[Africa Diligence] Un pays qui monte dans sa coopération économique avec le Sénégal, c’est bien la Turquie. Les entreprises turques ont signé leur entrée en matière dans ce pays avec le Centre international de la Francophonie avec à la clé un marché de 65 milliards. Depuis, ils ne cessent de gagner des parts de marchés.
Séduites par son programme d’infrastructures et ses bonnes perspectives économiques, les entreprises turques renforcent leur présence au pays de la Teranga.
Toutefois, aux yeux des deux parties, un tel volume est très en deçà des potentialités, et la balance penche nettement en faveur de la Turquie. À en croire le ministère du Commerce sénégalais, Dakar veut inverser la tendance. Mais ce ne sera pas chose aisée puisque aujourd’hui, avec Dubaï et la Chine, Istanbul est la principale « route du business » pour les importateurs sénégalais. Au point qu’il existe à Dakar des centres commerciaux spécialisés dans la vente de marchandises et de produits turcs. Un mouvement porté par la fréquence des vols commerciaux de Turkish Airlines.
Quelles sont les raisons d’une telle percée ? Selon Abdou Ndéné Sall, ministre délégué au Développement du réseau ferroviaire, elle peut s’analyser de diverses façons : « Il y a d’abord la vitalité de l’économie turque, la politique expansionniste de son dirigeant et l’efficacité de ses entreprises, notamment dans la mobilisation des fonds. Ensuite, la Turquie, faute d’avoir pu intégrer l’UE après avoir procédé à la transformation de son économie, s’est naturellement tournée vers l’Afrique, dont le dynamisme est indéniable. »
L’hinterland ouest-africain
De plus, grâce à sa bonne position géographique et à sa stabilité sociopolitique dans une région en proie aux troubles, le Sénégal fait figure de tête de pont au service de la pénétration turque en direction de l’hinterland ouest-africain. Cette offensive a aussi profité des retombées de la stratégie de diversification des partenaires économiques amorcée par l’ancien président Wade dans les années 2000. Raison pour laquelle les investisseurs turcs doivent aussi se battre contre des concurrents chinois, émiratis ou marocains pour obtenir des parts de marché.
Une politique poursuivie par Macky Sall, qui a reçu à Dakar le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, peu après son accession au pouvoir. Auparavant, son chef du gouvernement Abdoul Mbaye s’était rendu à Ankara accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires.
Offensive turque
En outre, les efforts pour réformer l’environnement des affaires, les bonnes perspectives économiques du pays et surtout les importants travaux de construction d’infrastructures engagés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), ont également pesé dans le choix des Turcs. L’Association des entrepreneurs turcs (AET) confiait en octobre 2016 à The Africa Report que de nouvelles opportunités d’affaires sont étudiées au Sénégal, au Cameroun, en RD Congo, au Ghana ou au Mali. Fortement implantés en Libye avant la guerre civile, les groupes turcs braquent désormais leur regard vers les autres régions du continent.
Passée quasi inaperçue jusqu’ici, l’offensive turque est aujourd’hui décriée par l’opinion publique, surtout après la concession de la gestion de l’AIBD au groupement Summa-Limak. De même, l’assistance au sol a été confiée à la société 2AS, à capitaux majoritairement turcs. Une option très critiquée au sein du secteur privé local, plutôt favorable à la présence d’au moins deux opérateurs, comme c’était le cas sur la plateforme de l’aéroport international Léopold-Sédar-Senghor (AILSS). Les récriminations ont redoublé devant les tarifs pratiqués par les nouveaux opérateurs, jugés exorbitants par différents acteurs de la plateforme.
Importations massives bon marché
À preuve, peu avant l’ouverture d’AIBD, l’Union des prestataires et opérateurs des aéroports du Sénégal (Upoas), affiliée au Conseil national du patronat (CNP), attirait l’attention des autorités, via un mémorandum, sur le « niveau excessivement élevé des tarifs et redevances proposés par la société de gestion, visant à écarter les acteurs privés de l’AILSS de la nouvelle plateforme ».
Les entreprises turques alimentent aussi la critique dans le secteur agroalimentaire. Ameth Amar, le patron du groupe Nouvelle Minoterie africaine (NMA), n’avait pas hésité, au cours d’une séance du Conseil présidentiel sur l’investissement, en novembre 2017 à Dakar, à alerter au sujet des risques que font peser les importations massives, bon marché et subventionnées par le gouvernement turc, de pâtes alimentaires sur la compétitivité de la filière locale.
Selon lui, au cours des deux dernières années, les importations de ce produit ont atteint 50 000 tonnes, contre une production nationale aujourd’hui estimée à moins de 20 000 t. Ce grand patron reconnaît néanmoins que les entreprises turques se montrent souvent plus respectueuses que certains autres concurrents étrangers, comme la Chine…
Renvois d’ascenseur en série
L’idylle entre le Sénégal et la Turquie se poursuit. À la fin de 2017, à la demande de Dakar, 1 444 ressortissants sénégalais vivant en Turquie ont vu leur situation régularisée par Ankara. La mesure n’est pas anodine en ces temps de fermeture des frontières. Auparavant, le gouvernement sénégalais avait procédé à la fermeture des quinze écoles du groupe scolaire Yavuz-Sélim, accusé par le gouvernement turc d’être affilié à la confrérie de Fethullah Gülen, désigné comme instigateur de la tentative du coup d’État de juillet 2016. Nombre de commentateurs locaux avaient alors critiqué cette décision de Dakar, uniquement dictée par la realpolitik.
La Rédaction (avec Amadou Oury Diallo)