystes qui suivent de près les grandes manœuvres américaines dans le golfe de Guinée depuis les attentats du 11 septembre. Depuis la décision du gouvernement Bush, en 2001, d’augmenter de 15 à 25% l’importation du pétrole en provenance de cette partie du monde avant 2016, le Nigeria est sur la sellette des Américains et des islamistes. Certes la suppression, par Abuja, des subventions sur le pétrole, le 1er janvier 2012, a entraîné une hausse brutale des prix de l’essence. Certes le litre à la pompe est passé de 65 nairas (0,38 USD) à 140 nairas (0,85 USD). Mais le malaise est plus profond et fait intervenir des acteurs invisibles dans une guerre secrète du fort au faible. Face à la pression des islamistes du « Boro Haram » fortement réarmés depuis la chute de Mouammar Kadhafi, la sourde oreille du président Goodluck Jonathan face aux appels des parlementaires, de la société civile et de la rue pour rétablir les subventions supprimées dans le but de faire économiser 80 milliards USD/an à l’Etat fédéral pourraient embraser le pays et la sous-région.

« L’éducation occidentale est un péché »

En lançant son Scramble for Africa’s oil en 2001, Washington pensait contourner le terrorisme islamiste en cours dans le golfe persique pour s’approvisionner en pétrole dans le golfe de Guinée. Sauf qu’un an après les attentats du 11 septembre, un mouvement islamiste assez structuré et financièrement solide a vu le jour dans le nord-est du Nigeria. Pas très mobile au départ, la secte est essentiellement active aux frontières du Cameroun et du Tchad. Férocement combattue par les forces de défenses nationales nigérianes, elle disparait durant quelques mois pour réapparaitre sous l’appellation « Boro Haram » (dénomination tirée de la langue haoussa qui signifie « l’éducation occidentale est un péché »). Les sources de financements de ce mouvement, son fonctionnement en réseaux, son mode opératoire, sa stratégie de communication, ses modalités de recrutement, les mobiles de ses attaques, et le choix de ses cibles sont tels que les analystes parlent de « Taliban nigérians ».

Un Nigeria divisé en deux serait le scénario idéal

Un certain nombre d’analystes au sein des Renseignements africains estiment que le MOSSAD et la CIA jouent un double jeu en soutenant le gouvernement fédéral le jour et en excitant « Boro Haram » la nuit. En effet, les services camerounais, nigérians et tchadiens  qui bénéficient des notes confidentielles de l’Africom savent depuis 2008 que la secte « Boro Haram » entretient d’étroites relations avec Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et qu’elle a bénéficié d’importants stocks d’armes à la faveur de la campagne libyenne. En réalité, certains think-tanks proches de la Maison Blanche ont vendu au président Obama, depuis son accession à la magistrature suprême, l’idée qu’il fallait avoir deux fers au feu parce qu’un Nigeria divisé en deux (le nord musulman et anti-occidental, d’une part, et le sud chrétien et riche en ressources minières, d’autre part) serait le scénario idéal pour les Etats-Unis.

Un Etat en faillite qu’il faut quadriller militairement

Il faut se souvenir qu’au lendemain des attentats du World Trade Center, lorsque Washington avait décidé d’augmenter ses importations de pétrole du golfe de Guinée, la National Security Strategy of the United States avait déclaré que le combat contre le terrorisme mondial et la nécessité d’assurer la sécurité énergétique étatsunienne exigeaient que les Américains accroissent leur engagement en Afrique pour y sécuriser leurs approvisionnements en hydrocarbures. L’intense activité diplomatique qui suivit connut un moment fort avec le déjeuner du 13 septembre 2002 entre George W. Bush et 10 chefs d’États d’Afrique centrale à l’initiative de la Maison Blanche. Certains activistes proches de la droite américaine en profitèrent pour pousser le bouchon. Après une mission expresse de 48h dans le delta du Niger, le journaliste Jeffrey Taylor du magazine Atlantic Monthly écrivit plus tard, dans une livraison d’avril 2006, qu’à cause de forces islamistes, le Nigeria était devenu un « Etat en faillite » dont l’importance des ressources pétrolières nécessitait absolument un quadrillage militaire et une intervention des États-Unis encore plus massive qu’en Irak…

Pour la sécurité énergétique des Etats-Unis

C’est dans cette mouvance qu’est apparu l’Africom le 1er octobre 2008. Deux ans avant son démarrage officiel, l’administration américaine avait affecté environ 400 marins ainsi qu’une base flottante constituée de NTGV (navires à très grande vitesse) à la surveillance des côtes au long de l’Angola, du Cameroun, du Gabon, du Ghana, de la Guinée équatoriale, du Liberia, de Sao-Tome & Principe, du Sénégal et du Nigeria. Ses compétences s’étendent sur l’ensemble des États membres de l’Union Africaine, sauf l’Egypte. Stratégiquement, le maillage militaire du golfe de Guinée par le Pentagone vise d’abord le contrôle de la partie occidentale de la route transafricaine du pétrole et les réserves vitales de brut qui y ont été découvertes. Le golfe de Guinée exporte, à lui seul, 90% de sa production. Les réserves confirmées le long des 3.700 km de sa ligne côtière sont estimées à 15 milliards de barils. Avec la découverte de gisements pétroliers marins en Angola, à Sao Tomé et Principe et en Guinée équatoriale début 2000, le pétrole africain avait tout pour devenir «une priorité pour la Sécurité nationale américaine de l’après 11 septembre.» La guerre secrète que mènent les services US au Nigeria est donc une guerre pour la sécurité énergétique des Etats-Unis.

Les 5 business les plus rentables dans ce contexte

Alors que les pétrolières vont flamber, les analystes de Knowdys intelligence économique estiment que l’industrie de l’armement, le security business, l’industrie pharma, l’eau potable et l’agroalimentaire d’urgence seront les cinq business les plus rentables de la longue période de turbulence dans laquelle s’enfonce le golfe de Guinée. Une longue période d’incertitude…

Guy Gweth