L’économie sénégalaise au défi de la compétitivité

(Africa Diligence) Le Sénégal, qui aspire à devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici 2025, est enlisé depuis 2006 dans une espèce d’équilibre mou. Contrairement à la plupart des autres pays d’Afrique subsaharienne, Dakar n’a pas bénéficié d’une croissance soutenue au cours de la décennie écoulée.

Alors que le taux de croissance moyen observé au niveau de la sous-région était de 6 %, celui du Sénégal ne s’est élevé qu’à 4 % entre 2000 et 2010, et à seulement 3,3 % depuis 2006. Pour 2013 selon les prévisions très optimistes du nouveau ministre des finances il sera de 4.6 %.

Au même moment l’indice de perception de la corruption établi par Transparency International a chuté de 3,6 à 2,9 entre 2007 et 2012.

Afin de stimuler le moteur de la croissance à moyen et long terme, il est indispensable que les pouvoirs publics prennent des mesures d’ensemble pour renforcer et améliorer la compétitivité de notre économie.

Et pourtant le Sénégal est un pays attrayant, avantageux et propice aux affaires pour les investisseurs. Pour preuve les investissements étrangers (les IDE) ont été de 467 milliards de francs CFA en 2012, l’une des meilleures performances enregistrée depuis les cinq dernières. Ce qui fera gagner au pays trois places dans le classement Doing business 2012. Nous avons toutes les raisons d’accueillir ces investissements qui illustrent notre ouverture aux entreprises étrangères : le Sénégal a le deuxième meilleur ratio IDE (investissement direct étranger) – PIB, de l’espace UEMOA. Chaque année, des dizaines d’entreprises étrangères décident d’investir au Sénégal, un pays qui offre des infrastructures modernes, une main d’œuvre qualifiée et productive ainsi qu’un accès libre à près de 300 millions de consommateurs au sein de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Mais aujourd’hui, le Sénégal doit faire plus et mieux. Nous devons attirer encore plus d’investissements et renforcer nos liens économiques avec nos partenaires, en développant des opportunités commerciales pour les grandes et petites entreprises qui envisagent d’investir dans notre pays. Pour atteindre cet objectif, une trajectoire concrète, exigeante et innovatrice doit être fixé au gouvernement.

Certes le gouvernement se bat pour consolider et réformer sa gouvernance. Il a entrepris un ménage sans précédent des comptes publics pour soulager les contribuables du fardeau de la crise économique par une baisse importante de la fiscalité sur les salaires allant de 15 à 100 %. Des mesures fortes ont été adoptées pour remettre de l’ordre dans nos finances et plus particulièrement pour gérer durablement notre dette qui était estimée à $ 4,381 milliards au 31 Décembre 2011. Sans ces mesures proactives, le déficit public qui est passé de 3 à 6,7 % du PIB entre 2005 et 2011 aurait atteint un nouveau record en 2012. Au lieu de ça, et malgré l’adversité de la situation économique marquée par une crise mondiale profonde, l’état a parvenu à le réduire de façon significative en faisant un effort structurel exceptionnel équivalent à 0.1% de notre PIB.

Un pacte national pour la compétitivité

Un pays qui s’endette n’aime pas ses enfants. Qu’est-ce que la bonne dette : c’est l’investissement, qui prépare l’avenir. Qu’est-ce que la mauvaise: la nôtre, cette accumulation de déficits engendrés par le train de vie excessif de l’État et de l’ensemble des collectivités publiques.

Un autre effort, sans précédent, est fait en ce moment même pour optimiser le travail de l’administration. « Toutes les politiques publiques seront scannées et chaque dépense inutile va être éliminée » déclarait tout récemment le président de la République. Certes le Sénégal est en train de réduire ses dépenses publiques de façon responsable, respectant l’équilibre entre la contrainte d’une consolidation budgétaire inébranlable et le besoin de croissance qui passe par des investissements.

Mais si le Sénégal veut à moyen terme retrouver son dynamisme économique et renouer avec sa trajectoire de croissance, il doit prendre sa compétitivité et son attractivité très au sérieux, en effet la capacité du secteur privé à stimuler l’économie a été limitée en raison d’un environnement peu favorable à l’investissement et d’une baisse de sa compétitivité, qui s’expliquent par les défaillances des dispositifs de gouvernance et les lacunes liées au suivi de l’exécution des projets. Les mauvaises performances du pays enregistrées en matière d’exportations (Le Sénégal se classe 113e sur 148 pays dans l’indice mondial de la compétitivité pour l’année 2013 même s’il gagne quatre place au passage) vient nous rappeler qui si la productivité horaire de notre main d’œuvre était l’une des meilleures de la sous-région des initiatives fortes doivent être initiées pour éviter que ce déclin relatif nous entraine dans un déclin absolu

Conséquences : notre balance commerciale se détériore depuis 2002, elle accuse un déficit de près de 1400 milliards de francs CFA en 2012. Pour inverser cette tendance, le gouvernement doit mettre en place un ambitieux pacte national pour la compétitivité, dans lequel devra figurer une forte baisse du coût du travail grâce à des avantages fiscaux pour les entreprises qui investissement et qui embauchent et un transfert partiel des cotisations sociales vers la TVA par exemple

Des mesures hardies visant à mener une refonte minutieuse du monde de l’entreprise doivent être prises dans les meilleurs délais : nous débarrasser de la paperasse, nous attaquer aux lenteurs de la bureaucratie, au « millefeuille » administratif source d’imprécision, de temps perdus et d’inefficacité ; grâce à une simplification des procédures. Le FMI a évalué les « coûts » engendrés par toutes ces complexités normatives, à 2 % de notre PIB.

Nous devons réformer le financement de notre économie. Si globalement, les dépenses du Sénégal exprimées en pourcentage du PIB sont équivalentes à celles de nos voisins, la répartition de ces ressources au niveau intra sectoriel manque d’efficacité, ce qui se traduit par des résultats décevants. Malgré que le poids du secteur public se soit accru, passant de 24,1 % du PIB en 2005 à 29,7 % en 2011, l’accès aux services publics et la qualité de ceux-ci n’ont pas progressé dans de nombreux secteurs sociaux ; minés qu’ils sont par l’absence de systèmes clairement établis en matière de gouvernance et de responsabilisation.

Dépenses publiques inefficaces

L’efficacité des dépenses publiques peut être appréhendée par les résultats enregistrés au regard des moyens mis en place. A cet égard, les dépenses publiques exécutées par notre pays au cours des cinq dernières années sont en moyenne de 25 % du PIB, dont plus de 20 % sont consacrés à l’éducation et 12 % à la santé. Parallèlement, au Ghana et au Cap Vert, les dépenses publiques en pourcentage du PIB sont respectivement de 18 % et 27 %.Cependant, les dépenses publiques du Sénégal sont moins efficaces comme en atteste les taux d’achèvement du cycle primaire qui est de 57 % au Sénégal en 2011 contre83 % au Ghana et 87 % au Cap vert. De même, dans le domaine de la santé, la mortalité infantile (moins de 5ans) est de 93 ‰ au Sénégal contre 69 ‰ au Ghana et 28 ‰ au Cap Vert. Ainsi, l’efficacité des dépenses publiques doit être renforcée en mettant l’accent davantage sur la gestion axée sur les résultats.

Prendre la compétitivité au sérieux c’est aussi réformer le marché du travail. Le gouvernement doit initier dans les meilleurs délais, une conférence sociale2 entre les syndicats et le patronat pour un accord qui fournira aux entreprises un meilleur cadre juridique et plus de flexibilité leur permettant ainsi de s’adapter aux aléas économiques tout en protégeant la carrière de leurs employés. Toutes ces mesures doivent avoir un objectif clair : assurer la croissance en consolidant l’attractivité de notre pays ainsi qu’en donnant de la confiance et de la sérénité aux investisseurs installés sur le territoire pour les aider à réussir sur un marché mondialisé et globalisé. Car c’est par l’investissement que nous parviendrons à créer de la croissance et de l’emploi dans ce pays.

Gageons que La Stratégie nationale de développement économique et social (SNDES) l’ambitieux programme initié par le gouvernement et dont le Club de l’Economie Numérique a réévalué le coût à près de 8 500 milliards(3) de francs CFA qui vise à inverser cette tendance négative en augmentant la productivité de l’ensemble de l’économie sénégalaise, à la fois dans le secteur public et privé, des secteurs dont les performances sont en baisse par rapport à celles réalisées par le pays dans le passé et à celles des autres pays sera un instrument efficace au service de cette stratégie.

Avantages comparatifs

Somme toute le Sénégal a les moyens et les atouts de retrouver la voie d’une croissance forte, financièrement saine, socialement juste et écologiquement positive. Investir en Sénégal ce n’est pas seulement offrir à ces employés l’une des meilleures qualités de vie et l’un des meilleurs systèmes de formation de la sous-région. C’est aussi fournir aux entreprises, un cadre juridique et fiscal fiable, un réseau bancaire moderne, un pays stable et accueillant avec une vie intellectuelle et touristique dynamique un environnement digital de pointe avec le développement de l’internet à haut débit pour les entreprises. C’est aussi avoir accès à une main d’œuvre productive et qualifiée, sortie de notre excellent système d’éducation ou de l’étranger.

La reconquête de notre compétitivité doit donc être considérée comme la priorité économique de notre pays : car elle conditionne tout le reste. Cette priorité doit se traduire dans les politiques publiques.

L’état doit imposer que toute nouvelle disposition législative ou réglementaire significative, toute nouvelle politique lancée devrait être accompagnée d’un document précisant son impact sur la compétitivité et les moyens d’en réduire les effets négatifs éventuels.

Faciliter l’accès aux commandes publiques par un système de Small Business Act 4 pour les PME (Petites et Moyennes Entreprises) qui sont un facteur clé de la croissance et de l’emploi. Au Sénégal, elles contribuent pour35 % au PIB et 52% du total des emplois du secteur moderne.

Préparer le Sénégal des années 2030

La crise autorise toutes les audaces pourvu que le cap soit clair, que les réformes soient socialement justes et économiquement efficaces C’est le message que renvoie le pays durement frappé par la crise et hanté par la peur du lendemain.

Il faut armer le Sénégal, lui redonner une perspective, pas simplement pour ce quinquennat, mais pour les dix,…. quinze prochaines années, car tout ce qui ne sera pas entrepris dès maintenant ne pourra bientôt plus l’être. Je crois que telle est l’ambition que porte le président Macky Sall.

(*) Délégué Thématique au Club de l’Economie Numérique est Ingénieur Centralien Spécialiste des PME/PMI en Afrique et Expert en Management de Projets Industriels a notamment participé au projet de la Banque Mondiale « Promouvoir des Pôles de Compétitivité en Afrique » et au Programme Yonnu Yokkuté.

1- La dernière enquête de la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee) de juin 2013, révèle que 68% des chefs d’entreprise se disent affectés par l’environnement des affaires.

2- Une journée de concertation prônée par le CNP et le ministère du commerce ne me semble pas être la bonne réponse face à la gravité de la situation.

3- Ce chiffrage du Club de l’Economie Numérique est différent de celui de des services de l’Etat

4- Le “Small Business Act”, voté par le Congrès américain, est le texte fondateur de la politique américaine d’aide aux PME. Cette loi-cadre affirme la nécessité d’orienter prioritairement l’action des pouvoirs publics vers la petite entreprise, considérée comme l’élément le plus dynamique de l’économie.