Lika Doukouré-Szal : une Ivoirienne qui rêve de vendre l’Afrique émergente aux Américains

[Africa Diligence] Entrée chez Cristal Credit International en 2007 comme stagiaire, Lika Doukouré a gravi les échelons à la vitesse de l’éclair. Depuis 2010, elle dirige les opérations de renseignement commercial et d’analyse de crédit pour la zone Amériques du Nord, Centrale, Sud et Caraïbes. Si elle rêve d’un réseau d’intelligence en Afrique subsaharienne, c’est parce que ses clients américains veulent leur part du gâteau africain.

“Je suis née et ai grandi à Abidjan en Côte d’Ivoire. J’ai quitté mon pays en raison de l’instabilité politique, pour effectuer ma dernière année de lycée à Nantes en France” affirme-t-elle d’emblée. À son arrivée dans l’hexagone, Lika Doukoure suit pendant 2 ans une classe préparatoire aux grandes écoles au Lycée Montaigne à Paris. Elle intègre ensuite l’École Supérieure de Commerce de Toulouse, spécialisation Corporate Finance, en 2003. Son parcours a inclus une année de césure à La Redoute, groupe Pinault-Printemps-Redoute, à Lille.

Son diplôme obtenu en 2007, elle effectue un stage de fin d’étude chez Cristal Credit International, à Miami aux États-Unis (membre du Groupe Cristal Crédit à Lyon). Elle est embauchée, dans la foulée, en tant qu’analyste crédit. Au bout de quelques mois, elle est promue Responsable de la zone Amériques Centrale et du Sud, et participe à la création d’antennes locales. En 2010, elle se voit confier la direction de toutes les opérations ‘renseignement commercial’ et ‘analyse credit’ Amériques du Nord, Centrale, Sud et Caraïbes. C’est un peu une James Bond girl qui a accepté de répondre à nos questions, les yeux rives sur l’Afrique.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Lika Doukouré : Bien sûr! Les richesses de l’Afrique, tant sur le plan des ressources naturelles que sur le plan humain ne sont plus à démontrer. Elle a des élites, elle a une population jeune et dynamique, et les investisseurs étrangers la convoitent. Pour preuve, les investissements étrangers en Afrique ont atteint 80 milliards USD en 2014, et les américains ont lancé en août 2014 une série d’investissements pour un total de 33 milliards USD, dans des secteurs économiques variés. Ce n’est pas un secret : l’Afrique a un potentiel monumental qui est sous-exploité et trop souvent gaspillé. La question est : comment ce potentiel peut être utilisé pour créer un cercle vertueux et amener d’un point A (une majorité de pays en développement) a un point B (pays émergents), et enfin un point C (pays développés).

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Pour n’en citer que quelques-uns :

L’éducation évidemment, notamment l’éducation des filles. Mais pas que. De nombreux pays investissent déjà dans l’éducation, mais pas de manière pertinente. Les jeunes doivent être plus connectés au monde de l’entreprise pour orienter leurs choix et s’assurer des débouchés une fois diplômés. Les entreprises doivent participer à cet effort en offrant plus de formations en alternance par exemple. Pour aller dans le même sens, la formation doit être ancrée dans les mentalités comme faisant partie du monde de l’entreprise : ces dernières doivent offrir des formations régulières a tous leurs salariés, en particulier à leurs cadres pour s’assurer de rester compétitives dans une économie mondialisée.

Il faudrait également mettre en place un comité d’excellence regroupant les entreprises les plus novatrices et les plus représentatives de l’excellence et du succès africain ; un peu comme le comité Colbert pour les entreprises du luxe en France. Ce comité serait un vecteur de communication des talents du continent.

Un autre levier, serait de favoriser l’accès aux banques et à l’emprunt pour la majorité de la population. Qu’elle puisse accéder à des moyens de paiements sécurisés et organisés. Il est trop tard aujourd’hui pour familiariser tout le monde avec les cartes de crédit, qui seront déjà obsolètes dans quelques années. Il faut donc investir dans les infrastructures de télécommunications et dans les technologies qui permettront demain d’avoir un moyen de paiement simple et sécurisé pour tout le monde, par exemple le paiement par téléphone portable.

À moyen terme, je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut revoir l’indexation du CFA sur l’Euro. Le CFA fluctue par rapport aux performances de la zone Euro, et non par rapport à la croissance des pays de la CEDEAO. Aujourd’hui cela n’a plus de sens et ce système ne permet pas aux pays concernés de maitriser leur monnaie. L’annonce faite récemment par la Commission de la CEDEAO, qui annonce une monnaie unique pour 2020 est le premier pas dans cette direction.

Si vous étiez élu (e) chef de l’État de votre pays dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

D’abord, mettre en place des programmes favorisant l’entrepreneuriat, et donner des avantages fiscaux aux petites et moyennes entreprises qui recrutent. Il me parait primordial de motiver les jeunes (et moins jeunes) entrepreneurs et de leur donner accès à un financement structuré et moins contraignant. Aujourd’hui les mentalités et l’instabilité économique poussent les jeunes diplômés à rechercher des emplois dans de grands groupes. C’est bien, mais cela empêche souvent des talents de s’exprimer. Une grande partie de ces jeunes a les idées qu’il faut et la capacité de créer et gérer une entreprise, si on leur en donne les moyens. Par ailleurs, quand un grand groupe licencie pour des raisons économiques ou budgétaires, il licencie en masse. Les petites et moyennes entreprises contribuent donc à la stabilisation d’une économie.

Ensuite, imposer plus de transparence au sein des institutions et se débarrasser des lourdeurs administratives. Ces dernières encouragent la corruption et ralentissent l’essor économique. Elles polluent l’initiative individuelle (pour reprendre l’exemple de la création d’entreprise) et dépriment les populations. Si tout ce qui touche à l’administratif prend plusieurs semaines voir plusieurs mois, il n’est pas étonnant que le développement traine lui aussi. Et le manque de transparence, ajouté à une administration ankylosée, effraie les investisseurs étrangers. Ce point est incontournable. Travailler dans l’intelligence économique chez Cristal Credit me permet d’être en contact avec des entreprises (de toutes tailles) en Amérique, en Europe et en Asie. Elles veulent investir en Afrique, mais le manque d’accès à l’information est un frein, voire un “deal breaker”. Il leur faut un minimum d’informations sur les partenaires locaux avant de s’engager.

Enfin, et sans vouloir être démagogique : investir en masse sur l’accès aux soins médicaux pour l’ensemble de la population. Les plus aisés continuent d’aller se faire soigner à l’étranger car ils n’ont pas confiance. Les moins aisés doivent faire avec les infrastructures locales qui sont insuffisantes et manquent de moyens. Tous les pays développés (à part les États-Unis qui travaillent toujours dessus) assurent à leur population un accès basique aux soins. C’est un minimum.

Que pensez-vous de l’avènement du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique ?

C’est nécessaire et de manière générale j’ai toujours un a priori positif sur ce type d’actions. Sur le CAVIE en particulier, il a été lancé récemment, nous n’avons donc pas assez de recul pour évaluer la pertinence de leur action ; mais cela s’inscrit sur des projets de long terme, et je trouve cela très encourageant que l’Afrique aient des élites qui prennent ce genre d’initiative.

Propos recueillis par la Rédaction

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