L’arsenal marocain de lutte contre la fuite des capitaux

(Africa Diligence) Jaouad Hamri, directeur général de l’Office des changes marocain, explique le timing et les enjeux de l’institution d’une mesure d’amnistie pour les détenteurs d’avoirs à l’étranger. S’il est adopté, le dispositif prévoit un délai pour la mise en conformité par rapport à la réglementation de changes et du fisc.

Hassan EL ARIF : Qu’est-ce qui explique le timing de ce dispositif ?

Jaouad Hamri : En premier lieu, il est important de préciser que ce dispositif n’est qu’au stade de projet. Il a été soumis au Parlement qui est seul habilité à l’adopter. Tant que cela n’est pas fait, nous sommes dans le cadre d’une proposition de l’exécutif au législatif.

Le timing part d’un état des lieux concernant le dispositif juridique actuel. Le dahir du 10 septembre 1939 et l’arrêté du 18 mai 1940 ont défini les opérations qui constituent des infractions à la réglementation des changes. La constitution irrégulière d’avoirs en devises ou la détention d’actifs mobiliers ou immobiliers à l’étranger constituent des infractions à la réglementation des changes au même titre que le défaut de déclaration.

Dans les textes actuellement en vigueur, ces infractions sont passibles des sanctions prévues par le dahir du 30 août 1949 qui constitue la seule référence en la matière. Les articles 15 et 17 du dahir énoncent comme pénalités, possiblement cumulées, des sanctions privatives de liberté allant de 1 mois à 5 ans  et d’amendes dont  le montant ne peut être  inférieur à 6 fois la valeur du corps du délit. Ceci étant, l’article 11 du dahir du 30 août 1949 précise que les infractions à la réglementation des changes peuvent être régularisées par voie transactionnelle. Le ministre des Finances ou son représentant peut transiger et fixer les conditions de cette transaction.

Quels sont les enjeux de ce projet de texte?

Le Maroc a fait le choix de l’ouverture de son économie et a entrepris, depuis le début des années 1990, un processus d’assouplissement et de libéralisation du contrôle des changes. Nous avons procédé à la libéralisation progressive de la réglementation des changes qui s’est traduite par une série de mesures, d’avantages et de facilités accordés à toutes les catégories de personnes physiques ou morales dans leurs transactions à l’international. Ce choix a permis de soutenir la dynamique économique du pays. C’est grâce notamment au régime particulier appliqué aux Marocains résidant à l’étranger que nos concitoyens continuent à rapatrier entre 50 et 60 milliards de DH par an, le statut particulier des exportateurs leur a également permis d’améliorer leur compétitivité à l’international tout comme la facilitation des investissements marocains à l’étranger donne au Maroc un rayonnement international notamment sur le continent africain. Cette politique d’ouverture a été judicieuse, mais les brèches ouvertes par la politique de libéralisation et d’assouplissement de la réglementation des changes du Maroc ont donné lieu à la constitution irrégulière d’avoirs à l’étranger. Ce projet de texte est donc une opportunité sans précédent de remettre tout le monde dans la légalité d’autant que ces mêmes dispositifs ont déjà été mis en œuvre dans beaucoup de pays à travers le monde. A l’échelle mondiale, les tensions subies par les économies poussent les gouvernements à rapatrier les avoirs liquides ou à comptabiliser les actifs détenus à l’étranger. Dans les deux cas, cela permet de revitaliser l’économie, d’améliorer la position du pays et d’augmenter les réserves de changes.

A combien estime-t-on les avoirs marocains à l’étranger ?

Nous ne disposons d’aucun chiffre définitif mais nous avons l’accès à différents systèmes d’information qui nous permettent désormais de mieux tracer les actifs localisés à l’étranger.

L’Office des changes peut identifier les personnes qui se soustraient à la loi…

Clairement, nous avons de plus en plus accès à ce type d’informations grâce notamment à un dispositif de coopérations bilatérales et multilatérales. Les récentes décisions du G20 sur les échanges de données financières, la signature par le Maroc de la convention de l’OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, les agences et les bureaux de renseignement financier, sont autant d’instruments qui  permettent aujourd’hui d’avoir une bonne traçabilité de ces avoirs.

Quelles sont les garanties de confidentialité?

Les banques et les établissements financiers vont être mandatés pour réceptionner les déclarations et assurer les formalités. Des espaces dédiés privés seront mis en place et les transactions seront sous le secret bancaire conformément à la loi.

 Y a-t-il des implications une fois la déclaration effectuée?

En plus de permettre à la personne (physique ou morale) d’être en conformité avec la loi, cela la libère du paiement des amendes et pénalités relatives aux infractions à la règlementation des changes ainsi que des amendes, pénalités et majorations au titre des sanctions pour infraction aux obligations de déclaration de versement et de paiement prévues par le code général des impôts. De même, les déclarants sont assurés de ne pas être poursuivis au titre des avoirs objet de la déclaration tant au niveau administratif que judiciaire, que ce soit en matière de réglementation des changes ou de législation fiscale.

 Qu’encourt un résident au Maroc qui procède à l’achat d’un bien immeuble ou à un placement à l’étranger, au-delà du 1er janvier 2014?

L’application des textes de lois en vigueur.

La mondialisation n’implique-t-elle pas une plus grande ouverture et une libre circulation des capitaux ?

Le Maroc s’inscrit résolument dans une logique libérale et d’ouverture. Nous sommes bien décidés à jouer un rôle dans la mondialisation tout en veillant à préserver nos équilibres macro-économiques. Nous nous appliquons donc à améliorer le climat de confiance et l’ensemble des textes est amené à évoluer dans ce sens. Cette évolution ne pourra se faire que dans la transparence et l’esprit de responsabilité de nos concitoyens.

(Avec Hassan EL ARIF)