Pourquoi et comment il faut libérer les banquiers centraux africains

[Africa Diligence] Par Guy Gweth. Contrairement à leurs homologues de l’OCDE, les banquiers centraux africains font très peu parler d’eux. Derrière les vitres épaisses de leurs bureaux et automobiles de fonction, ils observent malicieusement les manifestations anti-FCFA. Puissants par leurs missions, ils sont fragiles par la main qui les fait rois.

L’Afrique est actuellement prise d’une crise de fièvre anti-FCFA. Economistes, politiques, leaders d’opinion, artistes, sportifs, les profils agrégés autour de ce serpent de mer sont divers et variés. Cette fièvre retombera, dépassée par une autre (pandémie, détournements, accident, etc.), faisant intervenir d’autres, voire les mêmes acteurs… Curieusement, nul n’entend ceux qui manipulent les instruments monétaires au quotidien. Les journalistes, en quête permanente de « breaking news », peinent à tirer profit de la finesse des banquiers centraux jouant entre devoir de réserve et langue de bois, lorsqu’ils arrivent à obtenir rendez-vous… La nature médiatique, ayant horreur du vide, est alors techniquement occupée par les « marchands du temple », avec les conséquences qui en découlent sur l’opinion publique.

L’intelligence économique peut contribuer à fixer les vrais enjeux

Selon le Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique (CAVIE), l’intelligence économique (IE) est d’abord un état d’esprit, ensuite une volonté politique, enfin un dispositif qui animent un processus légal, rapide, continu et sécurisé de collecte, de traitement, d’analyse et de transmission de renseignements utiles à la compétitivité des acteurs économiques. » Elle est vitale pour l’Afrique parce qu’elle permet une double attitude : défensive et offensive tout à la fois. Offensive pour aller à la conquête des marchés extérieurs ; défensive pour surveiller et assurer efficacement la protection de l’image du continent, de ses entreprises, de ses territoires, de ses ressources naturelles, et de son patrimoine informationnel face à une diversité d’acteurs (États, sociétés, ONG, individus…)

Grâce à l’information économique et financière, et à l’influence de ceux qui la médiatisent, plusieurs milliards se déplacent, chaque jour, d’un point à l’autre du globe. Cette fébrilité est certes liée à l’abondance de la liquidité qui circule d’une classe d’actifs à une autre, d’un bout à l’autre de la planète, mais aussi au rôle accru de l’information de haute qualité dans la prise de décisions économiques et financières. Ce constat est valable pour l’ensemble de la communauté internationale des opérateurs économiques.

Dans ces batailles stratégiques où les victoires des uns équivalent forcément aux défaites des autres, le CAVIE situe la monnaie au même niveau de sensibilité que la défense nationale ou la santé publique, toutes missions régaliennes requérant indépendance et information à haute valeur ajoutée.

Le prix de l’indépendance et de l’information à haute valeur ajoutée

On s’en souvient encore comme si c’était hier. Le 24 août 2015, Tim Cook, le n°2 d’Apple, envoie à Jim Cramer, l’un de ses contacts au sein de la puissante chaine de télévision étatsunienne CNBC, et gérant d’un fonds d’investissement, un courriel des plus rassurants sur les ventes de la firme américaine en Chine. Quelques instants après, l’action d’Apple qui avait décroché de 13% en début de séance suite au plongeon des marchés asiatiques repart de 92 à 104 dollars pour clôturer en baisse de seulement 1.7%. Ce fait est loin d’être isolé.

La liquidité mondiale est cinq fois supérieure à ce qu’elle était 25 ans plus tôt (à 6% du PIB mondial). La barrière qui séparait les titres pourris des titres sains, ou la valeur et le risque, tombe à vue d’œil. Mus par le bénéfice à court terme, les traders achètent et vendent de manière quasi compulsive comme si les banques centrales leur servaient d’assurance tous risques. Et si les banques ont été sévèrement règlementées après 2008, il n’en a pas été de même pour les non-banques. Ne recevant pas de dépôt, ces dernières ont échappé à la règlementation bancaire et contribué à intoxiquer davantage la stabilité de tout le système, aidées en cela par des taux au plancher et des spreads comprimés.

Or si depuis la chute de Lehman Brothers, les banquiers centraux européens et américains sont pratiquement regardés comme des rock stars de la finance mondiale, les recours ultimes devant la hantise d’une rechute financière, il en va toute autrement pour leurs homologues africains pour qui la grande bataille demeure celle de l’indépendance. L’opinion publique, les marchés financiers et les gouvernements attendent pourtant d’eux qu’ils relancent la croissance, boostent l’investissement, résolvent l’endettement des Etats, combattent la déflation, et contribuent à l’émergence économique des pays africains.

L’urgence d’outiller et de libérer les banquiers centraux africains

La crise de 2008-2009 a consacré l’ère les politiques monétaires expansionnistes des pays de l’OCDE, marquée par une augmentation vertigineuse de la monnaie créée par les banques centrales, un loyer de l’argent au plus bas et des primes de risque proches de zéro.

L’action de Ben Bernanke (FED), Jean Claude Trichet (BCE) et Merving King de la Banque d’Angleterre a été un succès pour enrayer la crise dite ses subprimes et sauver l’économie mondiale en injectant de la liquidité dans les circuits. Il n’en demeure pas moins que le maintien de cette trajectoire par leurs successeurs respectifs Janet Yellen, Mario Draghi et Mark Carney, est désormais en déphasage avec l’économie réelle.

Mais l’obsession de ces derniers à faire repartir le crédit et la croissance par une politique monétaire des plus accommodantes est-elle vraiment exempte de stratégies de guerre des monnaies, voire de guerre économique ? C’est précisément parce qu’on peut désormais en mesurer l’impact sur la compétitivité africaine qu’il est urgent d’outiller et de libérer les banquiers centraux africains. Le Franc CFA, l’accessoire, suivra le principal.

Guy Gweth

Président du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique