Maghreb : la montée en puissance des compagnies d’assurance

D’après Standard & Poor’s, les marchés de l’assurance en Algérie, au Maroc et en Tunisie présentent de bonnes perspectives de croissance. Les trois marchés, estiment les analystes de l’agence de notation, présentent néanmoins des différences de taille. Zoom sur une montée en puissance à visages multiples.

Les perspectives du Maghreb des assurances sont bonnes, relève l’agence Standard & Poor’s (S&P) dans son dernier rapport. «Avec des besoins en couverture croissants, la demande d’assurance pourrait même, à long terme, dépasser celle des économies locales. Les initiatives réglementaires de promotion et d’assainissement du secteur devraient également favoriser une croissance significative dans les années à venir». Les trois marchés présentent néanmoins des différences en termes de structure de produits, de réseaux de distribution, de profils de résultats et de profondeur des marchés financiers.

Ainsi, en Algérie le marché reste encore orienté vers l’assurance auto, en attendant le développement de la bancassurance. Au Maroc, marché le plus mature de la région, les perspectives de croissance sont soutenues par le contrat programme et une politique de généralisation de l’assurance. Quant à la Tunisie, elle présente des perspectives de croissance du secteur de l’assurance plus élevés que celles de son PIB.

Les points communs des marchés sont en général, au-delà d’une forte exposition à l’assurance –auto (l’on note en moyenne 15 voitures au Maghreb pour 100 habitants) et risques industriels, un besoin croissant en assurance-vie, épargne et santé et un taux de pénétration encore faible dans certains segments comme l’assurance- habitation. Dans les trois pays, l’on note un développement des infrastructures et une croissance du marché de l’immobilier, favorables au secteur. Au niveau des régulateurs, les efforts sont dirigés dans la même direction : l’élargissement des couvertures obligatoires.

S’agissant du niveau de solvabilité ajusté du risque, l’agence note qu’au Maroc, le risque actions est fortement consommateur de fonds propres en raison de la forte exposition des acteurs locaux au marché actions domestiques. Cette exposition est moins forte en Tunisie où l’agence dénote cependant d’un risque de crédit fortement consommateur de fonds propres.

Ce risque s’est encore détérioré avec la récente dégradation de la note de la Tunisie, passée de BB à B. Le développement du marché financier au Maroc offre un effet de levier aux compagnies d’assurances. Leurs bilans où les produits des placements sont bien représentés reflètent cette maturité à l’inverse de l’Algérie où les opérateurs comptent essentiellement sur les résultats techniques. Au Maroc comme en Tunisie, la volatilité du marché et des perspectives de croissance revues pourraient ralentir la croissance du secteur des assurances.

Le challenge pour les compagnies maghrébines consiste désormais à, d’une part, élargir l’offre et, d’autre part, maintenir la rentabilité. Un éventuel passage à un régime de solvabilité ajustée du risque pousserait les compagnies à adapter leur stratégie d’allocation des actifs et à renforcer leur stratégie au marché et aux régulateurs. Les opérateurs ont, de l’avis de l’agence S&P, des efforts à faire pour ramener le niveau du risque managérial en adéquation avec les perspectives du secteur. Le basculement attendu dans les règles de Solvency II signifierait plus d’exigence dans l’encadrement de ce type de risques. En retour, les compagnies d’assurance enregistreront des croissances plus saines.

Les compagnies qui ont servi de base d’analyse du rapport de S&P instituent les entités publiques comme la SCR (Maroc), créditée de la même note que celle du royaume (BBB-/Stable/A-3 en devises, et BBB-/Stable/A-3 en monnaie locale). Ce qui veut dire que le soutien du gouvernement à la Société Centrale de Réassurance est certain en cas de désastre financier. En Tunisie, la Compagnie d’assurance et de réassurance euro-tunisienne (Carte, BB/Stable) a été dégradée suivant la baisse de la notation souveraine de la Tunisie.

Le poids de l’Etat en Algérie

En Algérie, l’on dénombre 16 assurances et un réassureur dans un environnement de forte montée des compagnies privées et des mutuelles, fortes de 33% des parts de marché. Les français Axa, BNP Paribas et Macif ont pris position sur ce marché dominé par un réseau en direct et à travers des agents généraux. Pour autant, l’Etat reste le premier acteur à travers les entités qu’elle détient, et une règle de cession légale qui oblige désormais les acteurs à rétrocéder 50% des primes contre 5 à 10% auparavant.

Les courtiers indépendants représentent pour moins de 5% du chiffre d’affaires total à cause des restrictions gouvernementales. Si son potentiel est immense, le marché algérien reste handicapé par un faible réseau de distribution comparé aux deux autres pays du Maghreb. L’évolution réglementaire récente introduit de nouvelles normes comptables, la séparation des activités vie et non vie et le renforcement des règles de solvabilité.

Le poids de l’assurance-vie au Maroc

Tout comme l’Algérie, le Maroc compte 16 compagnies d’assurance et un réassureur. Une dynamique de rapprochement entamée en 2006 a entrainé une forte concentration du secteur. Ainsi, 70% des primes émises sont le fait des cinq premiers acteurs du marché. Hors bancassurance, le marché marocain de l’assurance est peu «intermédié» avec 40 courtiers pour un million d’habitants contre 80 en Tunisie. De même, l’activité reste concentrée sur l’axe Casablanca- Rabat. L’agence note cependant des perspectives de développement renforcées par le contrat programme signé en 2011, l’assurance maladie obligatoire, l’élargissement de l’assurance obligatoire et l’introduction d’incitations fiscales favorisant la souscription.

Le poids de l’intermédiation en Tunisie

Avec 18 assureurs et 1 réassureur, le marché tunisien est moins concentré contrairement au Maroc et à l’Algérie. Les cinq premiers acteurs contrôlent 55% du marché. L’on note aussi la présence de groupes étrangers comme Groupama, actionnaire de la Star et l’italien Assucurazzioni Generali, actionnaire de Maghrebia Vie. Le marché est le plus intermédié au Maghreb avec 80 courtiers pour 1 million d’habitant. Les dernières mesures réglementaires portaient sur l’introduction de l’assurance islamique (Takaful), l’élargissement de l’assurance obligatoire et, entre autres, l’augmentation du seuil du capital minimum.

Perspectives

A l’avenir, ces trois marchés feront face à des enjeux majeurs : une croissance économique difficile (surtout pour le cas de la Tunisie), une forte compétition entre les acteurs. En raison de son taux de pénétration encore faible (0,8% du PIB), l’Algérie qui totalisait 821 millions d’euros de primes émises en 2010 dispose d’un important potentiel de croissance. En général, l’algérien souscrit pour 22,9 euros en moyenne par an. L’avenir se conjuguera avec une diversification en dehors des risques industriels et de l’assurance auto (81% de la valeur des primes émises) vers l’assurance habitation, l’assurance-vie. En même temps, l’augmentation des investissements publics dans le domaine des infrastructures sera de nature à doper la demande de certains types de couverture de risques industriels. Quant au Maroc, deuxième marché d’assurance en Afrique, il totalisait 1,96 milliard d’euros de primes en 2010 avec un taux de pénétration de 2,8%, le plus élevé du Maghreb. En Tunisie ce taux est de 1,8%.

(Avec Tarek HALEM au Caire)